Stratégie d’Unifor en matière de télécommunications : Connecter le Canada à l’avenir

  1. INTRODUCTION

L’histoire du secteur canadien des télécommunications est étroitement liée aux progrès technologiques et à l’évolution des communications. De l’invention du téléphone par Alexander Graham Bell, en Ontario, à l’essor des réseaux de communication mobile, les télécommunications ont contribué à la formation du paysage économique et social du pays pendant près de deux siècles. Le secteur a apporté d’importantes contributions à l’économie canadienne, créant des millions d’emplois et attirant des investissements dans les infrastructures d’un bout à l’autre du pays.

Le secteur évolue constamment avec de nouvelles technologies et applications qui ont des répercussions sur toute la population du Canada et sur les travailleuses et travailleurs des télécommunications. Les nouvelles dispositions réglementaires, la concurrence, les demandes de services, les conditions économiques, les préoccupations relatives à la sécurité et à l’environnement, ne sont que quelques facteurs parmi beaucoup d’autres qui orientent le secteur des télécommunications. 

À la fin des années 1990 et au début des années 2000, d’importantes fusions et acquisitions ont eu lieu et l’adoption de la technologie Internet s’est généralisée. Dans les années 2000, l’essor des télécommunications mobiles et la croissance rapide des abonnements au sans-fil ont continué de transformer le secteur au cours de la décennie suivante. La pandémie de COVID-19 a permis de constater l’importance vitale des infrastructures de télécommunications en permettant aux gens de rester en contact, ce qui a augmenté encore plus la dépendance de la société à la connectivité et aux services numériques.

Les services Internet à large bande et les services mobiles sans-fil sont désormais considérés comme des services essentiels, car ils permettent aux Canadiennes et aux Canadiens de participer pleinement à la société. Avant l’arrivée de la pandémie, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) avait déjà fixé l’objectif du service universel, lequel reconnaît que tous les Canadiens et Canadiennes devraient avoir accès à des services de téléphonie mobile et de connexion Internet sur les réseaux fixes et mobiles sans fil[1].

La Loi sur les télécommunications régit les services de télécommunications et confirme le pouvoir du CRTC de réglementer le secteur. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont également joué un rôle en soutenant le développement des infrastructures et la prestation des services. On peut se demander, toutefois, si l’approche actuelle est la plus avantageuse pour la main-d’œuvre et les consommateurs, puisqu’elle est caractérisée par une concurrence presque totalement libre de toute restriction entre quelques grandes entreprises, par un faible soutien de la part du gouvernement et par une réglementation limitée de la part du CRTC.

L’adoption de nouvelles technologies et d’autres facteurs économiques et sociétaux transformeront le secteur des télécommunications, qui sera très différent dans une dizaine d’années. À mesure que le secteur évolue, les travailleuses et travailleurs du Canada ne doivent pas être laissés dans une situation difficile et il faut protéger les intérêts des gens ordinaires qui dépendent de ces services de base. Afin de relever ces défis, il est essentiel d’adopter une stratégie unifiée qui est approuvée par tous les ordres de gouvernement et le secteur.

  1. RÉPARTITION AU CANADA DES MEMBRES D’UNIFOR DU SECTEUR DES TÉLÉCOMMUNICATIONS 

Canada : 24 000 membres 

 

Nombre de membres

Grands groupes

Région de l’Ouest

 

Nombre total : 3 600

75

Bell Canada (Alberta)

3 000

SaskTel

450

Bell Canada (Manitoba)

Ontario 

 

Nombre total : 11 300

2 500

Bell Canada (personnel de bureau)

2 500

Bell Canada (personnel de métier)

220

Bell Canada (ventes)

3 600

Bell Solutions techniques

800

Expertech

270

Progistix

200

Wirecomm

110

Zayo

Québec 

 

Nombre total : 7 200

2 200

Bell Canada (personnel de bureau)

1 400

Bell Canada (personnel de métier)

480

Bell Canada (ventes)

1 950

Bell Solutions techniques

575

Expertech

Région de l’Atlantique

 

Nombre total : 1 900

1 550

Bell Canada

135

Rogers Cable

60

Bragg
  1. PROFIL DU SECTEUR DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

    Faits saillants du secteur

  • Revenus totaux : 59,6 G$ en 2023* 

A graph of a number of people

AI-generated content may be incorrect.

