Introduction
Unifor est le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, représentant 320 000 travailleuses et travailleurs dans pratiquement tous les grands secteurs de l’économie. Unifor représente environ 120 000 membres dans des milieux de travail dépendants du commerce, notamment dans les secteurs de la fabrication, de l'énergie et des transports, entre autres.
Interventions antérieures d'Unifor sur le fonctionnement de l'ACEUM
Unifor a joué un rôle actif dans la renégociation tripartite de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), l'accord qui a précédé l'ACEUM, en 2017-2018. Unifor a présenté une critique sur le fonctionnement général de l'ALENA, en vigueur depuis plusieurs décennies, notamment en ce qui concerne l'incapacité de l'accord à protéger les droits et les salaires des travailleuses et travailleurs contre la concurrence déloyale, le fait qu'il permette la délocalisation d'emplois vers des juridictions à bas salaires en Amérique du Nord et les privilèges qu'il accorde aux investisseurs privés pour contester les lois jugées défavorables à la réalisation de profits, avec le pouvoir de poursuivre efficacement les gouvernements en dommages-intérêts, entre autres préoccupations. Ces critiques, ainsi que de nombreuses propositions de réforme, sont documentées dans la déclaration de position d'Unifor de juillet 2017 sur la renégociation de l'ALENA.[1]
L'accord de l’ACEUM qui a suivi, tout en conservant bon nombre des caractéristiques de la politique commerciale de l'ALENA initial (ainsi que certaines concessions notables accordées par le Canada aux États-Unis)[2], a renforcé les exemptions nécessaires pour l'industrie artistique et culturelle canadienne et a également introduit des dispositions novatrices visant à remédier à certaines inégalités structurelles dans le commerce nord-américain et à préserver des politiques nationales clés. Parmi les dispositions les plus notables de l'ACEUM figure le nouveau mécanisme de réaction rapide pour des enjeux liés au travail, un mécanisme d'application visant à garantir le respect des libertés de négociation collective et d'association dans les relations de travail au Mexique. En outre, le nouvel accord comprend un chapitre consacré au travail qui contient des dispositions générales visant à combler les lacunes en matière d'application, ainsi que des garde-fous protégeant l'industrie culturelle canadienne et préservant les droits de souveraineté économique des peuples autochtones. Ces dispositions, parmi d'autres, reflètent les résultats positifs d'une consultation exhaustive et sans précédent des parties prenantes, y compris les syndicats.
En mai 2024, la présidente d'Unifor, Lana Payne, a témoigné devant le Comité permanent du commerce international (CIIT) de la Chambre des communes dans le cadre de son étude préparatoire sur l'ACEUM avant son examen triennal prévu. Dans ce témoignage, la présidente Payne a exprimé son malaise face aux signaux de perturbation et d'inquiétude pour l'économie canadienne envoyés par les responsables de l'administration américaine dans le cadre de cet examen de l'ACEUM. Le message délivré par Unifor était lque « le Canada ne peut pas aborder cet examen sur la défensive » et que les responsables gouvernementaux « doivent rappeler aux Américains à quel point nos économies industrielles sont aujourd’hui interdépendantes, mais nous ne devons pas non plus craindre d’exprimer nos propres préoccupations ».[3]
En octobre 2024, Unifor a soumis à Affaires mondiales ses réflexions sur les premières années de fonctionnement de l'ACEUM, y compris les disparités, les insuffisances et les lacunes persistantes, ainsi que certains aspects positifs[4]. Dans ce mémoire, qui complète le message transmis au CIIT, Unifor a proposé 15 recommandations spécifiques à l'intention des responsables canadiens, qui peuvent être consultées ici : https://www.unifor.org/fr/ressources/nos-ressources/memoire-dunifor-presente-dans-le-cadre-des-consultations-du-gouvernement
Aborder l'examen de l'ACEUM après six ans dans un nouveau contexte politique
