Mémoire d’Unifor présenté dans le cadre des consultations du gouvernement du Canada sur l’ACÉUM Unifor submission to the Government of Canada consultations on CUSMA

Un meilleur accord pour le Canada : corriger les lacunes du commerce nord-américain

Mémoire présenté dans le cadre des consultations du gouvernement du Canada sur le fonctionnement de l'Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACÉUM)

Présentation

Unifor est le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, représentant 320 000 travailleuses et travailleurs dans tous les grands secteurs de l’économie. Unifor représente des dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs dans des milieux de travail exposés au commerce, notamment dans les secteurs de la fabrication, de l'énergie et du transport. Notre syndicat se réjouit de l'occasion qui lui est donnée d'apporter sa contribution à Affaires mondiales Canada relativement à l’application de l'Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACÉUM), en vigueur depuis juillet 2020. 

En 2017, Unifor a présenté une vaste critique des résultats de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) – l’accord qui a précédé l’ACÉUM) – ainsi que de nombreuses propositions de réformes de l’accord lui-même[1]. Pour les travailleuses et les travailleurs du Canada, des États-Unis et du Mexique, le commerce dans le cadre de l’ALÉNA a constitué un échec politique. L’élargissement de l’accès au marché pour le commerce transfrontalier de biens et de services ainsi que pour l’investissement étranger, et l’absence de protections adéquates sur le marché du travail, ont gravement compromis la qualité des emplois, réduit les salaires, affaibli les droits du travail et exacerbé les inégalités sociales. À l’époque, Unifor voyait la renégociation de l’ALÉNA comme une « occasion historique » de repenser et de réformer les modalités du commerce nord-américain.       

Le gouvernement fédéral a eu le mérite d'entreprendre un effort sans précédent de mobilisation des intervenants de la société civile en sollicitant les opinions et les idées des membres  d’Unifor ainsi que des travailleuses et des travailleurs en général. Les commentaires et les recommandations formulées par les syndicats se reflètent dans certaines parties du texte final de l’ACÉUM.

L’accord révisé comprend des normes améliorées et applicables en matière de travail et d’environnement, ainsi qu’un nouveau mécanisme de règlement des différends pour défendre les droits et libertés fondamentaux des travailleuses et travailleurs au Mexique. Les mesures de soutien au travail comprennent également un financement dédié à l’assistance technique pour des projets menés par des syndicats canadiens (dont un projet visant à établir plusieurs centres d’action communautaires pour les travailleuses et travailleurs dans les centres industriels mexicains, sous la direction d’Unifor), pour aider les travailleuses et travailleurs mexicains à exercer leurs droits élargis dans le cadre de l’accord commercial, et grâce aux récents efforts de réforme du travail au Mexique. 

Le nouvel accord a partiellement démantelé un régime de droits des investisseurs décrié qui sapait l’autorité réglementaire du gouvernement. Il a éliminé les dispositions relatives à la garantie d’approvisionnement (la clause de la proportionnalité) qui limitaient la surveillance nationale et la réglementation publique des ressources énergétiques canadiennes. Il a préservé d’importantes exemptions pour les industries culturelles du Canada et introduit de nouvelles protections pour le développement économique autochtone. Il a également eu pour effet d’élargir les règles de contenu régional qui permettent à un véhicule construit en Amérique du Nord, ou à un de ses composants, de bénéficier de l’élimination des tarifs douaniers.

Malgré ces avancées considérables, Unifor a exprimé son scepticisme quant à la question de savoir si le « nouvel ALÉNA » constituait un changement de cap significatif en matière de commerce. Hormis les amendements notables et progressistes énumérés ci-dessus, l’ALÉNA d’origine restait essentiellement inchangé. Les nouvelles protections du travail et les règles plus strictes en matière de contenu nord-américain pour les automobiles, par exemple, semblaient être une victoire hypothétique jusqu’à ce qu’elles soient mises en pratique. Pis encore, après avoir cédé aux demandes des États-Unis d’élargir les droits de propriété intellectuelle à certains produits pharmaceutiques et d’élargir l’accès au marché des produits laitiers importés, l’ACÉUM a laissé le Canada dans une situation encore plus défavorable. 

Risques et opportunités pour le Canada dans le cadre de la révision de l’ACÉUM

 

La prochaine révision après six ans de l’ACÉUM est une arme à double tranchant, qui présente à la fois des risques et des opportunités pour les travailleuses et travailleurs canadiens. 

