Commentaire et recommandations d'Unifor sur les plans du gouvernement pour relancer l'économie de l'Ontario

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L’Honorable Rod Phillips
Ministre des Finances de l’Ontario

Date: Le 11 mai 2020

Monsieur le Ministre,

Unifor représente 315 000 travailleuses et travailleurs au Canada, dont plus de 160 000 membres en Ontario, dans un large éventail de lieux de travail des secteurs public et privé. Au cours des trois derniers mois, nous avons coordonné avec de nombreux employeurs, y compris ceux des lieux de travail jugés « essentiels », l'élaboration de protocoles et de procédures de sécurité appropriés sur le lieu de travail afin de protéger la santé et le bien-être des travailleuses et travailleurs et du public. 

Comme nous l'avons suggéré dans notre lettre initiale au Premier ministre, il est impératif que la province réussisse ses plans de déconfinement du premier coup. Notre économie n’a jamais été dans un état aussi fragile. Il est difficile d’imaginer les conséquences d'une deuxième vague de fermetures. Nous recommandons une approche lente, stable et prudente.

Nous reconnaissons également que chaque lieu de travail présentera des défis opérationnels uniques, nécessitant une attention particulière. Il n'est pas du ressort des lignes directrices provinciales d'envisager toutes les circonstances ou tous les défis auxquels un lieu de travail donné pourrait être confronté. Il incombe aux employeurs, aux responsables de la santé et aux syndicats de tenir compte des conseils des experts en santé publique, de concevoir des stratégies spécifiques au lieu de travail qui garantissent la sécurité de tous les individus. Néanmoins, les directives provinciales fournissent des orientations essentielles à toutes les parties, y compris les organismes du secteur public, lorsqu'elles s'efforcent d'établir des plans, des pratiques et des protocoles pour les personnes « sur le terrain ». Dans cette optique, ces lignes directrices doivent être aussi complètes et prévoyantes que possible, et devraient évoluer en ordres de base que les employeurs doivent suivre, sous peine de sanctions.

Il n'est pas dans notre intention, dans cette lettre, de prescrire des solutions et des modifications détaillées et spécifiques à un secteur. Nous vous présentons des recommandations fondées sur trois grands domaines d'action qui, selon nous, sont essentiels à un plan de relance économique résilient et inclusif, et que nous espérons que vous prendrez en considération.

Nos recommandations et orientations politiques sont les suivantes:

  1. Le gouvernement doit fournir des orientations claires sur les droits des travailleuses et travailleurs, y compris le droit de refuser de travailler, le droit d’être informé et le droit de participer, ainsi que des orientations sur les responsabilités des employeurs

Toute notre expérience en matière de santé et de sécurité dans le contexte de la COVID-19 souligne le besoin de clarté. Le gouvernement doit fournir des éclaircissements aux travailleuses et travailleurs sur les droits dont ils disposent en vertu de la Loi, et sur la manière de les faire valoir pendant la COVID-19. Le gouvernement doit clarifier pour les employeurs les responsabilités qui leur incombent en vertu de la Loi et la manière de s'assurer qu'ils les assument.

Les lignes directrices affichées sur le site Web du gouvernement de l'Ontario n'énoncent qu'un seul droit très précis des travailleuses et travailleurs : le droit de refuser de travailler. Il s'agit d'un droit d'une importance capitale, mais c'est un droit de dernier recours dans la lutte contre la COVID-19 et certainement pas le seul droit dont disposent les travailleuses et travailleurs.

La Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST) de l'Ontario consacre le droit de tous les travailleurs de connaître les dangers présents sur leur lieu de travail et la manière dont ces dangers pourraient les affecter. Cela inclut les blessures critiques pour eux-mêmes ou leurs collègues, comme la COVID-19.

La LSST donne également aux travailleuses et travailleurs le droit de participer aux activités de santé et de sécurité au travail par l'intermédiaire du comité de santé et de sécurité (CSS) ou en tant que délégué à la santé et à la sécurité au travail. Cela inclut la participation aux protocoles de santé et de sécurité sans menace de représailles.