Le paysage politique et économique nord-américain actuel est très différent de ce qu'il était en octobre 2024, lorsque Affaires mondiales a consulté la population canadienne pour la dernière fois au sujet de l'ACEUM. Les États-Unis ont clairement fait part de leur intention de renégocier (et non simplement de renouveler) l'ACEUM avec le Canada et le Mexique, et comptent utiliser le mécanisme de retrait prévu à l'article 34 de l'ACEUM pour s'assurer un avantage dans les négociations. La menace de retrait des États-Unis de l'ACEUM et leur volonté apparente de saper leur propre politique étrangère, menée depuis des décennies, en faveur d'une intégration continentale plus profonde, constituent une trahison flagrante des relations bilatérales et une manipulation du pouvoir de marché américain. L’inconfort suscité avec le recours à la clause de renouvellement pour faire pression sur les voisins nord et sud des États-Unis afin qu'ils fassent des concessions est, comme l'a déclaré sans détour l'ancienne représentante américaine au commerce (USTR) de l'administration Biden, Katherine Tai, « une caractéristique, et non un défaut (bug) ».[5]
Cependant, les appels de l'administration Biden à restructurer l'ACEUM pour atteindre des objectifs stratégiques sont insignifiants par rapport à l'utilisation du commerce transfrontalier comme arme par l'administration Trump, qui a recouru à son influence politique et à l'extorsion pour détourner des investissements industriels et des emplois, imposer une influence et une autorité extraterritoriales sur l'agenda de sécurité nationale des pays étrangers et, pire encore, menacer la souveraineté canadienne.
L'imposition unilatérale par Trump de tarifs douaniers sur le Canada via la loi relative aux pouvoirs économiques en cas d’urgence internationale (International Emergency Economic Powers Act) annoncée en février 2025 (et entrée en vigueur en mars 2025) constituait un abus flagrant du pouvoir exécutif. D'un trait de plume, le président a sapé les principes fondamentaux du droit commercial international et le principe de négociation « de bonne foi ». L'imposition de tarifs douaniers en vertu de la loi relative aux pouvoirs économiques en cas d’urgence internationale sur les exportations de marchandises canadiennes a effectivement mis fin à l'application de l’ACEUM qui, comme l'a déclaré Unifor lors d'une réunion du CIIT le 20 octobre 2025, était un accord commercial « qui n’existe pratiquement que de nom ».[6]
Les tarifs douaniers imposés par la suite par les États-Unis au nom de la sécurité nationale, en particulier ceux sur les véhicules légers finis, constituent une abrogation totale d'un engagement négocié pris dans une lettre d'accompagnement adressée en 2018 par l'administration Trump au Canada.[7] Dans cette lettre, les États-Unis s'engageaient à donner au Canada un préavis de 60 jours avant d'imposer des tarifs douaniers au titre de l'article 232 sur les véhicules et les pièces détachées, afin de permettre aux deux pays d'engager des négociations bilatérales sur la marche à suivre appropriée. La lettre prévoyait également une exemption pour certains volumes d'exportations de véhicules finis en provenance du Canada. Aucun de ces engagements n'a été respecté.
Tarifs douaniers imposés par les États-Unis au Canada
Aujourd'hui, l'administration Trump a imposé un ensemble complexe de tarifs douaniers au titre de l'urgence nationale (la loi relative aux pouvoirs économiques en cas d’urgence internationale) et de la sécurité nationale (Trade Expansion Act, article 232) qui touchent les exportations de produits canadiens, notamment l'acier, l'aluminium, l'automobile, le cuivre et les produits du bois, pour commencer. Les tarifs douaniers imposés jusqu'à présent par le président s'ajoutent aux droits antidumping et compensateurs injustifiés que les États-Unis imposent depuis longtemps sur le bois d'œuvre canadien. Le nombre de produits canadiens soumis aux tarifs douaniers américains devrait augmenter dans les semaines et les mois à venir, le département du Commerce menant actuellement des enquêtes supplémentaires sur la sécurité nationale concernant des produits industriels tels que les produits pharmaceutiques, l'aérospatiale, les semi-conducteurs et autres. Le département américain du Commerce continue également d'augmenter le nombre de produits couverts par les ordonnances tarifaires existantes au titre de l'article 232.