Proposée à l’origine par les États-Unis comme une « clause d’extinction », selon laquelle l’accord commercial expirerait automatiquement s’il n’était pas renouvelé par les parties (une proposition potentiellement préjudiciable qui déstabiliserait les investissements tournés vers l’avenir au Canada), cette révision – une position de compromis par rapport à la « clause d’extinction » – présente toujours des risques pour le Canada. Steve Verheul, négociateur en chef du Canada lors des négociations de l’ALÉNA en 2017, a déclaré que la révision après six ans avait été négociée à la demande des États-Unis afin de « créer un effet de levier » et de « modifier l’accord de façon continue[2] ». Les commentaires de M. Verheul reflètent les remarques faites par la représentante du commerce des États-Unis, Katherine Tai, qui a déclaré à propos de la révision de l’ACÉUM : 
 « Le but est de maintenir un certain niveau d’inconfort, ce qui peut impliquer un certain niveau d’incertitude. Pour que les parties restent motivées à faire ce qui est vraiment difficile, c’est-à-dire continuer à réévaluer nos politiques et nos programmes commerciaux... Cet inconfort est en fait un avantage, pas un inconvénient. »[3]

Les menaces entourant l’élimination des tarifs douaniers et les autres mesures commerciales discriminatoires imposées par les États-Unis ont eu des répercussions sur l’économie canadienne. Les lobbyistes du monde des affaires s’accordent à dire que les parties cherchent à reconduire les conditions actuelles de l’ACÉUM, ce qui est présenté par certains comme le meilleur résultat possible de cette révision[4].  Il s’agit bien sûr d’un scénario improbable – quel que soit le résultat de l’élection du 5 novembre aux États-Unis – et Unifor pense aussi que ce scénario ne serait pas souhaitable pour le Canada. Le représentant américain au commerce (United States Trade Representative – USTR) a relevé de nombreuses plaintes en matière de commerce, notamment relativement à la mise en œuvre par le Canada de quotas d’importation élargis sur les produits laitiers et sur les propositions de taxes sur les services numériques. Bien que ces plaintes soient sans fondement, le Canada peut s’attendre à ce qu’elles (et d’autres) occupent une place importante dans le processus de révision. En outre, les candidats à la présidence des États-Unis ont intégré dans leur programme électoral des réformes de la politique commerciale qui auraient des répercussions sur le fonctionnement de l’ACÉUM.  Il s’agit d’une réalité à laquelle le Canada et les entreprises canadiennes doivent faire face. 

Dans le cadre de cette révision après six ans, le Canada devrait éviter de communiquer tout désir d’un accord de statu quo. Une telle position n’est pas stratégique compte tenu des demandes de réforme anticipées des États-Unis et ne reflète pas non plus la myriade de défis auxquels sont confrontés les travailleuses et travailleurs depuis l’entrée en vigueur de l’accord. Ces défis comprennent ce qui suit :

  • La persistance des violations des droits du travail aux États-Unis, malgré les dispositions renforcées de l’ACÉUM en matière de travail. Les syndicats ont des preuves documentées de l’ingérence et de l’intimidation de l’État et des employeurs dans les campagnes de recrutement des syndicats, notamment à l’usine d’assemblage Mercedes de Vance, en Alabama, en 2024. Selon les règles de l’ACÉUM, de tels incidents peuvent être contestés et faire l’objet de mesures correctives dans le cadre du nouveau mécanisme de réaction rapide (MRR) de l’ACÉUM au Mexique, mais pas aux États-Unis ou au Canada, ce qui constitue une lacune du MRR.    

  • Non-respect des règles actualisées de l’ACÉUM concernant le contenu des véhicules en Amérique du Nord. Le Government Accountability Office (GAO) des États-Unis a signalé que de nombreux fabricants d’automobiles renoncent au traitement tarifaire préférentiel dans le cadre de l’ACÉUM lorsqu’ils importent des véhicules aux États-Unis, afin de contourner les nouvelles règles nord-américaines plus strictes en matière de contenu automobile. 
     Lors d’une audience de l’International Trade Commission en octobre 2024, les représentants de l’industrie automobile des États-Unis ont estimé que 20 % des véhicules importés du Mexique vers les États-Unis n’étaient pas conformes aux nouvelles règles du commerce automobile, alors qu’il était de seulement 2 % sous le régime de l’ALÉNA. Le manque de transparence en matière de contenu automobile et le non-respect inquiétant des règles font craindre que l’accord n’atteigne pas les objectifs visés. Cela s’explique en partie par le fait que les sanctions en cas de non-respect (les droits de douane sur les véhicules de tourisme sont de 2,5 % aux États-Unis et de 6,1 % au Canada) sont trop faibles.