  • En 2023, les quatre principaux fournisseurs de services, Bell, Telus, Rogers et Quebecor, ont perçu 85,6 % des revenus totaux du secteur*.
  • Bell, Telus et Rogers ont engrangé 89,5 % des revenus de la vente au détail des services sans fil*.

A graph of different colored lines

AI-generated content may be incorrect.

  • Entre 2022 et 2024, le gouvernement fédéral a investi 1,18 milliard de dollars (le programme Brancher pour innover, le Fonds pour la large bande universelle, le Fonds pour la large bande du CRTC) pour l’infrastructure à large bande. Ces fonds s’ajoutaient à des sources de financement provinciales, territoriales et locales*. 

Emploi

  • Le secteur canadien des télécommunications emploie 117 000 travailleuses et travailleurs. Ce nombre diminue chaque année depuis 2017, année où le nombre d’emplois dans ce secteur s’élevait à 138 000#.
  • Le taux de syndicalisation est de 25 % dans le secteur des télécommunications.

Services fournis aux consommateurs

  • Une proportion de 99,5 % de la population du Canada a accès à des réseaux mobiles*.
  • La consommation moyenne de données mobiles par abonnement a presque doublé de 2020 à 2023*.
  • Entre 2022 et 2024, le prix moyen des forfaits de téléphonie cellulaire de 10 gigaoctets (Go) a diminué de 60 %, tandis que celui des forfaits de téléphonie cellulaire de 50 Go a diminué de 68 %*.
  • Plus de 95 % de la population canadienne a accès à des services Internet résidentiels de 50 mégabits par seconde (Mbps) pour le téléchargement vers l’aval, et de 10 Mbps pour le téléchargement vers l’amont, ce qui conforme à l’obligation de service universel du CRTC*.
  • Près de 90 % de la population canadienne ont la possibilité de s’abonner à des services Internet encore plus rapides, dans l’ordre des gigabits par seconde (Gbps), ce qui est plus rapide que les vitesses offertes dans des pays comparables (p. ex. les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie)*.
  • Près de 60 % de la population canadienne ont le choix entre deux fournisseurs (fibre et câble)*.
  • Entre 2020 et 2024, le prix moyen des services Internet de 50 et 10 Mbps a diminué de 27 %, tandis que le prix moyen des services Internet très rapides (en Gbps) a diminué de 36 %*.
  • Les principales plaintes des consommateurs auprès de la Commission des plaintes relatives aux services de télécom-télévision (CPRST) sont les suivantes~ :
    • plaintes relatives aux factures ou aux contrats (41 %);
    • plaintes relatives aux services ou aux réparations (16 %);
    • plaintes relatives à la divulgation ou aux rapports de solvabilité établis par un tiers (13 %).

Sources :            

* CRTC, Rapport sur le marché canadien des télécommunications 2025 

# Statistique Canada. Tableau 14-10-0202-01.

Statistique Canada, données personnalisées provenant des résultats de l’Enquête sur la population active.

~ CPRST, examen de mi-exercice 2024-2025

  1. SERVICES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS UNIVERSELS

Les services de téléphonie et d’accès à Internet ne sont pas un luxe; au contraire, ce sont des services indispensables utilisés chaque jour pour participer pleinement à la société moderne. La plupart des ménages et des entreprises les considèrent comme des services publics indispensables, au même titre que l’eau et l’énergie. Étant donné la nature essentielle de ces services, ils devraient être accessibles à tout le monde. Il faut donc veiller à ce qu’aucun obstacle d’ordre financier n’empêche l’accès à ces services et à garantir un accès à des services de grande qualité quel que soit le lieu de résidence.

Le CRTC a un rôle à jouer en protégeant l’intérêt du public. Par exemple, le CRTC a joué un rôle direct en fixant des règles pour protéger les consommateurs contre les pratiques de prédateurs, pour mettre en place des structures contractuelles et tarifaires équitables et pour garantir aux consommateurs l’accès à des services de qualité. Cependant, le CRTC peut-il à lui seul faire en sorte que les consommateurs soient protégés et qu’ils aient facilement accès aux services de télécommunications? 