Ces droits s'ajoutent au droit de refuser d’effectuer un travail dangereux, et ne sont pas moins critiques.  Si un travailleur estime que son travail est susceptible de le mettre en danger, lui ou un autre travailleur, il a l'obligation de signaler la situation dangereuse à la direction et, si elle n'est pas résolue, il peut refuser d'effectuer le travail sans subir de représailles. Ce sont des droits complémentaires. Ces droits doivent être inscrits dans toute directive officielle présentée par la province aux travailleuses et travailleurs et aux employeurs.

Pas plus tard que la semaine dernière, le Toronto Star a rapporté que le ministère du Travail de l'Ontario n'a retenu exactement aucun refus d’effectuer un travail dangereux, bien que des centaines de refus aient été enregistrés. Cette situation est préoccupante et mérite une plus grande attention de la part des responsables provinciaux. Cependant, lorsque le droit de refuser est le seul droit reconnu dans les directives officielles pour le retour au travail, et que les travailleuses et travailleurs pensent que l'exercice de ce droit est futile, cela va alimenter une plus grande peur lorsqu'ils retourneront au travail. Les travailleuses et travailleurs doivent être encouragés par la province à exercer leurs droits et à les faire renforcer par une communication régulière et ciblée. L'augmentation du nombre d'inspections proactives sur les lieux de travail peut contribuer à la réalisation de cet objectif. Il est également essentiel de veiller à ce que les documents et la correspondance avec les travailleuses et travailleurs soient accessibles (notamment en fournissant des documents officiels dans plusieurs langues).

Les lignes directrices énoncent un ensemble minimal de responsabilités des employeurs en matière de déclaration des réclamations de la CSPAAT au ministère de la Formation, du Travail et du Développement des compétences. Il s'agit d'une responsabilité importante, mais il y en a beaucoup d'autres en vertu de la Loi. Une communication claire et efficace de ces responsabilités est nécessaire dans le contexte de la COVID-19 afin de s'assurer que les employeurs, petits et grands, ceux qui ont une expertise interne en matière de santé et de sécurité et ceux qui n'en ont pas, comprennent le devoir qu'ils ont de protéger leur personnel et le public.

Si nous voulons empêcher la propagation de la COVID-19, il est impératif que la province rappelle aux employeurs leurs responsabilités d'une manière facilement accessible afin d'éviter la frustration et la surcharge lorsqu'ils prennent connaissance du contenu. 

Les employeurs ont le devoir général de prendre « toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour la protection d'un travailleur ». Ce principe de précaution est vital et doit guider toutes les décisions futures sur l'opportunité et la manière de rouvrir des entreprises. Le gouvernement devrait fournir une liste des responsabilités des employeurs qui sont requises à tout moment et mettre en évidence l'ensemble spécifique qu'il est particulièrement important de renforcer dans le contexte de la COVID-19.

Ce qui comprend:

  • Prendre toutes les précautions raisonnables pour garantir la sécurité du lieu de travail;
  • Garantir un processus de contribution et de participation des travailleuses et travailleurs, y compris un comité de santé et de sécurité ou des déléguées et délégués à la santé et à la sécurité;
  • Former les employés aux dangers potentiels et à la manière de s'en protéger;
  • Veiller à ce que les travailleuses et travailleurs utilisent tout équipement de protection individuelle nécessaire, et l'utilisent correctement;
  • Veiller à ce que les informations sur les dangers soient partagées – la COVID-19 est un danger;
  • Nommer un superviseur compétent qui fixe les normes de performance et qui veille à ce que des conditions de travail sécuritaires soient toujours respectées;
  • Fournir les coordonnées du superviseur de la santé et de la sécurité.
  1. Le gouvernement doit veiller à ce que des quantités suffisantes d'équipement de protection individuelle soient mises à la disposition de tous les travailleurs et travailleuses, avant la réouverture des lieux de travail

Sur la base de notre expérience, Unifor est d'avis que tout redémarrage réussi du lieu de travail doit répondre au double objectif de garantir la sécurité des travailleurs et du public (avec la mise en place de protocoles et de précautions de sécurité appropriés) et de faire en sorte qu'ils se sentent en sécurité.

