Tracer une nouvelle voie pour l’économie du Canada

Le Canada traverse une profonde crise économique, peut-être la plus difficile de son histoire. Le modèle économique en place depuis longtemps est défaillant et mal outillé pour garantir la protection des intérêts des travailleuses et travailleurs, car il est conçu de façon à diminuer leur pouvoir et leurs aspirations à un niveau de vie plus élevé.  C’est un modèle motivé par la cupidité des entreprises, la division des classes sociales, le bafouement des droits des travailleuses et travailleurs, la répartition inégale des richesses et la dévastation de l’environnement. Ce modèle de développement économique n’a pas réussi à protéger la population canadienne contre les crises de santé publique, les chocs économiques mondiaux et, dernièrement, contre les guerres commerciales. Le temps est venu de bâtir un meilleur modèle, et de le bâtir ensemble.

Il est temps que le Canada investisse dans ses propres capacités. Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent prendre des mesures audacieuses afin de cesser de gérer les crises de façon réactive et d’adopter une stratégie proactive en vue d’assurer la stabilité économique à long terme. Pour y arriver, il faut bâtir une économie plus autosuffisante et résiliente, prête à réaliser de grands projets, tout en protégeant et en faisant progresser les droits des travailleuses et travailleurs, en accordant la priorité à l’équité, à la santé publique, au développement durable et à de bons emplois syndiqués. Ce renforcement de l’économie doit se faire en collaboration avec la population active, les collectivités, les acteurs de l’activité économique et les peuples autochtones. Un dialogue social constructif doit être le fondement de tout plan de développement économique digne de ce nom.

Le Canada doit dorénavant faire preuve d’audace, d’ambition et de courage, lui qui est la neuvième économie mondiale. Le moment est venu de tracer une nouvelle voie pour l’économie du Canada.

Une période d’incertitude économique sans précédent

Les travailleuses et travailleurs canadiens sont confrontés à une période d’incertitude économique sans précédent, sans doute la plus précaire depuis des générations. Au cœur de cette tempête se trouve une guerre commerciale mondiale de plus en plus intense. Provoquée par les États-Unis, elle menace directement, au Canada, deux millions d’emplois qui dépendent des exportations dans des secteurs essentiels comme l’automobile, la foresterie, l’aluminium, l’acier, l’énergie et l’aérospatiale, ainsi que d’innombrables autres dans des secteurs d’activité interreliés.  Les emplois des Canadiennes et Canadiens qui travaillent dans ces secteurs exposés aux échanges commerciaux reposent depuis longtemps sur des bases instables, encadrées par les règles d’un système commercial mondial qui, depuis des décennies, accorde la priorité à la mobilité des capitaux au détriment de l’équité pour les travailleuses et travailleurs. Aujourd’hui, les mesures commerciales agressives et provocantes du président américain Donald Trump mettent en évidence et exploitent la fragilité de cet équilibre. 

Les attaques commerciales de Donald Trump axées sur les tarifs douaniers, dont bon nombre sont censés être permanents, punitifs et profondément idéologiques, ont des répercussions disproportionnées sur le Canada. Par ses attaques allant de l’imposition de tarifs considérables sur nos exportations à des menaces non dissimulées d’annexer le Canada, Donald Trump a touché une corde sensible dans la conscience nationale et provoqué une vive réaction de la part de la population canadienne. Les Canadiennes et les Canadiens se sont révoltés contre les menaces de Trump, refusant en grands nombres d’acheter dorénavant des produits fabriqués aux États-Unis ou de voyager vers des destinations américaines. Au milieu de ces actes de résistance populaire, la dépendance excessive du Canada envers les États-Unis est apparue clairement comme une vulnérabilité majeure. Fondée en grande partie sur l’accès au marché américain, notre réussite économique est aujourd’hui menacée. Comme les exportations canadiennes vers les États-Unis représentent environ un tiers de notre PIB national, les enjeux ne pourraient pas être plus élevés.

Les répercussions de ce conflit commercial se font déjà sentir. Les usines réduisent leurs activités. Les décisions d’investissement sont reportées. Des employeurs ont commencé à déménager du matériel, de l’équipement lourd et du travail aux États-Unis, dans une tentative éhontée d’exploiter la situation politique ou de faire des courbettes devant l’administration américaine. Les collectivités qui dépendent des secteurs d’activité exposés aux échanges commerciaux se préparent au pire.  En outre, malgré les paroles amicales des politiciens américains progressistes, des dirigeants de la société civile et des alliés que nous avons de l’autre côté de la frontière, les Canadiennes et Canadiens doivent prendre conscience que notre relation avec les États-Unis a changé radicalement et pour toujours.