Une grande partie de la population canadienne n’a toujours pas accès à ces services à cause de leur coût. Le grand problème de la pauvreté et la cherté de la vie doivent faire l’objet d’un examen plus systémique. Cela dit, la réalité est qu’un grand nombre de personnes n’ont pas les moyens d’acheter des appareils mobiles ou de s’abonner à des services d’accès Internet à haute vitesse. Une enquête commandée par le CRTC et réalisée en 2024 a trouvé ce qui suit[2]:

  • le mois dernier, 19,5 % des Canadiennes et Canadiens ont modifié leur forfait de téléphonie mobile en raison du coût;
  • le mois dernier, 10,8 % des Canadiennes et Canadiens ont modifié leur service d’accès à Internet en raison du coût;
  • le mois dernier, 18,4 % des Canadiennes et Canadiens ont annulé ou envisagé d’annuler leur forfait de téléphonie mobile en raison du coût;
  • le mois dernier, 18,8 % des Canadiennes et Canadiens ont annulé ou envisagé d’annuler leur forfait d’accès à Internet en raison du coût;
  • seulement 63 % des Canadiennes et Canadiens de la tranche de revenu la plus basse avaient la certitude d’être en mesure de payer leur facture de téléphone mobile au cours des trois mois suivants;
  • seulement 67 % des Canadiennes et Canadiens de la tranche de revenu la plus basse avaient la certitude d’être en mesure de payer leur facture de services Internet au cours des trois mois suivants.

Certaines administrations ont essayé de résoudre la question de l’accessibilité économique des services de télécommunications par le biais d’initiatives offrant l’accès au public ou des réseaux ouverts, notamment l’accès gratuit au réseau Wi-Fi sur les véhicules de transport en commun. Cependant, ces initiatives étaient de petite envergure et n’ont pas reçu un soutien suffisant de la part des gouvernements pour être mises en œuvre sur une plus grande échelle. La technologie est disponible et les gouvernements pourraient tirer parti des occasions qui se présentent pour lancer des projets plus ambitieux.

La couverture des services d’accès Internet fixes et des services sans fil mobiles est encore trop minime dans les communautés rurales, éloignées et autochtones et dans les régions nordiques. Selon le CRTC, 99,5 % de la population du Canada a accès aux réseaux mobiles, mais la couverture baisse à 97,5 % dans les communautés rurales et à 88,7 % dans les réserves des Premières Nations. Seulement 89,1 % des ménages canadiens ont accès au service d’accès Internet très rapide (en Gbps). En comparaison, seulement 53,2 % des ménages ruraux et 43,4 % des ménages dans les réserves des Premières Nations ont accès à ce service[3].

Bien que ces données illustrent certaines des lacunes actuelles, l’expérience vécue au Canada peut être différente. Une recherche sur l’opinion publique indique que seulement 56 % de la population du Canada estiment avoir un service d’accès Internet fiable et 54 % trouvent que leur service de téléphonie mobile est fiable[4]. Les lacunes dans l’accès aux grandes vitesses des services Internet fixes sont actuellement comblées par des services d’accès fixe sans fil et par des services par satellite, mais ces technologies sont limitées. 

Ces dernières années, le gouvernement fédéral a soutenu le développement de l’infrastructure terrestre pour l’Internet à large bande, surtout dans les communautés rurales, éloignées et autochtones, par l’entremise d’initiatives de financement, comme le programme Brancher pour innover et le Fonds pour la large bande universelle. De 2022 à 2024, ces deux fonds et le Fonds pour la large bande du CRTC ont fourni un financement total cumulatif de 1,2 milliard de dollars[5]. Ce total ne tient pas compte des autres fonds publics provenant d’initiatives provinciales, territoriales et locales.

Recommandation 1 : Le gouvernement fédéral et le CRTC devraient continuer de surveiller régulièrement les services de télécommunications offerts dans toutes les régions et de préparer des rapports à ce sujet. Le gouvernement fédéral et le CRTC devraient continuer de prendre en considération tous les outils mis à leur disposition pour empêcher les pratiques de vente au détail abusives et de veiller à ce que les Canadiennes et Canadiens aient accès à des forfaits de services abordables.

Recommandation 2 : Le gouvernement fédéral devrait continuer d’améliorer l’initiative Familles branchées, de façon à ce qu’un plus grand nombre de familles et de personnes âgées à faible revenu aient accès à des forfaits de services abordables, par exemple, en élargissant l’admissibilité et en mettant en place des mesures visant à accroître le nombre de fournisseurs de services Internet participants.