  • Les règles relatives au contenu en main-d’œuvre sont trop faibles et insuffisantes pour augmenter les salaires des travailleuses et travailleurs de l’automobile mexicains. L’un des objectifs officiels de l’ACÉUM était de remédier aux disparités salariales entre les travailleuses et travailleurs du secteur de l’automobile du Mexique et ceux du Canada et des États-Unis. De nouvelles dispositions, dont l’exigence concernant le contenu en main-d’œuvre, imposent aux fabricants d’automobiles de verser un salaire « minimum » de 16 $US l’heure pour au moins 40 % d’un véhicule. Selon une étude, l’augmentation prévue des salaires dans les usines automobiles mexicaines entre 2020 et 2022 serait marginale, compte tenu des taux d’inflation élevés des prix à la consommation[5]. Cela s’explique en partie par la souplesse qu’offre la disposition relative à l’exigence concernant le contenu en main-d’œuvre, qui peut réduire le contenu couvert jusqu’à 25 % par véhicule. En outre, l’exigence concernant le contenu en main-d’œuvre ne prescrit pas un taux de rémunération « minimum », mais plutôt un taux de rémunération « moyen » pour les travailleuses et travailleurs de la production dans les usines – un point largement mal compris par les commentateurs. Enfin, l’indice de référence de 16 $US fixé en 2020 reste inchangé puisqu’il a été négocié sans tenir compte de l’inflation des prix, à un moment où nous avons connu la pire inflation des dernières années. 

  • L’aluminium utilisé pour les véhicules est traité différemment de l’acier. Pour satisfaire aux règles d’origine plus strictes, les fabricants d’automobiles sont tenus de s’approvisionner en acier non seulement en provenance de l’Amérique du Nord, mais aussi transformé (c’est-à-dire fondu et coulé) dans la région. Les mêmes règles d’approvisionnement s’appliquent aux intrants en aluminium pour les véhicules, mais sans obligation que l’aluminium soit fondu et coulé en Amérique du Nord. Pour atteindre l’objectif officiel des règles d’origine applicables à l’industrie automobile, il est nécessaire de veiller à ce que l’aluminium qualifié soit principalement fondu et le plus récemment coulé en Amérique du Nord. 
  • Le mécanisme de réaction rapide (MRR) est efficace, mais sa portée est limitée. Unifor est le premier syndicat canadien à avoir demandé au gouvernement fédéral de donner suite à une allégation de « déni de droits » dans le cadre du MRR de l’ACÉUM. L’expérience des quatre dernières années montre la capacité de ce mécanisme à traiter rapidement les violations. Toutefois, le mécanisme est déséquilibré et ne s’applique généralement qu’aux violations commises au Mexique. Par ailleurs, le mécanisme est bilatéral et ne peut pas traiter les violations des droits du travail qui faussent les échanges entre les États-Unis et le Canada. Il existe suffisamment de preuves de violations des droits du travail aux États-Unis, en particulier dans les États considérés comme des États préconisant le droit au travail.

  • Application incohérente des interdictions relatives au travail forcé. Conformément aux engagements pris dans le chapitre 23 de l’ACÉUM, le Canada a apporté des modifications au Tarif des douanes interdisant l’importation de produits issus en entier ou en partie du travail forcé. Cette disposition du Tarif des douanes cadre avec les pouvoirs accordés aux autorités des douanes et de la protection des frontières des États-Unis, qui travaillent en étroite collaboration avec les fonctionnaires du département du Travail des États-Unis afin d’empêcher l’entrée dans le pays de produits issus du travail forcé. 
     