Tracer une nouvelle voie pour le Canada

Le Canada doit répondre aux menaces persistantes des États-Unis avec vigueur et une détermination renouvelée. Il doit le faire en plaçant au cœur de sa stratégie les intérêts des travailleuses et travailleurs les plus touchés par le conflit. 

Les dirigeantes et dirigeants politiques du Canada doivent de plus être tenus d’obtenir des résultats. Le nouveau gouvernement de Mark Carney s’est engagé à restructurer l’économie du Canada, en mettant en œuvre des projets d’édification nationale de grande envergure et en mettant en place un programme encourageant l’achat de produits fabriqués au Canada, afin que nous achetions plus de produits fabriqués au pays et que nous produisions de plus grandes quantités de ce que nous achetons. C’est là une bonne nouvelle et un changement d’ambition nationale attendu depuis longtemps, mais ce ne sera pas suffisant.  Ce programme doit être appuyé par une stratégie bien définie, des engagements d’investissements, des lois et, au bout du compte, des résultats. Il doit rapprocher le Canada de ses objectifs de développement durable et faire progresser la réconciliation. 

Bien sûr, un découplage économique total d’avec les États-Unis n’est ni souhaitable ni réalisable. Le Canada doit négocier une fin à cette guerre commerciale néfaste afin de protéger totalement les emplois et les secteurs stratégiques du Canada. Cela demeure une priorité absolue. Cependant, le moment est venu de cesser d’attendre que Washington détermine notre avenir.

Arguments en faveur d’une stratégie industrielle

Pendant le Conseil canadien d’Unifor tenu en 2023, les déléguées et délégués ont adopté à l’unanimité une recommandation prônant des stratégies industrielles globales et dirigées par le gouvernement. Ces stratégies doivent être ancrées dans la consultation démocratique et le dialogue social, axées sur les besoins de la population active et des communautés, en plus d’être harmonisées avec les objectifs sociaux et environnementaux du Canada.

Cette demande est une réponse directe à quatre décennies de mauvaise gestion économique. Depuis les années 1980, les gouvernements canadiens qui se sont succédé, quelle que soit leur allégeance politique, ont adopté une approche de développement économique néolibérale fondée sur le libre marché. Ils ont versé des milliards de dollars de fonds publics à des entreprises en négligeant de les surveiller ou sans leur demander de rendre des comptes. Ils ont réduit considérablement l’impôt sur le capital, déréglementé les secteurs d’activité et vidé de sa substance la propriété de l’État. Ils ont mis en place un programme politique de libre-échange et une mondialisation dirigée par les entreprises, avec pour résultats une dépendance accrue et une profonde intégration avec les marchés étrangers, comme les États-Unis, pour la prospérité du pays.   

Les conséquences de cette approche sont évidentes et décrites ci-dessous.

  • Les actionnaires se sont enrichis, tandis que les travailleuses et travailleurs ont de la difficulté à conserver leur pouvoir d’achat. Les bénéfices des entreprises privées ont monté en flèche, celles-ci s'emparant de parts records du revenu national.
  • La propriété étrangère des actifs canadiens s’est élevée progressivement, limitant le contrôle de l’État sur des secteurs clés.
  • Les inégalités de revenus ont atteint des sommets, tandis que les systèmes de soutien, comme l’assurance-emploi, se sont érodés.
  • La sous-traitance, le travail précaire et la baisse du taux de syndicalisation ont pour résultat qu’une part de plus en plus grande de la population n’arrive pas à joindre les deux bouts à la fin du mois.
  • La privatisation des services essentiels a augmenté les coûts et rendu difficile l’accès à ces services pour les citoyennes et citoyens dans le besoin.

L’économie du Canada ne fonctionne pas à plein régime. Malgré son vaste territoire, ses ressources abondantes, sa capacité de production d’énergie propre, sa main-d’œuvre de calibre mondial, la stabilité de sa démocratie et sa population diversifiée et de plus en plus nombreuse, le Canada accuse un retard important par rapport à ses pairs au chapitre de la croissance et de la productivité industrielles. Le Canada n’exploite pas son plein potentiel, et cela n’est pas dû à un hasard, mais le résultat direct de mauvais choix politiques. 