Recommandation 3 : Le gouvernement fédéral et le CRTC devraient continuer à investir dans l’infrastructure terrestre à large bande afin d’améliorer l’accès des communautés rurales, éloignées et autochtones. L’allocation de fonds aux fournisseurs de services doit être assortie de conditions afin de garantir que ces projets créeront de bons emplois locaux.

Recommandation 4 : Les municipalités, avec le soutien des gouvernements fédéral et provinciaux, devraient élaborer des stratégies pour offrir le réseau Wi-Fi public. Les municipalités sont probablement bien placées pour déployer le réseau Wi-Fi public dans les lieux publics et dans les édifices qu’elles détiennent et exploitent, notamment les centres municipaux, les centres communautaires, les bibliothèques, les refuges, les établissements de soins de longue durée et les carrefours de transport en commun. 

  1. PROPRIÉTÉ DE L’ÉTAT ET CONTRÔLE PUBLIC

Le secteur canadien des télécommunications est en grande partie privatisé, ce qui signifie que la plupart des infrastructures de télécommunications appartiennent à des entreprises ou à des sociétés privées; la prestation des services est alors habituellement assurée par des entreprises ou des sociétés privées (souvent les mêmes). Cependant, cela n’a pas toujours été le cas dans toutes les régions du Canada.

Au début des années 1900, la propriété du réseau téléphonique par l’État a été établie en Alberta (Alberta Government Telephones (AGT), en Saskatchewan (SaskTel) et au Manitoba (Manitoba Telephone Service (MTS). Par contre, le gouvernement de l’Alberta a privatisé AGT en 1990, qui devint Telus, et le gouvernement du Manitoba a privatisé MTS en 1997. SaskTel est encore une société de la Couronne et elle fait concurrence aux autres entreprises, petites et grandes, de la province.

SaskTel demeure l’exception au sein d’un secteur par ailleurs privatisé, où une seule entreprise (Bell) a conservé un monopole naturel pendant une grande partie du 20e siècle, avant que d’autres entreprises ne commencent à pénétrer ce marché concurrentiel. À l’heure actuelle, Bell, Telus et Rogers sont les trois sociétés qui occupent presque la totalité des parts du marché au Canada, tandis que les plus petits fournisseurs de services ont pénétré les marchés régionaux.

Il faut se demander si la structure actuelle du secteur des télécommunications est adaptée aux besoins quotidiens de la population et des travailleuses et travailleurs du Canada. Au Canada, la majeure partie des infrastructures essentielles de télécommunications appartient à ces grandes sociétés, mais qu’arriverait-il si une plus grande partie de ces infrastructures essentielles appartenait à l’État ou à un organisme sans but lucratif? 

SaskTel est la preuve, depuis plus d’un siècle, qu’une entreprise de télécommunications détenue par l’État peut réussir même dans un marché de services concurrentiel. Non seulement SaskTel a-t-elle prouvé qu’elle peut bâtir des infrastructures et fournir des services fiables à des prix compétitifs, mais, en plus, la société d’État génère continuellement des recettes pour la province. En 2024, SaskTel a versé 38,2 millions de dollars dans les coffres de la province[6].

Par ailleurs, des municipalités et des communautés autochtones ont mis en place leurs propres infrastructures de télécommunications afin d’offrir des services à leurs résidents. Voici quelques exemples : Tbaytel, propriété de la Société de la Ville de Thunder Bay; Tamaani Internet, mis en place par le gouvernement régional de Kativik; l’Administration régionale crie a dirigé la création du Réseau de communications Eeyou; le Conseil tribal Keewaytinook Okimakanak a mis en place K-Net.

Les différents ordres de gouvernement pourraient explorer la possibilité d’une plus grande participation de l’État dans le secteur des télécommunications. Par exemple, quelques-uns des grands exploitants cherchent à vendre des parties de leurs infrastructures afin d’augmenter leurs liquidités. C’est ce qu’a fait Rogers, lorsqu’elle a vendu, en octobre 2024, une participation minoritaire dans une partie de son infrastructure de réseau sans fil, pour 7 milliards de dollars[7]. En mars 2025, Telus a annoncé qu’elle était disposée à vendre une participation minoritaire dans son réseau de tours cellulaires. En février 2025, Bell Canada a annoncé qu’elle procédait à un examen stratégique de ses propriétés non essentielles dans le but de les vendre éventuellement.

