Consultation sur les dépenses de nature politique des syndicats le 22 novembre 2019

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Shawn McLeod
Sous-ministre du Travail et de l'Immigration
Édifice du travail, 10e étage
10808 – 99 Avenue
Edmonton (Alberta) T5K 0G5

Monsieur McLeod,

Nous accusons réception, le 22 novembre 2019, de votre invitation à assister à une consultation le samedi 30 novembre 2019 à Edmonton. Votre invitation décrit cette consultation comme une consultation sur la façon de « protéger les travailleurs contre l'obligation de financer des partis et des causes politiques ».

Nous regrettons de ne pouvoir accepter cette invitation. L'avis qui nous a été envoyé est tout simplement insuffisant pour nous donner l'assurance que l'invitation porte sur une véritable consultation significative à ce sujet. Comme nous l'expliquons plus en détail ci-dessous, une loi visant à contrôler la façon dont les syndicats dépensent leur argent serait un changement radical par rapport à la façon dont la loi canadienne réglemente les syndicats. Tout changement aussi radical doit être précédé d'une étude et d'un examen attentifs. Nous n'avons pas connaissance d'une étude aussi minutieuse. Nous serions heureux de contribuer à une telle étude.

Puisque nous nous attendons à ce que vous n'acceptiez pas notre point de vue sur le caractère authentique de la consultation, nous saisissons l’occasion de faire quelques brefs commentaires sur le sujet de cette consultation.

Cette consultation ne semble pas significative et de bonne foi

Nous sommes préoccupés par le fait que votre invitation n'indique pas que le gouvernement s'engage dans un processus de consultation réelle et significative sur la nécessité d'une réforme législative dans ce domaine. L'invitation ne donne qu'un préavis de huit jours et ne donne aucune indication des choix politiques envisagés par le gouvernement, si ce n'est un renvoi à une brève déclaration dans le programme du parti au pouvoir. Il est impossible de considérer qu'il s'agit d'un processus productif ou significatif.

Les modifications aux lois sur les relations de travail doivent être étudiées et examinées attentivement et éviter toute politisation inutile. La réforme du Code canadien du travail, il y a quelques années, contient des directives utiles à ce sujet. En 1998, les parties du Code canadien du travail portant sur la négociation collective ont été modifiées en profondeur à la suite d'une étude approfondie menée par un groupe de travail qui a mené de vastes consultations auprès des syndicats et des employeurs. Ce groupe de travail, dirigé par le respecté arbitre albertain Andy Sims, a présenté ses conclusions au ministre du Travail en 1996[1]. Il a averti en partie que « la politisation indue de nos lois du travail » a introduit un élément de confrontation politique dans les relations de négociation collective qui mine la capacité des parties en milieu de travail à communiquer franchement et directement entre elles (Vers l’équilibre, p. 39). Compte tenu de ces préoccupations et d'autres, le Groupe de travail Sims a adopté un certain nombre de prémisses sur lesquelles ses recommandations de modifications au Code canadien du travail seraient fondées. Ces prémisses comprenaient la nécessité d'un consensus entre les parties (c.-à-d. les syndicats et les employeurs) de sorte que toute réforme devrait être fondée sur des critères incluant l'existence d'un consensus (Vers l’équilibre, p. 41).

Unifor n'a pas connaissance d'une étude ou d'un examen impartial qui aurait recommandé la nécessité de réglementer la façon dont les syndicats dépensent leur argent. Nous exhortons le gouvernement à s'abstenir de politiser indûment les lois du travail en adoptant des restrictions unilatérales sur la façon dont les syndicats prennent leurs décisions de dépenses.

Il n'est pas nécessaire de réglementer les dépenses politiques des syndicats

Unifor partage avec d'autres syndicats le point de vue selon lequel rien ne justifie l'ingérence du gouvernement dans les décisions démocratiques que les syndiqués prennent sur la façon dont leur syndicat dépense l'argent.

Nous remarquons que rien dans votre invitation ne laisse entendre que le gouvernement envisage de restreindre les décisions des entreprises en matière d'activités et de dépenses politiques. Si la préoccupation du gouvernement est de « rétablir l'équilibre », nous sommes obligés de nous demander pourquoi le rôle des entreprises en politique n'est pas pris en compte. Demandera-t-on aux entreprises et aux employeurs ce qu'ils dépensent pour des causes politiques dans le cadre de ce processus?