     Jusqu’à présent, le Canada n’a pas réussi à faire appliquer efficacement cette interdiction, ce qui crée une disparité dans la mise en œuvre et des vulnérabilités dans la chaîne d’approvisionnement nord-américaine.[6]
  • Absence de stratégie coordonnée pour réduire les émissions dans les secteurs des ressources critiques. Il est urgent de réduire les émissions de gaz à effet de serre des biens industriels largement utilisés, y compris les intrants de matériaux comme l’acier, l’aluminium et le béton. L’investissement dans des technologies énergétiques propres et sans émissions pour alimenter les processus de production progresse en Amérique du Nord, mais n’est pas soutenu ou rendu possible par l’ACÉUM de quelque manière que ce soit, que ce soit par le biais d’ajustements aux frontières du carbone ou d’autres politiques visant à limiter les fuites de carbone. Les importations à fortes émissions (et à faible coût), y compris en provenance de Chine, sapent les efforts de l’Amérique du Nord en faveur d’une production nette zéro et compromettent la croissance de l’emploi et les investissements régionaux. L’absence d’une « clause de paix » climatique dans l’ACÉUM empêche les gouvernements de mettre en œuvre des stratégies de croissance de l’emploi industriel et de lutte contre le changement climatique.
  • Absence de résolution du conflit sur le bois d’œuvre. En 2017, Unifor a exhorté le gouvernement fédéral à faire de sa participation à la renégociation de l’ALÉNA une condition du règlement du conflit sur le bois d’œuvre. Ce conflit se poursuit et nuit de plus en plus aux travailleuses et travailleurs du secteur de la foresterie au Canada. L’affirmation d’Affaires mondiales selon laquelle l’ACÉUM apporte « de la sécurité aux entreprises et aux investisseurs » est injustifiée compte tenu des pénalités persistantes et illégales imposées par les États-Unis aux producteurs canadiens. Tandis que le Canada soumet ce différend aux procédures spéciales de règlement des différends de l’ACÉUM, il faut travailler à la négociation d’une solution permanente, durable et bilatérale.
  • Aucun financement n’est prévu pour les programmes d’assistance technique menés par les syndicats après 2025. Parallèlement à la mise en œuvre de l’ACÉUM, le gouvernement fédéral a affecté des fonds d’« assistance technique » à des projets de renforcement des capacités menés par les syndicats au Mexique.  Unifor, en collaboration avec des partenaires syndicaux mexicains, a obtenu des fonds pour établir de nouveaux centres d’action pour les travailleuses et travailleurs (appelés « casa obreras ») dans les principales villes industrialisées du Mexique. Depuis trois ans, ces centres communautaires ont contribué à sensibiliser des dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs de l’industrie mexicaine à l’amélioration du droit du travail au Mexique, aux protections du travail mises en place par l’ACÉUM ainsi qu’aux fondements de la négociation collective libre et indépendante. Le financement du programme se termine en 2025.

Recommandations d’Unifor

Règles d’origine dans le secteur de l’automobile

Depuis la mise en œuvre de l’ACÉUM, les investissements dans le secteur de l’automobile en Amérique du Nord ont connu une croissance manifeste. Cette croissance des investissements, principalement dans la chaîne d’approvisionnement des véhicules électriques, dépasse les investissements industriels réalisés au cours des 20 dernières années. Toutefois, ce phénomène est davantage dû aux importantes incitations gouvernementales à l’investissement qu’aux nouvelles règles commerciales, même si, dans le cadre d’une stratégie industrielle cohérente, ces deux éléments doivent fonctionner en tandem. 

Les règles d’origine de l’ACÉUM pour les véhicules sont plus ambitieuses et plus complexes que les règles de l’ALÉNA. L’octroi du régime d’élimination des tarifs douaniers doit obliger les fabricants d’automobiles à construire des voitures et des pièces dont le contenu est davantage nord-américain. Or, les premiers éléments (comme indiqué ci-dessus) laissent croire que ce n’est pas le cas, ce qui compromet l’intention de l’accord de localiser les bons emplois dans le secteur automobile et de délocaliser la production, en s’appuyant moins sur les fournisseurs mondiaux à faibles salaires. 

Recommandations d’Unifor

  1. Encourager un plus grand respect des règles d’origine de l’ACÉUM.  La pénalité imposée aux fabricants d’automobiles en cas de non-respect est un droit de douane de la nation la plus favorisée de 2,5 % sur le prix d’un véhicule de tourisme importé aux États-Unis ou de 6,1 % sur le prix d’un véhicule importé au Canada. Au Mexique, il n’y a pas de droits de douane.  Ces taux ne sont pas suffisamment élevés pour encourager le respect des nouvelles règles d’origine. Pour résoudre ce problème, les parties à l’ACÉUM peuvent envisager des mesures spéciales pour encourager le respect des règles, notamment l’établissement d’un droit de douane harmonisé de 10 % sur les importations de véhicules non conformes.