La conception de procédures opérationnelles sur le lieu de travail, conformes aux directives provinciales et basées sur les conseils d'experts des responsables médicaux, peut contribuer à limiter, voire à supprimer entièrement, les menaces de transmission du coronavirus. Toutefois, cela ne suffira pas à éliminer l'anxiété, l'inquiétude et la méfiance que les travailleuses et travailleurs ressentent lorsqu'on leur demande de quitter leur domicile et de revenir sur le lieu de travail.

Comme le Premier ministre l'a exprimé publiquement, l'accès à l'EPI en Ontario suscite des inquiétudes. Les membres d'Unifor qui travaillent en première ligne dans cette crise s'inquiètent régulièrement de l'insuffisance des stocks de masques, de gants et de blouses. Malheureusement, la semaine dernière, Unifor a déploré le décès d'un de ses membres, Leonard Rodriquez, un préposé aux services de soutien à la personne dans un logement supervisé, après avoir succombé à la COVID-19. M. Rodriquez ne disposait pas d'EPI fourni par son employeur et a acheté son propre équipement dans une friperie locale. C'est tout à fait inacceptable. D'autres personnes se trouvent dans des situations similaires.  

Notre syndicat partage la frustration du Premier ministre quant au manque de capacité de production préexistante pour se procurer des équipements médicaux essentiels en temps opportun. Notre dépendance excessive à l'égard des importations d'EPI et d'autres biens nécessaires crée des vulnérabilités inutiles dans l'économie, y compris pendant une crise nationale comme celle-ci. Il est nécessaire et inspirant d'inciter les constructeurs automobiles et autres entreprises à réoutiller leurs installations pour fabriquer des quantités limitées d'EPI (les membres d'Unifor sont parmi ceux qui contribuent à cet effort dans toute la province). Toutefois, il s'agit d'une stratégie bouche-trou, et non d'une solution.

La demande en EPI est actuellement à un niveau de crise. Les nouvelles de cette semaine laissent entendre un quasi-épuisement des stocks canadiens, obligeant les gouvernements et les entreprises à recourir aux importations – y compris des produits qui ne répondent pas aux normes de sécurité canadiennes actuelles. 

Si la demande en EPI au Canada dépasse actuellement l'offre, une réouverture à grande échelle des économies provinciales ne fera que limiter davantage l'accès. En outre, alors que l'industrie automobile de l'Ontario continue de coordonner son redémarrage en Amérique du Nord, il est possible que de nombreuses usines de pièces réoutillées cessent la production d'EPI pour se préparer à la production de voitures.

Il n'est pas approprié que des entreprises redémarrent leurs activités sans un approvisionnement adéquat en EPI pour les travailleuses et travailleurs, en particulier ceux qui travaillent dans des lieux publics (où les clients peuvent avoir besoin d'avoir accès à des EPI également).

Nous demandons instamment au gouvernement provincial de poursuivre ses efforts pour renforcer le stock d'EPI de l'Ontario, et de veiller à ce que les niveaux de stock soient suffisants pour fournir à tous les lieux de travail l'équipement nécessaire et approprié. Cela doit inclure la prise en compte par le gouvernement provincial du contrôle des capacités de fabrication vacantes, de la transition des opérations de façon rapide et de la fabrication directe d'EPI dans toute la province. Si l'offre ne peut répondre à la demande, dans ce cas, la province doit reporter la réouverture.

  1. Le gouvernement doit veiller à ce qu'au fur et à mesure de la réouverture de l'économie, l'accessibilité aux transports en commun et aux services de garde d'enfants soit d'une importance primordiale

Dans les semaines à venir, de nombreux travailleurs et travailleuses vont reprendre le travail. Malgré les craintes ou les réserves que certains peuvent avoir, le simple fait de se rendre au travail peut s'avérer être le plus grand obstacle. Pour de nombreux travailleurs et travailleuses des centres urbains, et en particulier ceux à faibles revenus, l'accès au travail dépend de l'accès aux transports en commun.  Partout au Canada, les autorités municipales et régionales de transport en commun sont confrontées à d'importants défis financiers. La baisse de l'achalandage s'accompagne d'une diminution des recettes tirées des tarifs passagers. Selon des informations, la pandémie aurait fait chuter de 80 à 90 % le nombre d'usagers de la TTC et du GO Transit de Toronto.

