
Que le gouvernement fédéral appuie les journalistes par une loi-bouclier est certainement souhaitable, mais cette loi était attendue depuis trop longtemps. Elle placera enfin le Canada au même niveau que d’autres démocraties, comme les États‑Unis et la Grande-Bretagne.
Les journalistes, dont le travail est essentiel à une démocratie fonctionnelle, doivent être capables de faire leur travail sans craindre d'être poursuivis en justice.
La Loi sur la protection des sources journalistiques (projet de loi S‑231), aiderait les journalistes à protéger leurs sources confidentielles en rendant plus difficile pour la police d'espionner les journalistes ou de saisir des documents qui pourraient révéler leurs sources.
Le sénateur conservateur Claude Carignan a déposé ce projet de loi au Sénat en novembre dernier après la découverte que le service de police de Montréal avait procédé à l’écoute téléphonique de dix journalistes québécois dans le but de découvrir leurs sources concernant plusieurs scandales couverts par ces journalistes.
Exceptionnellement, le gouvernement libéral a indiqué qu’il appuiera le projet de loi S‑231, une fois que des modifications mineures, approuvées par Carignan, auront été apportées.
De telles lois sont nécessaires parce que nous sommes tous gagnants lorsqu’un journaliste déniche une information que les riches et les puissants voudraient garder secrète. Le journalisme indépendant peut nous aider à mieux comprendre notre société et notre monde, ainsi qu’à voter de façon mieux éclairée.
Le journaliste Ben Makuch, du groupe médiatique VICE, a été poursuivi en justice après avoir écrit un article sur un Canadien qui combat en Syrie pour le groupe Isis. Makuch communiquait avec le combattant au moyen d’une application de clavardage, dans le but de comprendre ses motivations et de savoir comment il avait été recruté.
Bien que des reportages de ce genre soient très troublants, ils sont toutefois indispensables pour nous tenir informés et élargir notre conscience collective, en plus d’éviter que d'autres jeunes hommes et jeunes femmes soient attirés par ces idées radicales. Makuch et le magazine VICE luttent présentement devant les tribunaux pour empêcher la police de saisir les conversations tenues en ligne aux fins de ce reportage dans l’espoir d'identifier le correspondant de Makuch.
On peut comprendre pourquoi la police souhaite s'emparer de ces conversations, mais cela équivaut pour Makuch à révéler l'identité d'une source. Or, si les sources craignent qu'un journaliste révèle leur identité, elles seront moins enclines à parler aux reporters, ce qui entraînera une diminution du nombre de reportages d’importance capitale qui seront couverts et communiqués au public. Lorsqu’une telle chose se produit, nous sommes tous perdants et notre démocratie en souffre.
Même quand une source refuse que son nom figure dans un reportage, le reporter sait de qui il tient ses informations. Le nom du journaliste, en haut de son reportage, ainsi que le journal ou le média pour lequel il travaille, témoigne du fait que la source de la nouvelle est sérieuse et digne de foi.
Les reporters utilisent rarement des sources non identifiées; quand ils le font, c’est qu’il est impossible de communiquer autrement l’information découverte et qu’il est important que cette information soit connue du public. Dans le cadre de son projet de transparence, le Toronto Star a récemment défini des critères stricts pour les sources non identifiées.
Reste Reste que toutes les protections mises en place pour aider les journalistes à faire leur travail sont affaiblies si les médias pour lesquels ils travaillent sont incapables de surmonter la crise qui sévit dans ce secteur aujourd’hui.
Tous les types de médias se battent pour attirer l’attention du public et pour subsister, alors que l'Internet continue de perturber gravement ce secteur.
Auparavant, les annonces imprimées dans les journaux et les revues ou celles qui étaient diffusées sur les ondes payaient pour le travail des journalistes.
Aujourd’hui, ce modèle de financement est en train de disparaître, alors que Google et Facebook diffusent les annonces publicitaires qui permettaient auparavant de payer pour des reportages journalistiques écrits ou radiotélévisés de qualité.
C’est pourquoi l'intention du gouvernement fédéral d'adopter une loi-bouclier qui protégera les journalistes est une première mesure favorablement accueillie, mais il reste encore beaucoup à faire.
Le Comité fédéral du patrimoine doit publier son rapport sur la situation du secteur des médias et l’avenir des règles relatives au contenu canadien dans l’ère numérique.
Ce rapport, qui fera des recommandations pour guider le secteur canadien des médias pendant les années d’instabilité à venir, suivra de près le rapport intitulé Le miroir éclaté : Nouvelles, démocratie et confiance dans l’ère numérique, publié en janvier dernier sur les défis qui attendent ce secteur.
Au cours des semaines et des mois à venir – et lors de la réunion du Conseil des médias d’Unifor, qui rassemblera la semaine prochaine les journalistes et les membres des médias du Canada – notre syndicat jouera un rôle actif en cherchant des solutions qui permettront d’aider réellement notre secteur des médias, qui est essentiel, à survivre et à se doter d’une base solide pour l’avenir.
Une loi-bouclier aidera les journalistes à faire leur important travail, mais il faut également assurer la survie des médias et des travailleurs qui diffusent l’information au public. Le gouvernement canadien doit veiller à ce que ces deux priorités reçoivent toute l’attention nécessaire.