Le secteur public pourrait renforcer la résilience à long terme du secteur des télécommunications en tirant parti des infrastructures et des technologies publiques. Afin de développer les services de télécommunications dans certaines régions du pays, le Canada pourrait explorer la possibilité de tirer parti des infrastructures hydroélectriques déjà en place, lesquelles appartiennent souvent à des entités publiques qui emploient leur propre réseau de télécommunications pour surveiller leur réseau électrique. À titre d’exemple, Hydro One (Ontario) possède une filiale qui fournit une connectivité haute vitesse par fibre optique, des services infonuagiques et des fonctions réseau. Hydro-Québec investit des montants considérables dans ses réseaux de télécommunications, afin de prendre en charge toutes les télécommunications liées à l’exploitation et à la surveillance en temps réel de son réseau électrique. 

Afin d’élargir la prestation de services aux communautés éloignées, le Canada pourrait également explorer la possibilité de tirer parti du Réseau national de recherche et d’enseignement (NREN) et de son réseau CANARIE, qui fournit des réseaux et des services d’information ultra rapides aux établissements d’enseignement postsecondaire et de recherche publics. 

Les divers ordres de gouvernement devraient examiner sérieusement les possibilités d’une intervention gouvernementale plus directe pour développer les réseaux publics déjà en place, bâtir des infrastructures essentielles et créer plus de résilience dans le secteur. Il y a plusieurs exemples d’initiatives gouvernementales et communautaires qui ont obtenu de bons résultats en fournissant des services de télécommunications, et nous devrions tirer parti des infrastructures publiques déjà en place et du pouvoir d’achat du gouvernement pour accroître la participation de l’État dans le secteur.

Recommandation 5 : Le gouvernement fédéral devrait mettre en place un cadre et un mécanisme de financement dans le but d’acquérir des actifs auprès d’entreprises souhaitant se départir de leur infrastructure de télécommunications. Cela pourrait aussi comprendre l’acquisition d’une entreprise de télécommunications exerçant ses activités au Canada. 

Recommandation 6 : Afin de développer les services de télécommunications dans des régions ciblées, le Canada devrait explorer la possibilité de tirer parti des infrastructures hydroélectriques publiques déjà en place, surtout lorsque les entités publiques emploient leur propre réseau de télécommunications pour assurer la surveillance de leur réseau électrique.

Recommandation 7 : Le financement gouvernemental fourni pour développer l’infrastructure à large bande devrait comprendre, dans la mesure du possible, des partenariats avec des communautés autochtones afin d’établir des fournisseurs de services locaux et de créer des infrastructures de télécommunications appartenant à des intérêts locaux. 

  1. D’une entreprise de télécommunications à une entreprise de technologie

L’un des principaux thèmes du débat actuel est de déterminer comment les entreprises du secteur devront se transformer et se préparer pour l’avenir. Les technologies qui sous-tendent les infrastructures et les services de télécommunications sont différentes de ce qu’elles étaient il y a dix ans et elles seront certainement différentes dans une décennie. 

Par exemple, le cuivre est un élément essentiel des réseaux téléphoniques depuis des décennies, et il est encore utilisé dans les applications modernes. Cependant, les câbles à fibres optiques remplacent depuis quelque temps le cuivre, car ils permettent des vitesses de bande passante et de transmission de données nettement supérieures. Ils constituent maintenant le premier choix pour les réseaux à haut débit et de longue portée. Parallèlement, la technologie 5G ouvre une nouvelle vague de capacités, alors que le monde poursuit sa transformation numérique.

Les entreprises s’adaptent en bâtissant et en modernisant leur infrastructure dorsale. La transformation technologique les a amenées à regarder au-delà des fonctions de base des réseaux. Dans certains cas, les entreprises de télécommunications investissent dans des technologies connexes, comme l’informatique en nuage, la cybersécurité et l’intelligence artificielle. Bell Canada, par exemple, affirme que les entreprises de télécommunications sont en train de se transformer en entreprises de technologie. En mai 2025, Bell a lancé Ateko, un regroupement d’entreprises technologiques acquises, qui est « prête à révolutionner les activités d’affaires grâce à l’automatisation basée sur l’IA et à la collaboration technologique[8]. »

Cette décision de devenir une entreprise technologique révèle la stratégie de Bell (et d’autres grandes entreprises) pour pénétrer un marché technologique qui est nouveau et offre de grandes possibilités de croissance. Si les entreprises de télécommunications investissent encore dans la prestation de services de base comme les lignes téléphoniques terrestres, les services d’accès Internet fixes et les services sans fil, elles sont toutefois motivées à développer la portée de leurs services pour suivre l’évolution de la transformation numérique et créer de nouvelles sources de revenus.