Certaines autorités de transport en commun au Canada, tout en s'efforçant d'établir des protocoles de sécurité pour les passagers et les conducteurs, ont déjà annoncé des réductions d'itinéraires, des arrêts de bus et de train moins fréquents, ainsi que des mises à pied. Cette semaine, par exemple, les habitants de la région du Grand Toronto se préparent à une réduction historique des services de la TTC, qui toucherait 120 lignes d'autobus et de tramways existantes. Des réductions de services similaires ont lieu, ou auront lieu, dans des communautés de toute la province.

De même, le manque d'accès aux places de services de garde limitera considérablement la capacité des travailleuses et travailleurs à retourner au travail. Nous reconnaissons le bon travail accompli par la province pour fournir un accès gratuit aux travailleuses et travailleurs essentiels qui ont besoin de ce service public vital. Nous avons également accueilli avec satisfaction la nouvelle selon laquelle la province élargira la liste des travailleuses et travailleurs admissibles qui ont accès à des services de garde d'enfants gratuits. Bien que temporaire et en l'absence d'un programme universel permanent financé par l'État, cette mesure reste importante pour alléger le fardeau financier des familles pour la garde d'enfants et améliorer l'accès.

Alors que les plans de la phase I pour la réouverture de l'économie continuent de se déployer, davantage de travailleuses et travailleurs se retrouveront avec une accessibilité limitée au travail. Cela créera des contraintes supplémentaires pour les travailleurs, aggravées pour ceux qui dépendent d'autres services publics pour leur mobilité. La demande accrue de places de services de garde créera de nouveaux défis pour les prestataires et les travailleuses et travailleurs de première ligne, qui tentent de pratiquer la distanciation sociale et d'accomplir leurs tâches en toute sécurité. Comme indiqué dans une précédente correspondance au Premier ministre, le système nécessite des fonds supplémentaires importants pour assurer non seulement des places supplémentaires, mais aussi une dotation en personnel et des mesures d’hygiène adéquates. 

Il est impératif que la province réalise des scénarios de modélisation appropriés sur les besoins en matière de transport et de garde d'enfants et qu'elle soit prête à débourser les fonds nécessaires pour maintenir ces services vitaux avant de lancer d'autres redémarrages progressifs des lieux de travail.  

Conclusion

L'Ontario s'oriente vers la réouverture de certains secteurs de l'économie, mais cela ne peut se faire dans le cadre d'un scénario de statu quo. Assurer la sécurité des travailleuses et travailleurs et du public est une tâche monumentale et d'une grande importance. L'expérience de ces trois derniers mois nous a permis de tirer le meilleur parti de nos programmes de santé et de sécurité et nous avons constaté que lorsque les programmes sont solides et la communication constante, la réussite est possible. Lorsque les protocoles et les lignes directrices sont faibles, lorsque les employeurs n'assument pas leurs responsabilités, une transition en douceur pour les travailleuses et travailleurs et les employeurs est presque impossible.

Le gouvernement provincial doit fournir des directives claires sur les droits des travailleuses et travailleurs ainsi que sur les responsabilités des employeurs; veiller à ce que les services essentiels, notamment le transport en commun et les services de garde, soient accessibles aux travailleuses et travailleurs à chaque étape du programme de déconfinement; et à ce que les redémarrages sur le lieu de travail se fassent lorsqu’il y a un nombre suffisant d'EPI pour tous les travailleurs et travailleuses. 

Trois documents supplémentaires sont inclus en annexe à cette lettre, notamment la fiche d'information d'Unifor sur le retour au travail après une fermeture liée à la COVID-19, le guide « Safe Work Playbook  en anglais seulement » de Lear (que nous considérons comme un excellent modèle pour guider les protocoles de retour au travail d'autres employeurs) et l'analyse d'Unifor sur la communication des droits des travailleuses et travailleurs et des responsabilités des employeurs dans le contexte de la COVID-19.

Veuillez contacter mon bureau si vous avez des questions supplémentaires ou si vous souhaitez obtenir des précisions.

Je suis impatiente de travailler avec vous pour affiner les directives de réouverture et passer aux phases ultérieures du plan de déconfinement et de redressement de l'Ontario.

Sincèrement,

Naureen Rizvi

Directrice de la région de l’Ontario d’Unifor