Considérations stratégiques pour le renouvellement de l'ACEUM
Les tarifs douaniers imposés par l'administration Trump depuis l'entrée en fonction du président démontrent que les États-Unis sont un partenaire commercial hypocrite et peu fiable. Cela est important alors que le Canada se prépare à discuter avec les États-Unis du renouvellement de l'ACEUM.
Le premier ministre Carney a souligné à plusieurs reprises que, malgré l'agressivité commerciale sans précédent des États-Unis, le Canada se trouve dans une situation relativement meilleure que d'autres pays, si l'on en juge par la part des marchandises exportées soumises à des tarifs douaniers. Le premier ministre a également déclaré que, dans le contexte actuel de la politique tarifaire américaine, il est trompeur de minimiser ainsi les répercussions économiques des tarifs douaniers américains sur l'économie industrielle du Canada. À mesure que les États-Unis mettent en œuvre de nouvelles tranches de tarifs douaniers au titre de l'article 232 et élargissent la gamme de produits visés par les ordonnances existantes, la part des marchandises soumises à des tarifs douaniers augmentera, tout comme la pression sur les travailleuses et travailleurs canadiens, leurs employeurs et l'économie industrielle dans son ensemble.
L'opinion du premier ministre selon laquelle le Canada a conclu « le meilleur accord commercial de tous les pays »[8] reflète principalement le fait que les tarifs douaniers américains au titre de la loi relative aux pouvoirs économiques en cas d’urgence internationale exemptent les exportations conformes à l'ACEUM. Mais comme on l'a vu la semaine dernière (lorsque Trump a menacé d'augmenter unilatéralement les tarifs douaniers sur le Canada en représailles aux publicités télévisées du gouvernement de l'Ontario), il est inexact de suggérer que le Canada conserve un avantage sur les autres partenaires commerciaux des États-Unis. La dynamique de l'intégration industrielle du Canada avec les États-Unis est unique en son genre, beaucoup plus interdépendante et disproportionnellement grevée par les tarifs douaniers. L'ACEUM lui-même n'offre rien de plus qu'un faux sentiment de sécurité.
La conformité à l'ACEUM a atténué une partie du fardeau des tarifs douaniers américains pour les exportateurs canadiens. Mais ce n'est pas l’ACEUM lui-même qui offre une sécurité aux exportateurs canadiens. C'est plutôt l'existence d'une exemption de l’ACEUM dans le cadre des mesures exécutives imposant des tarifs douaniers par le président qui offre cette protection. Il est donc erroné de considérer l'ACEUM comme un bouclier durable pour l'économie canadienne. Il est également erroné d'aborder la renégociation de l'ACEUM en 2026 avec désespoir et avec le désir de renouveler l'accord commercial, quels que soient les coûts concessionnels pour l'économie, la main-d'œuvre et la souveraineté du Canada. En fait, compte tenu de la dépendance importante des États-Unis à l'égard des importations transfrontalières en provenance du Canada, qu'il s'agisse de ressources naturelles, d'intrants intermédiaires ou de produits finis, il est tout aussi probable que l'exemption prévue par l'ACEUM soit une nécessité stratégique pour les États-Unis.
Le Canada doit aborder sa stratégie de négociation en comprenant que les biens intermédiaires exempts de tarifs douaniers, en Amérique du Nord, sont très importants pour les États-Unis – et que le Canada dispose d'un moyen de pression dans ces négociations. L'administration Trump a déployé des efforts considérables pour préserver la dérogation à l'ACEUM, le traitement spécial accordé au pétrole, au gaz, à la potasse et à d'autres ressources essentielles du Canada, ainsi que le traitement spécial accordé aux pièces automobiles canadiennes dans le cadre du complexe système américain de compensation tarifaire pour les pièces automobiles.