  2. Mettre à jour la liste des pièces automobiles essentielles pour mieux refléter les technologies avancées des futurs véhicules, y compris les véhicules électriques. La recherche et le développement de nouvelles technologies automobiles progressent rapidement. Depuis la mise en œuvre de l’ACÉUM, on comprend mieux quelles sont les pièces automobiles qu’il est essentiel de produire au niveau national pour assurer la viabilité des installations existantes et vulnérables. Des produits tels que les matériaux actifs de cathode et les anodes doivent être inclus dans la liste des pièces automobiles « essentielles », de même que les composants de la transmission électrique comme les moteurs électriques et les onduleurs (la production nationale de ces composants de la transmission représente la meilleure opportunité pour la transition des installations existantes de moteurs à combustion interne et de transmissions en Amérique du Nord).

  3. Clarifier le fait que l’exigence concernant le contenu en main-d’œuvre est un taux de salaire minimum (et non un taux de salaire moyen) et créer un mécanisme qui ajuste automatiquement ce taux sur la base d’une mesure de l’inflation. L’exigence concernant le contenu en main-d’œuvre (40 à 45 % de main-d’œuvre à haut salaire) pour les véhicules pouvant bénéficier de l’élimination des tarifs douaniers est une nouvelle disposition commerciale que l’on ne retrouve pas dans les accords commerciaux antérieurs à l’ACÉUM. Les diverses mesures d’assouplissement intégrées dans le modèle limitent son efficacité à encourager les constructeurs d’automobiles et les fabricants de pièces détachées à augmenter les salaires des travailleuses et travailleurs de la production, principalement au Mexique, jusqu’à une moyenne de 16 $US l’heure. Ce taux « moyen » doit être renégocié en tant que taux « minimum ». De plus, ce taux doit inclure une clause d’ajustement annuel à l’inflation.

  4. Exiger la publication de rapports de conformité annuels pour chaque constructeur automobile, afin de sensibiliser le public et les consommateurs aux niveaux de contenu régional pour tous les véhicules vendus en Amérique du Nord. Au Canada, les fabricants d’automobiles ne sont pas tenus de rendre compte publiquement du respect des règles d’origine de l’ACÉUM. Il n’est donc pas possible d’examiner et d’analyser publiquement l’efficacité de ces dispositions pour atteindre l’objectif visé, qui est de délocaliser une plus grande part des investissements et des emplois dans le secteur de l’assemblage automobile et des pièces détachées, et de rehausser les normes salariales pour les travailleuses et travailleurs de l’ensemble de l’industrie. 
     Le gouvernement canadien et l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) peuvent fournir au public des mises à jour régulières sur la conformité, tout en respectant la confidentialité des accords conclus par les fabricants d’automobiles avec leurs fournisseurs. De tels rapports pourraient au moins regrouper des informations sur la part des matériaux d’origine et le respect des règles relatives à l’exigence concernant le contenu en main-d’œuvre pour l’ensemble des fabricants d’automobiles, ainsi que pour les véhicules et les segments de véhicules.

  5. Exiger la fonte et le moulage de l’aluminium en Amérique du Nord. Pour bénéficier de l’élimination des tarifs douaniers de l’ACÉUM, nous demandons instamment au gouvernement canadien de proposer que les fabricants d’automobiles démontrent que 70 % de l’aluminium utilisé pour la production des véhicules a été fondu et coulé en Amérique du Nord. Des conditions comparables existent déjà dans le cadre de l’ACÉUM pour les intrants sidérurgiques. 

Droits du travail et mécanisme de réaction rapide de l’ACÉUM 

Les dispositions de l’ACÉUM relatives au travail sont parmi les plus avancées de tous les accords commerciaux au monde. Ses structures novatrices, notamment le mécanisme de réaction rapide (MRR), sont directement à l’origine de l’accession de vastes groupes de travailleuses et de travailleurs mexicains à l’indépendance syndicale et de l’exercice de leur droit à la négociation collective libre et équitable. Le mécanisme a été invoqué dans des dizaines de cas par les États-Unis, et une fois par le gouvernement canadien (en réponse à une réclamation soumise au Bureau administratif national (BAN) par Unifor en 2023). 