Les lois et les règlements doivent eux aussi suivre l’évolution rapide des technologies et du secteur. On constate, par exemple, une grave insuffisance de règlements pour encadrer l’utilisation de l’intelligence artificielle, pas seulement au Canada, mais partout dans le monde. En mai 2025, le premier ministre a annoncé la création du ministère de l’Intelligence artificielle et de l’Innovation numérique. Il reste cependant beaucoup de progrès à faire pour élaborer un cadre juridique complet pour l’intelligence artificielle capable de protéger les droits fondamentaux. Le Canada pourrait, par exemple, s’inspirer de la Loi sur l’intelligence artificielle de l’Union européenne, qui est la première loi exhaustive sur l’IA au monde.

Recommandation 8 : Malgré la motivation de pénétrer le marché ou d’élargir leurs services numériques, les entreprises de télécommunications doivent continuer à investir dans des infrastructures de base qui permettent aux Canadiennes et Canadiens de rester connectés dans leur foyer ou par le biais de leur téléphone. 

Recommandation 9 : Le nouveau ministère et le ministre de l’Intelligence artificielle et de l’Innovation numérique doivent faire participer les travailleuses et travailleurs et les syndicats à l’élaboration d’un cadre juridique exhaustif pour l’intelligence artificielle et l’innovation numérique.

  1. LA MAIN-D’ŒUVRE

Dans le secteur des télécommunications, les revenus, les abonnements et les services ont augmenté d’une année à l’autre au cours de la dernière décennie, contrairement au nombre de travailleuses et de travailleurs. En 2024, le secteur canadien des télécommunications comptait approximativement 117 000 travailleuses et travailleurs, le nombre le plus bas depuis vingt ans. Après avoir atteint son sommet en 2017, à 138 000, le nombre de travailleuses et travailleurs dans le secteur a baissé d’une année à l’autre. 

Cette baisse pourrait être causée par les grandes entreprises qui cherchent activement à supprimer les emplois canadiens par la délocalisation. Au cours des dernières décennies, ces entreprises ont cherché à affaiblir les conventions collectives en recourant à de la main-d’œuvre non syndiquée dans des pays où les normes du travail sont moins contraignantes. Les entreprises n’ont pas hésité à délocaliser leurs activités, en particulier le service à la clientèle et les centres d’appel, dans l’unique but de réduire leurs coûts de fonctionnement. 

Elles doivent être tenues responsables de leurs actes et ne devraient pas jouer un rôle actif dans l’élimination de bons emplois locaux. Le gouvernement fédéral et les autres ordres de gouvernement du pays continuent d’offrir des subventions et des incitatifs aux grandes entreprises de télécommunications pour qu’elles bâtissent et développent des infrastructures à haut débit. Malheureusement, les gouvernements ne demandent pas à ces entreprises de rendre compte de leurs pratiques commerciales, telles que la sous-traitance et la délocalisation. 

Unifor soutient depuis longtemps que tout financement public destiné à des infrastructures privées doit être assorti d’obligations qui servent l’intérêt public, comme des engagements à conserver les bons emplois locaux et à en créer d’autres, au lieu de délocaliser ces emplois à l’étranger ou de confier le travail à des sous-traitants dont le personnel n’est pas syndiqué. Les entreprises établies au Canada devraient également faire preuve de plus de transparence lorsqu’elles délocalisent des fonctions qui font partie de leurs activités canadiennes.

Par ailleurs, les travailleuses et travailleurs du secteur des télécommunications sont affectés par l’adoption de nouvelles technologies dans leurs lieux de travail. L’emploi de l’intelligence artificielle, de systèmes d’analyse sophistiqués, d’instruments de surveillance, entre autres technologies, transforment les lieux de travail et affectent les travailleuses et travailleurs de plusieurs façons nouvelles. Les travailleuses et travailleurs craignent de perdre leurs emplois, surtout quand ils voient la cadence rapide à laquelle les nouvelles technologies sont mises en œuvre dans leurs lieux de travail. Les travailleuses et travailleurs sont confrontés chaque jour aux effets des nouvelles technologies, à mesure qu’on leur enlève certaines de leurs fonctions ou que leurs employeurs utilisent de nouveaux outils pour gérer le rendement et la discipline.