Il est difficile d'imaginer que les États-Unis, du moins au cours des 12 prochains mois, suppriment une exemption tarifaire à l'importation conforme à l'ACEUM qui permet à l'administration d'adopter une position agressive dans les négociations avec ses partenaires commerciaux étrangers, sans pour autant déstabiliser complètement l'économie industrielle américaine. Le président Trump a traité le Canada (et le Mexique) avec précision et prudence. Dans le même temps, il est également difficile d'envisager un scénario dans lequel les trois parties à l'ACEUM s'accorderaient pleinement sur le renouvellement de l'accord en juillet 2026. Compte tenu de la préférence manifeste du président Trump pour les tactiques de négociation perturbatrices et la stratégie consistant à « inonder la zone[9] », ainsi que de sa dépendance évidente à l'égard des intrants en provenance du Canada et du Mexique exempts de tarifs douaniers, il est probable que les États-Unis choisissent de ne pas renouveler l'ACEUM en 2026, déclenchant ainsi un processus de retrait progressif de 10 ans qui permettra aux parties de poursuivre les négociations en vue de son renouvellement[10]. Cela offre aux États-Unis une stratégie à faible risque, qui préserve l'intégrité de l'ACEUM et satisfait leur désir d'importer sans tarifs douaniers en provenance du Canada et du Mexique. Les États-Unis peuvent également invoquer à tout moment la clause de retrait de six mois, mettant ainsi fin à l'accord, bien que (comme indiqué ci-dessus) cela puisse présenter un risque beaucoup plus important pour l'économie américaine.
Il est impératif que les négociateurs canadiens continuent de mener des discussions productives avec les États-Unis afin d'obtenir des accords qui protègent le secteur industriel canadien. Cela revêt une importance capitale. Que cela se fasse dans le cadre du processus de renouvellement de l'ACEUM ou non est une autre question. Le Canada dispose d'un levier exceptionnel et doit l'utiliser pour négocier des conditions et des protections équitables pour les millions de travailleuses et travailleurs qui sont directement et indirectement visés par les mesures commerciales injustes des États-Unis, notamment l'imposition de tarifs douaniers au nom de la « sécurité nationale » sur des secteurs clés.
Le Canada et les États-Unis entretiennent une relation commerciale unique. Aucun autre pays ne partage une histoire d'interdépendance transfrontalière et d'intégration de la chaîne d'approvisionnement qui s'étend sur plusieurs décennies, depuis le Pacte automobile Canada-États-Unis de 1965. Le Canada mérite un accord exceptionnel, qui supprime les tarifs douaniers sur les secteurs stratégiques, compte tenu du caractère exceptionnel de cette relation commerciale.
Dans le cadre de la préparation des renégociations de l'ACEUM, Unifor exhorte les négociateurs canadiens à tenir compte des déficiences opérationnelles et des autres préoccupations exprimées ci-dessous. Cependant, dans le contexte d'un différend commercial beaucoup plus vaste et complexe entre le Canada et les États-Unis, Unifor exhorte le Canada à se préparer également à ne pas prolonger l'accord si celui-ci ne protège pas l'économie industrielle, porte atteinte à notre souveraineté nationale et ne sert pas les intérêts supérieurs du Canada.
Réflexions sur le fonctionnement de l'ACEUM (2020-2025) et recommandations d'amélioration
L'ACEUM n'offre actuellement aucune certitude aux travailleuses et travailleurs et aux exportateurs canadiens dans un contexte de changement de la politique commerciale américaine et d'attaques tarifaires persistantes.
L'Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) n'a pas réussi à offrir la certitude promise aux exportateurs canadiens. La mise en œuvre unilatérale de tarifs douaniers exécutifs sur les marchandises importées par les États-Unis a annulé le traitement tarifaire préférentiel négocié dans le cadre de l'accord, violant ainsi directement ses modalités.
Le Canada a fait d'importantes concessions aux États-Unis lors des négociations de l'ACEUM, notamment des réformes des règles en matière de propriété intellectuelle et un accès élargi au marché laitier canadien. Ces compromis étaient justifiés par la garantie d'un accès préférentiel, prévisible et à long terme au marché américain. Cependant, l'imposition de nouveaux tarifs douaniers américains a rendu ces avantages négociés nuls et non avenus.
Dans le cadre de la politique commerciale actuelle des États-Unis, certaines chaînes d'approvisionnement nord-américaines sont désavantagées par l'ACEUM, par rapport aux conditions commerciales plus favorables offertes aux fournisseurs étrangers.