Malgré des débuts prometteurs, les dispositions de l’accord relatives au travail sont loin d’être parfaites (comme indiqué ci-dessus) et doivent être abordées lors de la prochaine révision quinquennale du chapitre sur le travail et de la révision après six ans de l’ACÉUM. 

Recommandations d’Unifor

  1. Étendre l'application du MRR aux violations des droits du travail au Canada et aux États-Unis. Le MRR s’est avéré être une mesure efficace pour déceler les violations des droits du travail commises au Mexique et y remédier. Les conditions dans lesquelles des réclamations peuvent être déposées en cas de déni de droits allégué aux États-Unis ou au Canada sont beaucoup plus restrictives. Les allégations sérieuses et graves de violations des droits du travail au cours des dernières années, en particulier dans les États américains préconisant le droit au travail, sont préoccupantes et risquent de fausser les échanges commerciaux. Il s’agit notamment de violations présumées des droits dans l’usine d’assemblage de Mercedes à Vance, en Alabama (2024), ainsi que dans un entrepôt d’Amazon à Bessemer, en Alabama (2021). Les partenaires de l’ACÉUM devraient être en mesure de déclencher des enquêtes accélérées sur les allégations de déni de droits, en particulier dans les lieux de travail exposés au commerce. 
  2. Élargir la définition du « déni de droits » dans le cadre du MRR.  Dans le cadre du MRR, une allégation de « déni de droits » se limite au déni de la liberté d’association (c’est-à-dire de la représentation syndicale) et au droit de négociation collective. La définition de déni de droits devrait être élargie pour inclure la discrimination fondée sur le sexe, l'orientation sexuelle ou l'expression sexuelle; la violence fondée sur le genre; le travail des enfants; la santé et la sécurité; et les dérogations aux normes minimales de travail.
  3. Clarifier le sens et l'intention de la note de bas de page 2 de l'annexe du MRR entre le Canada et le Mexique afin de confirmer que le MRR s'applique dans le cas d’un déni de droits dans n’importe quelle installation couverte par n’importe quelle législation interne. Cette recommandation est importante étant donné que le groupe spécial du MRR dans l'affaire de la mine San Martin a estimé que la note de bas de page identique dans l'annexe États-Unis-Mexique (31-A) limitait l'application du MRR aux dénis de droits reconnus depuis la réforme du droit du travail mexicain de 2019 (au motif que les infractions auraient été soumises à un droit du travail antérieur à la réforme du droit du travail mexicain). Cela est indûment restrictif et ne correspond pas à l’intention déclarée des parties lorsqu’elles ont établi les paramètres initiaux du MRR. Il convient de clarifier ce point afin d’éviter qu’un groupe spécial n’aboutisse à une conclusion similaire à l’avenir. 
  4. Créer un organisme consultatif canadien, semblable à l'Independent Mexico Labour Expert Board (IMLEB) aux États-Unis. Cet organisme consultatif servirait de point de contact privilégié et fournirait des conseils indépendants au gouvernement canadien en ce qui concerne les questions liées au travail dans l’ACÉUM. Il permettrait également d’améliorer la collaboration transfrontalière et le partage de renseignements avec les partenaires syndicaux des États-Unis et du Mexique, notamment sur des questions telles que le travail forcé et le travail des enfants.
  5. Renouveler le financement des projets d’assistance technique. Dans le cadre du prochain examen quinquennal du chapitre sur le travail, le Canada devrait renouveler son enveloppe de financement de l’assistance technique au titre du programme international du travail d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) pour une nouvelle période de quatre ans. 

Bois d’œuvre

Les droits injustes et illégaux imposés par les États-Unis sur les exportations de bois d’œuvre ont coûté des milliards de dollars aux économies canadienne et américaine depuis 2017. Le Canada a perdu une part de marché importante au profit des États-Unis depuis l’expiration de l’accord précédent sur le bois d’œuvre entre le Canada et les États-Unis en 2016. Parmi les nombreux facteurs ayant un impact négatif sur l’industrie forestière, les travailleuses et travailleurs canadiens ont souffert des fermetures permanentes de scieries, de la consolidation de l’industrie et des menaces futures sur l’emploi. Les efforts déployés pour régler ce conflit par le biais de la procédure d’appel de l’ACÉUM se sont avérés d’une lenteur débilitante et enregistrent des retards considérables. Les observateurs de l’industrie s’attendent à ce que les droits antidumping et les droits compensateurs actuellement imposés aux producteurs canadiens augmentent encore à l’automne 2025.   