Les stratégies industrielles globales et dirigées par le gouvernement ne sont pas un subterfuge ou le rêve d’économistes progressistes. Au contraire, elles représentent une approche planifiée et coordonnée en matière de production économique, qui privilégie la participation des parties intéressées, ainsi que celle de tous les ordres de gouvernement, des travailleuses et travailleurs et de leurs syndicats, des populations locales et des peuples autochtones. Les stratégies industrielles s’appuient sur la transparence et l’obligation de rendre des comptes, puisque toute bonne politique exige des résultats mesurables et définit clairement les objectifs à atteindre. Aussi, les stratégies industrielles nécessitent bien sûr des ressources suffisantes et des outils de réglementation, ainsi que des mesures de protection pour les investissements, des objectifs clairement définis et un plan rationnel garant de succès.

Le système économique actuel du Canada est défaillant, car il est fortement axé sur l’enrichissement des actionnaires, le pouvoir incontrôlé des entreprises et l’impuissance croissante du gouvernement. Des stratégies industrielles globales et dirigées par le gouvernement représentent une nouvelle voie d’avenir pour favoriser une économie durable plus inclusive dans laquelle personne n'est laissé pour compte.

Rebâtir l’économie, redéfinir les priorités

Unifor est depuis toujours aux premières lignes de la défense des intérêts politiques et économiques des travailleuses et travailleurs. En effet, dès sa fondation, le syndicat s’est fait le défenseur d’une nouvelle forme de développement économique, ancrée dans la démocratie en milieu de travail et exprimée par les luttes ouvrières et le militantisme social. Par des campagnes publiques, des activités de lobbying et des propositions de politiques détaillées, le syndicat a à maintes reprises demandé aux gouvernements de jouer un rôle plus actif dans l’économie.

Le programme « Rebâtir en mieux » d’Unifor, initialement élaboré en réaction à la pandémie de COVID-19, suggère aux gouvernements des moyens de rebâtir des économies plus robustes et plus justes. La pandémie a mis en évidence les dangers d’une mondialisation excessive et d’une surdépendance à l’égard de chaînes d’approvisionnement internationales vulnérables. Quelques années plus tard, la guerre tarifaire américaine expose encore une fois les mêmes dangers.

La progression de ce travail et l’élaboration de stratégies industrielles sont portées par un nouveau sentiment d’urgence dans le contexte de la guerre commerciale actuelle. En réaction aux tarifs douaniers américains, Unifor a publié une série de déclarations axées sur les différents secteurs, dans lesquelles il explique en détail ce qu’il faut faire pour protéger et développer les secteurs clés de l’économie suivants : 

Chacune de ces stratégies repose sur la vision d’une économie plus stable et plus équitable, où l’intérêt général et le contrôle démocratique priment sur la recherche de bénéfices à court terme.

Une nouvelle vision économique pour le Canada

La population canadienne veut plus et mérite mieux que ce qu’elle a présentement. Notre pays se trouve à un tournant, et les prochaines étapes détermineront l’avenir économique des prochaines générations.

Aux attaques commerciales répétées de Donald Trump, le Canada doit répondre avec vigueur, mais il ne doit pas s’arrêter là. Le moment est venu de redéfinir nos priorités et les paramètres d’une économie robuste et équitable, et de placer, ensuite, la population active et les collectivités au cœur de cette transformation.

Unifor propose les recommandations décrites ci-dessous pour donner au Canada une nouvelle vision économique.