L'ACEUM était censé renforcer la compétitivité nord-américaine dans l'économie mondiale. Au lieu de cela, il impose désormais aux exportateurs canadiens et mexicains des tarifs douaniers disproportionnés, un problème encore exacerbé par les récents tarifs douaniers imposés en vertu de l'article 232 sur les camions lourds et les autobus.
Parallèlement, les accords-cadres conclus entre les États-Unis et des partenaires non membres de l'ACEUM, tels que l'Union européenne, la Corée du Sud, le Japon et le Royaume-Uni, ont permis de réduire les tarifs douaniers, malgré la faible teneur en contenu nord-américain des produits fabriqués. Cela crée des avantages à l'exportation pour les entreprises qui s'approvisionnent peu en Amérique du Nord, au détriment des entreprises canadiennes et mexicaines qui dépendent fortement des chaînes d'approvisionnement régionales.
Le bois d'œuvre résineux en est un exemple flagrant. Les tarifs douaniers américains élevés et persistants sur le bois d'œuvre canadien ont entraîné une augmentation des importations en provenance d'Europe et d'autres régions, sans augmentation correspondante de la production nationale américaine. Les producteurs américains ne peuvent tout simplement pas répondre à la demande intérieure, mais le Canada continue de faire face à des sanctions commerciales injustifiées.
Les parties à l'ACEUM doivent s'attaquer aux violations persistantes des droits du travail et des droits de la personne.
Bien que des mesures positives aient été prises dans le cadre du mécanisme de réaction rapide, l'ACEUM n'a pas complètement remédié aux violations persistantes des droits du travail aux États-Unis et au Mexique, qui constituent toutes deux des pratiques commerciales déloyales au sens de l'accord. Il existe des preuves documentées d'ingérence de la part des employeurs et de l'État, ainsi que d'intimidation, dans les campagnes de syndicalisation menées dans les deux pays.
Cela inclut des incidents très médiatisés tels que la campagne de syndicalisation de 2024 à l'usine d'assemblage Mercedes-Benz de Vance, en Alabama, un État qui se bat pour le droit au travail (Right to Work). Dans le cadre du mécanisme de réaction rapide, ces violations sont passibles de poursuites lorsqu'elles se produisent au Mexique, mais pas lorsqu'elles se produisent aux États-Unis. Cette asymétrie représente une faille importante dans la conception du mécanisme de réaction rapide, qui sape le principe de l'application réciproque.
Les règles de l'ACEUM doivent encourager la production locale et limiter la dépendance à l'égard des importations dans les chaînes d'approvisionnement stratégiques.
La structure de l'ACEUM continue de décourager la production locale, en particulier dans le secteur automobile, ce qui entraîne une pénétration accrue des importations et une instabilité persistante de l'emploi. Les faibles seuils tarifaires de la nation la plus favorisée réduisent les incitations pour les importateurs à se conformer aux règles d'origine complexes de l'ACEUM. Dans de nombreux cas, il est moins coûteux de payer le tarif de la nation la plus favorisée que de restructurer les chaînes d'approvisionnement pour répondre aux exigences nord-américaines en matière d'approvisionnement.
Le taux tarifaire américain de la nation la plus favorisée pour les véhicules finis, à l'exclusion des nouveaux tarifs l’article 232 ou de loi relative aux pouvoirs économiques en cas d’urgence internationale, reste de seulement 2,5 %. En revanche, le respect des règles d'origine de l'ACEUM – qui exigent que 75 % de la valeur d'un véhicule provienne d'Amérique du Nord – peut impliquer de nouveaux investissements dans des biens d'origine locale et d'autres mesures de conformité qui imposent des coûts aux exportateurs.
Lors d'une audience de la Commission du commerce international des États-Unis en octobre 2024, des témoins ont estimé que 20 % des véhicules importés du Mexique ne respectaient pas les nouvelles règles commerciales applicables à l'automobile, contre seulement 2 % dans le cadre de l'ALENA cinq ans plus tôt. Cela démontre le fardeau croissant que représente la mise en conformité et l'incapacité d'un faible taux tarifaire de la nation la plus favorisée à encourager davantage d'investissements régionaux.