Recommandations d’Unifor

  1. S’assurer que la participation du Canada à la prochaine révision après six ans de l’ACÉUM est subordonnée à un règlement négocié du conflit sur le bois d’œuvre.   

Équité

Le chapitre quinquennal sur le travail et la révision après six ans de l’ACÉUM doivent également donner lieu à un examen rigoureux de leur impact sur les femmes, les personnes racialisées, les Autochtones et d’autres groupes historiquement désavantagés. Le « commerce inclusif » est l’une des caractéristiques de la politique commerciale canadienne de ces dernières années. Les efforts visant à intégrer des conditions commerciales favorables à l’équité en matière de genre et pour les Autochtones ont été contrecarrés par une administration américaine désintéressée sous l’égide de l’ancien président Trump. Initialement, les efforts déployés par les parties à l’ACÉUM pour lutter contre la discrimination en milieu de travail par le biais de dispositions élargies sur les droits du travail dans le chapitre 23 ont finalement été contrecarrés par le Congrès américain avant la mise en œuvre de l’accord. La révision après six ans est l’occasion de réexaminer ces modalités de commerce inclusif.

Recommandations d’Unifor

  1.     Supprimer la note de bas de page 15 du chapitre 23 de l’ACÉUM (Travail, article 23.9). L’article 23.9 du chapitre sur le travail prévoit que les Parties « reconnaissent l’objectif » d’éliminer la discrimination en matière d’emploi et de profession, et « appuient l’objectif consistant à promouvoir l’égalité des femmes en milieu de travail ». L’inclusion de ce texte dans le chapitre sur le travail aurait permis de soumettre les accusations de discrimination fondée sur le sexe (le terme « sexe » étant défini de manière à inclure l’orientation sexuelle et l’identité de genre) à un règlement des conflit d’État à État en cas de manquement à une obligation. Une note de bas de page de dernière minute (note de bas de page 15) a été introduite (à la demande des législateurs de l’opposition des États-Unis au Congrès[7] – y compris ceux qui affirmaient qu’elle portait atteinte à la souveraineté américaine[8]), ce qui constitue une amélioration frappante des modalités de l’accord. Cette note de bas de page dispense les États-Unis de toute obligation à l’égard des modalités de l’accord, déclarant que les politiques existantes des agences fédérales des États-Unis sont suffisantes afin de remplir les obligations prévues à cet article. La note de bas de page 15 nuit l’intention de l’article 23.9, sur les bases les plus douteuses, et doit être supprimée.

  2. Procéder à un examen approfondi de l’ACÉUM en matière d'équité et à une analyse basée sur le genre. Les Parties devraient procéder à un examen approfondi de l’ACÉUM en matière d'équité et à une analyse basée sur le genre dans l’espoir d’arriver à des dispositions meilleures et plus inclusives dans le chapitre sur le travail et ailleurs, afin de remédier aux impacts négatifs liés au commerce sur les emplois, les conditions de travail et les possibilités économiques au sein des groupes en quête d’équité. Ce travail doit inclure les femmes, les personnes 2ELGBTQIA+ et les organisations autochtones du Canada, du Mexique et des États-Unis dans le processus d’examen.

Considérations environnementales et climatiques 

L’ACÉUM établit un chapitre formel sur l’environnement qui, comme le chapitre sur le travail, met en œuvre les obligations négociées par les parties dans le cadre du mécanisme de règlement des conflits de l’accord. Le chapitre exclut notamment toute référence au « changement climatique », ce qui affaiblit considérablement l’objectif de l’accord (en réduisant l’attention principalement à la biodiversité et aux efforts de conservation, qui sont toujours louables). La codification des engagements en faveur des objectifs d’action climatique constitue une étape importante dans l’amélioration de l’ACÉUM. La recherche de moyens pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et l’augmentation des importations de biens à intensité carbonique en Amérique du Nord (notamment en provenance de la Chine) devrait encadrer l’examen par les parties du fonctionnement de l’accord et du chapitre sur l’environnement lui-même. 