  • Défendre l’intérêt national du Canada : Le gouvernement doit adopter une position plus dynamique pour défendre les secteurs d’activité et les emplois canadiens contre les pratiques commerciales étrangères déloyales. Pour ce faire, il doit obliger les entreprises à rendre des comptes. Unifor organisera une campagne pour demander aux gouvernements d’utiliser tous les outils à leur disposition pour favoriser le développement économique du Canada par le biais de politiques encourageant l’achat de biens et de produits fabriqués au Canada; pour pénaliser les entreprises qui agissent à l’encontre de l’intérêt économique national du Canada; pour obliger les entreprises qui vendent au Canada à investir au Canada.
  • Élaborer des stratégies industrielles démocratiques : Éclairées par un dialogue authentique avec les travailleuses et travailleurs et les partenaires du public, ces stratégies doivent investir dans l’autosuffisance industrielle; renforcer les secteurs stratégiques et les capacités de production; créer des emplois pour les populations locales. Unifor s’efforcera à mettre en place, dans les principaux secteurs, des tables sectorielles officielles chargées d’élaborer des stratégies visant à concevoir et à mettre en œuvre des programmes nationaux ambitieux de développement industriel. 
  • Promouvoir de bons emplois syndiqués : De bons emplois syndiqués sont le pilier d’une économie équitable et résiliente, et l’un des meilleurs moyens de faire en sorte que toute la population canadienne bénéficie équitablement de l’activité et de la production économiques. Le financement et les marchés publics doivent être liés aux normes du travail, aux retombées locales et à la sécurité d’emploi. Les lois fédérales et provinciales doivent permettre l’accréditation syndicale et faciliter la négociation collective libre. Unifor va militer pour que les futurs contrats du gouvernement respectent les droits dans le domaine du travail et les conditions de caractère syndical. Unifor va également mener une campagne pour demander l’amélioration des règlements provinciaux et fédéraux sur le travail, de façon à favoriser de bons emplois et des salaires élevés et à supprimer les obstacles à la syndicalisation. 
  • Mettre en œuvre un programme de commerce équitable : Le Canada doit abandonner son attachement aveugle au libre-échange et négocier plutôt des accords commerciaux qui accordent la priorité aux droits de la personne, à la responsabilité climatique et à l’équité économique. Il doit également réformer l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) durant la révision qui aura lieu six ans après son entrée en vigueur. Unifor s’opposera activement aux accords commerciaux qui favorisent les investisseurs au détriment des travailleuses et travailleurs, et lancera une mobilisation nationale afin de défendre les intérêts du Canada lors de la révision de l’ACEUM, prévue six ans après son entrée en vigueur.
  • Investir dans les services publics et des programmes universels : Des services publics efficaces réduisent les inégalités sociales et favorisent la résilience économique. Les gouvernements doivent élargir, plutôt que de diminuer, le filet de sécurité sociale du Canada. Unifor fera campagne pour défendre et étendre la portée des services publics au Canada, qui constituent un élément clé d’un programme de développement économique tourné vers l’avenir. En revanche, Unifor s’opposera farouchement aux tentatives gouvernementales de privatiser les services publics.
  • Favoriser la propriété canadienne et le contrôle par le Canada : Les actifs stratégiques comme les infrastructures essentielles, le secteur de la radiodiffusion et du numérique, et les ressources naturelles essentielles, devraient demeurer entre les mains d’intérêts canadiens. Le gouvernement doit donner aux entreprises, à la population active et aux collectivités du pays les moyens d’orienter l’avenir de notre économie. Unifor s’efforcera de mettre en œuvre une stratégie du gouvernement canadien, des Premières Nations, des Métis et des Inuits, afin d’assurer la propriété, le contrôle et la gestion démocratique des secteurs d’activité, des programmes et des ressources essentiels du pays.
  • Développer les compétences et favoriser la sécurité pour l’économie de demain : Bâtir une économie plus résiliente, autonome et durable nécessitera une approche comptant sur la mobilisation de toutes les parties intéressées.  Le Canada doit investir dans le développement des compétences pour former adéquatement les travailleuses et travailleurs, intégrer au marché  les travailleuses et travailleurs traditionnellement exclus et améliorer la gestion des nouvelles technologies, notamment l’intelligence artificielle, entre autres innovations adoptées dans les lieux de travail.  Unifor fera campagne pour réclamer des changements progressistes au régime d’assurance-emploi du Canada, dans le cadre de stratégies industrielles sectorielles qui tiennent compte des transitions en milieu de travail, de la formation aux compétences de l’avenir et d’une planification plus rigoureuse du marché du travail.  Unifor lancera et dirigera également un dialogue mené par les travailleuses et travailleurs sur l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies au Canada. 

Pour le moment, le Canada doit imaginer un avenir au-delà de la crise actuelle. S’il est urgent de répondre aux menaces économiques posées par le président Trump, la vision que nous suggérons va beaucoup plus loin. Elle propose de bâtir une économie qui sera l’expression de qui nous sommes et de ce en quoi nous croyons. Une économie ancrée dans la solidarité, le développement durable et la justice sociale. Une économie organisée en fonction des personnes – pas seulement pour engranger des bénéfices.