Le rôle de négociation collective des syndicats est indissociable de leur rôle politique. La relation étroite entre les syndicats et la politique est reconnue depuis longtemps en droit canadien. Dans l'affaire Lavigne[2], qui a été tranchée par la Cour suprême du Canada il y a près de trente ans, la Cour a reconnu le fondement politique de la non-ingérence du gouvernement dans les dépenses syndicales. La question en litige dans cette affaire était la constitutionnalité d'une formule Rand obligatoire en vertu de laquelle chaque employé contribuait aux frais de représentation syndicale et, en échange, était protégé par le devoir du syndicat de représentation équitable. Le juge LaForest a décrit comment la formule Rand contribue à l'objectif gouvernemental de la démocratie en milieu de travail (italiques ajoutés)

276      Le second objectif gouvernemental que j'ai évoqué explique pourquoi le gouvernement n'impose pas de restrictions à l'usage qui peut être fait des fonds ainsi perçus. Cet objectif est celui de promouvoir la démocratie en milieu de travail. L'intégrité et le statut des syndicats en tant qu'entités démocratiques seraient compromis si la politique gouvernementale consistait, en fait, à permettre aux syndicats de dépenser leurs fonds comme bon leur semble en conformité avec les vœux de la majorité, pourvu que la majorité choisisse d'effectuer des dépenses qui, de l'avis du gouvernement, sont dans l'intérêt des syndiqués. C'est donc au syndicat lui‑même qu'il appartient de décider, à la majorité des voix, quelles causes ou associations il appuiera dans le but d'influencer favorablement le cadre politique, social et économique dans lequel se dérouleront des négociations collectives et se résoudront des conflits de travail. Le vieux dicton selon lequel se gouverner, c'est avoir le droit de se tromper, pourrait bien résumer l'objectif du gouvernement de promouvoir la démocratie véritable et constructive en milieu de travail

 

Ce passage de Lavigne nous rappelle utilement que toute ingérence du gouvernement dans les dépenses syndicales mine la démocratie syndicale en retirant aux syndiqués le droit de déterminer comment leurs syndicats vont dépenser leur argent.

À une seule exception près (le Manitoba à la fin des années 1990), les juridictions canadiennes n'ont jamais réglementé ou contrôlé la mesure dans laquelle les syndicats dépensent des fonds pour des activités politiques. Dans l'exemple manitobain qui fut de courte durée, les syndicats étaient tenus d'établir une entente de « non-participation » en vertu de laquelle les employés de l'unité de négociation pouvaient se retirer des dépenses de publicité électorale ou des dépenses qui appuyaient ou s'opposaient aux partis politiques dans une élection. Lorsqu'un employé s'est retiré des dépenses politiques, le montant des cotisations pour cette dépense devait plutôt être versé à un organisme de bienfaisance. Il n'y a eu aucune tentative de réglementer les dépenses consacrées à des causes politiques au sens large. L'accent a été mis uniquement sur les dépenses électorales. Le Manitoba est rapidement revenu à la norme canadienne. Cette brève exception montre la cohérence de l'approche canadienne en matière de promotion de la démocratie en milieu de travail en laissant aux syndicats et à leurs membres le soin de décider de la façon dont ils dépensent leur argent, y compris pour des causes et campagnes politiques.

Dans la mesure où les juridictions canadiennes ont jugé approprié de limiter l'influence des syndicats (et des entreprises) sur les élections, elles l'ont fait correctement dans les lois sur le financement électoral qui limitent également les dons des syndicats et des entreprises aux partis politiques et aux candidats, et qui réglementent les dépenses des tiers. Ces lois reconnaissent que le rôle des syndicats et d'autres entités (y compris les employeurs) est mieux réglementé par les lois sur le financement électoral. S'il est maintenant prévu de réglementer les décisions des syndicats en matière de dépenses politiques, la question se pose à juste titre de savoir où se situe la réglementation parallèle des décisions semblables des entreprises. Si la réponse est qu'aucune réglementation de la prise de décision des entreprises n'est envisagée de la même manière, cela révèle la motivation du gouvernement d’affaiblir les syndicats en tant que représentants des travailleurs, et qu’il ne s’agit pas d’une préoccupation de responsabilité ou de démocratie.

En résumé, Unifor s'oppose fortement à l'ingérence du gouvernement dans les décisions de ses membres sur la façon dont Unifor dépense les fonds provenant de leurs cotisations.

Autres commentaires

Bien que nous ayons décliné cette invitation, nous vous demandons de continuer à nous informer des intentions du gouvernement à ce sujet.

L'ingérence injustifiée et déséquilibrée du gouvernement dans le processus décisionnel des syndicats ne devrait pas être une priorité du gouvernement actuel ou de tout autre gouvernement. De nombreux problèmes exigent votre attention, notamment la nécessité d'une plus grande réglementation pour contrer les effets du travail précaire et mal rémunéré. Nous vous exhortons à vous concentrer sur les vrais problèmes et non sur une attaque politisée contre les travailleurs syndiqués.

Sincèrement vôtre,

JERRY DIAS                                        LANA PAYNE

Président national                             Secrétaire-trésorière nationale



[1] Sims, Andrew C.L., Vers l’équilibre : révision de la partie 1 du Code canadien du travail (Ottawa, 1995).

[2] [1991] 2 SCR 211.