Les partenaires de l'ACEUM doivent remédier à ce déséquilibre structurel afin de mieux aligner les volumes d'importation et de production nationale. Si les États-Unis sont les principaux responsables de ces distorsions, le Canada et le Mexique auraient dû être totalement exemptés des tarifs douaniers prévus à l'article 232, y compris sur les véhicules légers et les pièces automobiles, conformément à l'accord bilatéral parallèle.
En outre, les parties à l'ACEUM devraient envisager d'étendre des règles similaires en matière de production locale et de contenu local à d'autres secteurs à forte valeur ajoutée et commercialisables, lorsque cela est possible, comme l'aérospatiale.
Progrès limités en matière de salaires des travailleuses et travailleurs mexicains dans le cadre des dispositions de l’ACEUM relatives au travail.
Les nouvelles dispositions de l’ACEUM en matière de travail ont contribué à démocratiser la représentation syndicale et à améliorer les négociations collectives au Mexique, mais elles n'ont pas entraîné d'augmentations salariales significatives. Des études montrent que les travailleuses et travailleurs mexicains de l'automobile n'ont bénéficié que d'augmentations salariales nominales marginales entre 2020 et 2022, augmentations qui ont été largement compensées par une inflation élevée.
Ces progrès limités reflètent en partie la flexibilité inhérente à la disposition relative à la valeur ajoutée locale des règles d'origine applicables à l'automobile, qui permet de faire passer la part requise de « salaires élevés » de 40 % à 25 % par véhicule. De plus, les règles de la valeur ajoutée locale de l'ACEUM n'établissent pas de salaire minimum obligatoire de 16 dollars américains de l'heure pour les travailleuses et travailleurs de l'automobile. Elles fixent plutôt une exigence de salaire moyen pour les ouvriers de production dans certaines installations, une distinction souvent mal comprise dans les commentaires publics.
Inégalité de traitement de l'aluminium dans les règles d'origine applicables aux véhicules automobiles.
Les règles d'origine applicables aux véhicules automobiles prévues par l'ACEUM traitent les intrants en aluminium de manière moins favorable que l'acier. Alors que les deux matériaux sont soumis aux mêmes seuils d'approvisionnement pour les véhicules, seul l'acier doit être fondu et coulé en Amérique du Nord.
Il est essentiel d'étendre des règles similaires à l'aluminium, en exigeant que l'aluminium admissible soit à la fois fondu et, plus récemment, coulé en Amérique du Nord, afin de concrétiser les avantages escomptés des dispositions relatives à l'automobile et de garantir l'intégrité de la chaîne d'approvisionnement dans toute la région.
Amélioration du mécanisme de réaction rapide lié aux enjeux de travail.
Le mécanisme de réaction rapide lié aux enjeux de travail de l'ACEUM est prometteur, mais nécessite des améliorations importantes. Par exemple, il ne permet pas de traiter les violations des droits du travail qui faussent les échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.
Unifor a été le premier syndicat canadien à déposer une plainte dans le cadre du mécanisme de réaction rapide, visant le fabricant de pièces automobiles Frankische, qui opère au Mexique. Cette affaire a abouti à une campagne de syndicalisation couronnée de succès et à la création d'un syndicat indépendant. Des dizaines d'autres litiges relevant du mécanisme de réaction rapide ont donné des résultats positifs pour les travailleuses et travailleurs qui cherchaient à obtenir une représentation syndicale indépendante et démocratique.
Afin de renforcer le mécanisme, plusieurs réformes sont nécessaires, notamment les suivantes :
La définition de la « privation de droits » doit être élargie afin d'inclure les violations autres que celles liées à la liberté d'association et à la négociation collective, telles que celles liées à la santé et à la sécurité, à la discrimination et au travail des enfants.
Les parties doivent élargir le nombre d'« installations couvertes » et de secteurs admissibles à une action dans le cadre du mécanisme de réaction rapide.
Les parties doivent garantir la sécurité et la protection des témoins impliqués dans les affaires dans le cadre du mécanisme de réaction rapide.
Le Canada doit créer son propre organisme consultatif fédéral, similaire au Comité indépendant d'experts sur le travail au Mexique du gouvernement américain, afin de superviser la mise en œuvre et l'examen.
