Les tarifs douaniers américains nuisent à tous les travailleurs et travailleuses de l’automobile. Le Canada n’est pas l’ennemi.

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Woman stands in front of auto assembly line
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Lana Payne, chroniqueuse
Publié initialement dans le Detroit Free Press 

Depuis un demi-siècle, le Canada et les États-Unis construisent ensemble des automobiles et stimulent la prospérité. Depuis toujours, les syndicats de l’automobile des deux côtés de la frontière se battent pour obtenir de meilleures conditions de travail et des accords commerciaux équitables qui améliorent la qualité de vie des travailleuses et travailleurs.

Nos industries automobiles sont étroitement liées, et nos travailleuses et travailleurs partagent les mêmes difficultés. Pourtant, cette relation est aujourd’hui menacée par une vague de tarifs douaniers américains qui nuisent à la main-d’œuvre canadienne. Mais ces tarifs douaniers nuisent également aux travailleuses et travailleurs américains, y compris ceux de l’industrie automobile aux États-Unis.

Les travailleuses et travailleurs de l’automobile canadiens et américains ne sont pas ennemis. Les accords de libre-échange, ainsi que d’autres politiques économiques qui ont échoué, ont contribué à d’importantes pertes d’emplois dans les deux pays. Au cours de la dernière décennie seulement, selon l’analyse des données de l’industrie automobile de Wards réalisée par Unifor, le Canada a vu sa part de la production automobile nord-américaine passer de 13 % à seulement 9 %. Les États‑Unis ont également connu une baisse, leur part passant de 68 à 66 %, mais le Canada est plus durement et plus rapidement touché en comparaison.

Si les constructeurs automobiles vendent des véhicules en Amérique du Nord, ils devraient aussi pouvoir les construire ici. Le Canada achète environ 2 millions de véhicules par année, mais en a construit beaucoup moins en 2024. Ce n’est pas suffisant. Construire dans le pays où nous vendons est plus qu’un slogan : c’est un principe.

L’année dernière, 5 millions de véhicules vendus en Amérique du Nord n’ont pas été construits sur le continent, et la plupart d’entre eux ont atterri chez des concessionnaires américains. Ce volume de travail équivaut à 20 usines de montage automobile. C’est là le véritable problème. C’est en nous attaquant à ce problème que nous pourrons développer l’empreinte manufacturière de nos deux pays.

Mais plutôt que de s’attaquer à la cause du problème, les États-Unis, dans leur politique commerciale actuelle, visent de plus en plus leur plus proche allié, provoquant des mises à pied et créant de l’incertitude pour les travailleuses et travailleurs des deux côtés de la frontière.

Chaînes d’approvisionnement intégrées et préjudice partagé

Le Canada et les États-Unis entretiennent des relations commerciales exceptionnelles dans le secteur de l’automobile, des relations qui ne se comparent à aucune autre dans le monde. Nos échanges commerciaux bilatéraux dans ce secteur sont pratiquement équitables : le Canada vend pour 72 milliards de dollars canadiens de véhicules et de pièces aux États-Unis et achète pour 77 milliards de dollars en retour. Nos deux pays peuvent compter sur de puissants syndicats et des salaires élevés, acquis au prix de décennies de négociations collectives. Nous avons fait équipe avec les États-Unis pour défendre nos marchés contre l’afflux de véhicules électriques chinois.

Et pourtant, le Canada a dû composer avec plusieurs vagues de tarifs douaniers : 25 % sur les composants non américains des véhicules, 25 % de plus pour les passages à la frontière et le fentanyl, en plus des tarifs initiaux de 25 % sur l’acier et l’aluminium, qui passent désormais à 50 %. Ces sanctions sont imposées malgré l’étroite intégration de nos chaînes d’approvisionnement et nos intérêts économiques communs.

L’impact est réel. Face aux menaces tarifaires, Stellantis a suspendu la restructuration de son usine de montage de Brampton, en Ontario, retardant potentiellement la production du Jeep Compass de nouvelle génération et, par conséquent, causant des retards supplémentaires dans les usines des fournisseurs américains.

Quelques heures après l’annonce du président Donald Trump le 3 avril dernier concernant l’imposition de tarifs douaniers sur les automobiles, Stellantis a mis à l’arrêt l’usine de montage de Windsor, qui construit depuis 1983 des minifourgonnettes pour les familles américaines et canadiennes, des véhicules équipés de moteurs fabriqués aux États-Unis et de pièces provenant principalement des États‑Unis. Des travailleuses et travailleurs ont été mis à pied, du moins temporairement, des deux côtés de la frontière.

C’est là le coût réel de l’instrumentalisation des tarifs douaniers contre un allié dont la fortune est fondamentalement liée à la vôtre. Nos histoires sont trop étroitement liées pour être dissociées sans conséquences.

Les accords commerciaux devraient profiter à l’ensemble des travailleuses et travailleurs

Cette histoire ne doit pas être ignorée, et personne ne devrait prétendre à tort que le Canada a volé des emplois américains dans le secteur de l’automobile. Le Canada construit des automobiles depuis 1904, bien avant que les États-Unis ne deviennent notre principal partenaire commercial. Dans les années 1920, le Canada se plaçait au deuxième rang des producteurs mondiaux d’automobiles. C’est le Pacte de l’automobile canado-américain des années 1960 qui a créé les industries automobiles les plus intégrées au monde. Aujourd’hui, alors que l’histoire est réécrite pour justifier les tarifs douaniers américains, nous devons nous rappeler comment nous en sommes arrivés là et ce que nous avons à perdre.

La voie à suivre n’est pas d’attaquer le Canada. Il faut procéder ensemble à une réforme de nos politiques commerciales. L’Accord Canada–États-Unis–Mexique doit mieux servir la main‑d’œuvre de nos deux pays.

Un nouvel accord commercial devrait encourager la production locale et rehausser les normes du travail dans toute l’Amérique du Nord. Il faut protéger les droits syndicaux au Mexique, mais aussi dans certains États américains où le travail des syndicats est activement saboté.

L’Accord Canada–États-Unis–Mexique a permis de réaliser des avancées importantes, mais il faut faire plus pour garantir que les accords commerciaux profitent véritablement à l’ensemble des travailleuses et travailleurs.

Le renforcement du commerce continental devrait inciter les constructeurs automobiles mondiaux à consolider la position de l’Amérique du Nord en tant que chef de file mondial de l’innovation automobile. Nous pourrons ainsi rivaliser avec la Chine, où le géant des véhicules électriques BYD est désormais le chef de file mondial. Si nous laissons des tactiques commerciales conflictuelles affaiblir nos propres industries ou ralentir la transition vers les véhicules électriques, nous ne ferons que prendre encore plus de retard.

Il n’y a pas de temps à perdre. Les travailleuses et travailleurs canadiens et américains ont besoin d’une résolution rapide et d’un plan à long terme pour renforcer l’industrie que nous partageons. Autrement, les dommages pourraient prendre une génération à réparer et nuiraient à la sécurité économique des travailleuses et travailleurs et de leur famille.

Blâmer le Canada ne résoudra pas le problème puisque le Canada n’est pas responsable.

Lana Payne est présidente nationale d’Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada. Elle est également membre du Conseil du premier ministre sur les relations canado-américaines.