Recommandations d’Unifor

  1. Élargir les obligations des parties au titre du chapitre 24 (Environnement) Les parties doivent se coordonner pour mettre à jour les obligations prévues au chapitre 24 afin de nommer explicitement les engagements partagés pour aborder et combattre le changement climatique, et pour ajouter une référence à l’Accord de Paris de 2015 et à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) avec d’autres traités multilatéraux au titre de l’article 24.8.
  2. Initier un dialogue formel trinational sur l’utilisation des ajustements carbone aux frontières pour équilibrer les échanges de biens et de services à intensité carbonique, tant à l’intérieur des frontières de l’Amérique du Nord qu’avec d’autres nations.  Dans le cadre de la révision après six ans, les parties à l’ACÉUM peuvent lancer des discussions exploratoires sur la création d’un cadre pour la mise en œuvre d’ajustements carbone aux frontières (ACF), dans l’esprit d’équilibrer le commerce des biens à intensité carbonique provenant de l’extérieur de l’Amérique du Nord, tout en faisant progresser les objectifs de développement économique durable dans la région nord-américaine – en empêchant les formes de délocalisation des opérations vers des juridictions à intensité carbonique qui ont des réglementations laxistes en matière d’environnement et d’émissions. Le Canada et les États-Unis continuent d’étudier l’introduction des ACF en tant que mécanisme permettant de réduire l’exposition aux intrants à intensité carbonique tout en favorisant le développement économique national dans le domaine des technologies propres et des infrastructures vertes, en réduisant le carbone dans les biens tout au long de leur production et de leur cycle de vie.  Un dialogue trinational ouvre également des possibilités d’adapter les marchés publics nord-américains à des préférences de moindre intensité carbonique. 

Sommaire

La prochaine révision après six ans de l’ACÉUM est l’occasion de réfléchir aux lacunes de l’accord et aux domaines dans lesquels il n’apporte pas les améliorations promises en matière de normes de travail, de protection de l’environnement et de développement économique. Cet examen est l’occasion de proposer des solutions significatives à ces problèmes, d’une manière stratégique, qui défende les intérêts du Canada.  Unifor a proposé une série de recommandations initiales à l’attention des responsables canadiens en vue de cet examen (et de l’examen quinquennal du chapitre sur le travail qui le précède). Notre syndicat se réjouit de l’engagement continu des intervenants et du dialogue sur les activités de l’ACÉUM, ainsi que des occasions de présenter des commentaires supplémentaires sur l’évolution des politiques commerciales des États-Unis et du Mexique qui ont un impact sur les travailleuses et travailleurs canadiens et sur les lieux de travail. 


[1] Énoncé de position d’Unifor sur la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), 2017 
https://www.ourcommons.ca/Content/Committee/421/CIIT/Brief/BR9287699/br-external/Unifor-9724856-f.pdf.pdf

[2] Neil Moss, « Deal disquiet: CUSMA review could be a rough ride with the U.S. holding the reins, says pact’s negotiator », paru dans le Hill Times (12 juin 2024) :  https://www.hilltimes.com/story/2024/06/12/deal-disquiet-cusma-review-could-be-a-rough-ride-with-the-u-s-holding-the-reins-says-pacts-negotiator/424965/

[3] Alexander Panetta, « U.S. trade czar: Don't get 'too comfortable' North American trade pact will stay as is », paru dans CBC News (6 mars 2024) : https://www.cbc.ca/news/world/tai-brookings-usmca-comments-1.7135517

[4] Goldy Hyder et Louise Blais, « Why America’s Election is Canada’s Business » paru dans Policy Options (24 août 2023) :  https://www.policymagazine.ca/why-americas-election-is-canadas-business/

[5] Cesaire Chiatchoua et Rita Avila Romero (juin 2023), Analysis of the evolution of wages since USMCA in the Mexican automotive industry. Ciencia Latina Revista Científica Multidisciplinar, volume 7, numéro 3.

[6] Le 16 octobre, Affaires mondiales Canada a lancé une consultation publique afin de recueillir l’avis des intervenants sur les mesures à prendre pour renforcer l’interdiction d’importation au Canada de tous les biens extraits, fabriqués ou produits en entier ou en partie par le travail forcé. Unifor a l’intention de déposer un mémoire distinct dans le cadre de cette consultation. 

[7] James McCarten, « Coalition of U.S. lawmakers urge Trump not to sign USMCA until LGBTQ language excised », publié dans le Globe and Mail (16 novembre 2018). 

[8] Voir la déclaration du membre du Congrès américain Doug Lamborn : https://lamborn.house.gov/new-trade-deal-threatens-american-sovereignty