Protection continue des arts et de la culture canadiens grâce au maintien de l'« exemption culturelle » nécessaire prévue au chapitre 32.
Dans le cadre de l'ACEUM, le Canada a conservé une exemption relativement large de ses industries culturelles aux termes et conditions de l'accord commercial, comme le prévoit l'article 32.6 (2). Cette « exemption culturelle » donne au Canada une grande latitude pour promouvoir, réglementer et soutenir sa culture, notamment le cinéma et la télévision, les arts du spectacle, l'édition et la distribution, entre autres. L'exemption s'applique à tous les chapitres de l'accord, y compris les services numériques.
Le soutien financier et réglementaire direct et explicite accordé aux produits culturels, aux artistes, aux agences, aux prestataires de services, etc. exclusivement canadiens constitue une discrimination intrinsèque à l'égard des fournisseurs étrangers de produits culturels et, à ce titre, n'est pas conforme à l'esprit ou à l'intention des disciplines du « libre-échange » (par exemple, l'accès non discriminatoire au marché et le traitement national), y compris celles qui sont inscrites dans l'ACEUM.
Les industries culturelles canadiennes, ainsi que les mesures réglementaires et de financement qui les soutiennent, sont constamment menacées par les fournisseurs américains. La frontière commune, la langue commune (à l'exception de la langue québécoise et des langues autochtones) et les économies d'échelle dont bénéficient les producteurs américains créent des conditions propices à l'exportation culturelle américaine et au déplacement de la culture canadienne, parmi les nombreuses vulnérabilités de la société canadienne exposées par le libre-échange américain. Cette exemption doit être étroitement surveillée lors de la prochaine révision de l'ACEUM.
Application incohérente des interdictions relatives au travail forcé.
Les parties à l'ACEUM adoptent des approches incohérentes pour faire respecter l'interdiction des marchandises produites par le travail forcé. Le Canada a modifié son tarif douanier afin d'interdire les importations de marchandises fabriquées en tout ou en partie par le travail forcé, s'alignant ainsi sur les pouvoirs similaires détenus par les douanes et la protection des frontières américaines.
Cependant, l'application de la loi au Canada reste faible. La disparité entre les pratiques d'application de la loi au Canada et aux États-Unis compromet l'intégrité de la chaîne d'approvisionnement régionale et crée des possibilités d'exploitation.
Financement insuffisant des initiatives en matière de droits du travail et d'assistance technique.
Les parties à l'ACEUM ne respectent pas leurs engagements à financer des projets d'assistance technique visant à renforcer les droits du travail et les capacités d'application. Le projet d'assistance technique de quatre ans mené par Unifor au Mexique a remporté un succès notable, mais son financement a pris fin et le gouvernement américain a réduit les ressources allouées à son propre programme de travail au Mexique.
Ce financement pour les travaux d'assistance technique doit être renouvelé. Au-delà du cadre actuel de l'ACEUM, le Canada, les États-Unis et le Mexique devraient établir un accord continental contraignant visant à améliorer les droits du travail dans l'ensemble des chaînes d'approvisionnement et à tirer parti des progrès réalisés dans le chapitre sur le travail de l'ACEUM.
Conclusion
Après cinq ans de mise en œuvre, l'ACEUM n'a pas réussi à offrir la prévisibilité et l'équité promises aux exportateurs et aux travailleuses et travailleurs canadiens. Les tarifs douaniers unilatéraux pris par les États-Unis sous le prétexte de l'urgence nationale et de la sécurité ont sapé l'esprit et la lettre de l'ACEUM, annulant les avantages que le Canada avait obtenus au prix de concessions difficiles. Ces mesures ont déstabilisé les industries, affaibli la confiance dans l'intégration commerciale nord-américaine et mis en péril des milliers d'emplois dépendants des exportations. Le Canada ne peut continuer à accepter un accord qui laisse son économie industrielle vulnérable aux mesures arbitraires et aux manipulations politiques des États-Unis.
En vue de la révision prévue de l'ACEUM après six ans, le Canada doit adopter une stratégie de négociation ferme et fondée sur des principes, axée sur la réciprocité, l'équité et la protection de la souveraineté nationale. Les négociateurs canadiens doivent rejeter l'idée selon laquelle le renouvellement de l'accord à tout prix sert l'intérêt national. Ils doivent plutôt insister pour que tout cadre renouvelé rétablisse les garanties fondamentales du commerce sans tarifs douaniers et du règlement des différends exécutoire. Un accord crédible doit éliminer l'application asymétrique des dispositions relatives au travail et des dispositions relatives aux droits de la personne, renforcer les règles d'origine afin d'encourager la production régionale et protéger les secteurs stratégiques contre l'escalade capricieuse des tarifs douaniers américains. L'objectif du Canada ne peut se limiter à préserver l'accès au marché; il doit être de garantir un système durable, fondé sur des règles, qui protège les travailleuses et travailleurs et les industries contre les interventions unilatérales des États-Unis.
Ultimement, la participation du Canada à l'ACEUM doit dépendre de la capacité de l'accord à protéger les bons emplois, à promouvoir le commerce équitable et à défendre la souveraineté du Canada. Les négociateurs fédéraux doivent être prêts à rejeter un accord imparfait s'il ne répond pas à ces critères. Un cadre commercial continental renouvelé ou repensé devrait refléter les réalités de la production partagée, de la dépendance mutuelle et de la nécessité d'une résilience économique. Avant tout, il doit placer les travailleuses et travailleurs, véritables moteurs de la prospérité de l'Amérique du Nord, au centre de sa conception et de son objectif.
[1]Énoncé de position d'Unifor sur la renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain (juillet 2017) : https://www.unifor.org/sites/default/files/legacy/attachments/enonce_de_position_dunifor_sur_la_renegociation_de_laccord_de_libre-echange_nord-americain_alena.pdf
[2] Voir le sommaire sur l'ACEUM d'octobre 2018, préparé par le Service de recherche d'Unifor : https://www.unifor.org/sites/default/files/legacy/attachments/usmca_uniforanalysis_oct2018_fre.pdf
[3]Observations d'Unifor devant le Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes (30 mai 2024), prononcées par la présidente nationale Lana Payne : https://www.unifor.org/fr/nouvelles/toutes-les-nouvelles/observations-dunifor-devant-le-comite-permanent-du-commerce
[4] Un meilleur accord pour le Canada : corriger les lacunes du commerce nord-américain, mémoire présenté à Affaires mondiales Canada par Unifor (31 octobre 2024) : https://www.unifor.org/fr/ressources/nos-ressources/memoire-dunifor-presente-dans-le-cadre-des-consultations-du-gouvernement
[5] Alexander Panetta, « U.S. trade czar: Don’t get ‘too comfortable’ North American trade pact will stay as is », extrait de CBC News (6 mars 2024) : https://www.cbc.ca/news/world/tai-brookings-usmca-comments-1.7135517
[6]Témoignage de Lana Payne (20 octobre 2025) devant le Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes : https://www.unifor.org/fr/nouvelles/toutes-les-nouvelles/temoignage-de-lana-payne-devant-le-comite-permanent-du-commerce
[7] Pour plus de détails sur la lettre d'accompagnement de l'ACEUM sur le secteur automobile, voir : https://www.international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/cusma-aceum/article-232.aspx?lang=fra. Pour le texte intégral, voir : https://www.international.gc.ca/trade-commerce/assets/pdfs/agreements-accords/cusma-aceum/lettre-232automobiles.pdf
[8]Discours en direct du premier ministre sur le plan du Canada visant à renforcer l'économie, avant le budget 2025 (22 octobre 2025) : https://www.pm.gc.ca/fr/nouvelles/discours/2025/10/22/allocution-direct-du-premier-ministre-plan-du-canada-visant-renforcer
[9]Husain, Mishal. « Mark Carney: ‘I’ve Learned Lots of Things From Trump » dans Bloomberg : The Weekend Interview (16 octobre 2025), https://www.bloomberg.com/features/2025-mark-carney-weekend-interview/
[10] Texte intégral de l'ACEUM. Voir l'article 34.7 (Examen et reconduction) : https://www.international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/cusma-aceum/text-texte/34.aspx?lang=fra