Face à ces changements technologiques, les travailleuses et travailleurs ont besoin d’être protégés et soutenus, que ce soit en leur assurant un revenu pendant qu’ils font la transition vers de nouveaux rôles; en diminuant le stress au travail; en protégeant le travail de l’unité de négociation (contre la sous-traitance); en protégeant les emplois; ou par tout autre moyen nécessaire pour atténuer les impacts négatifs potentiels sur la santé et le bien-être des travailleuses et travailleurs.

Les travailleuses et travailleurs et les syndicats doivent participer activement à la mise en œuvre de nouvelles technologies dans leurs lieux de travail. Cette participation active permettra aux entreprises de réduire au minimum les impacts négatifs liés aux emplois (p. ex. pertes d’emploi, déplacements, santé et sécurité, etc.), tout en offrant de nouvelles possibilités attrayantes pour la main-d’œuvre.

Recommandation 10 : Le gouvernement fédéral doit obliger les entreprises à présenter un rapport sur leurs activités de délocalisation et de sous-traitance, avant de leur accorder un financement et pendant qu’elles en reçoivent, pour des projets d’infrastructure ou si elles fournissent des services dans le cadre des marchés publics. 

Recommandation 11 : Le gouvernement fédéral et le CRTC doivent dès maintenant fixer des critères de financement afin que les projets approuvés créent de bons emplois locaux et pour empêcher la sous-traitance et la délocalisation de toutes les activités liées à ces projets.

Recommandation 12 : Les entreprises doivent faire participer les travailleuses et travailleurs et les syndicats à tous les changements technologiques apportés dans les lieux de travail. Cette mesure permettra de protéger les emplois, d’offrir aux travailleuses et travailleurs des possibilités d’acquérir de nouvelles compétences et de réduire au minimum les effets négatifs sur les conditions de travail. 

  1. PROPRIÉTÉ ÉTRANGÈRE ET RÉSILIENCE NATIONALE

La Loi sur les télécommunications exige que toutes les entreprises de télécommunications qui possèdent et exploitent du matériel de transmission de télécommunications au Canada soient détenues et contrôlées à 80 % par des intérêts canadiens. Les entreprises sont exemptées de cette règle si elles représentent moins de 10 % du revenu annuel total du secteur. Si l’on se base sur les chiffres de 2023, une entreprise étrangère serait en mesure d’exercer ses activités si son revenu total était inférieur à 5,96 milliards de dollars. 

Plusieurs préoccupations sont soulevées concernant l’impact de l’augmentation du nombre d’entreprises étrangères qui fournissent des services de télécommunications sur le marché canadien. Tout d’abord, rien ne prouve qu’un plus grand nombre d’entreprises étrangères entraînerait une réduction des prix ou de meilleurs services. Le Bureau de la concurrence Canada a constaté que les prix des téléphones sans fil étaient généralement plus bas dans les régions du pays où on trouvait un concurrent régional puissant aux côtés d’une entreprise de services sans fil nationale[9]. Au Canada, les entreprises de services de télécommunications régionales ne sont généralement pas sous contrôle étranger. 

Le CRTC a essayé d’accroître la concurrence sur le marché des services Internet haute vitesse en permettant un meilleur accès de gros aux réseaux. Au cours de la dernière décennie et par le biais de processus continus, le CRTC a affirmé sa capacité à réglementer le marché en obligeant les plus grandes entreprises de télécommunications du pays à fournir à leurs petits concurrents un accès de gros à leurs réseaux de fibre optique. Le CRTC a d’abord imposé l’accès au marché de gros en Ontario et au Québec, en novembre 2023, avant d’étendre son mandat au reste du Canada, en août 2024[10][11].

Étant donné les mesures en place, l’absence d’entreprises étrangères sur le marché n’empêche pas la concurrence parmi les fournisseurs de services au pays. L’assouplissement des règles sur la propriété étrangère ne ferait qu’encourager la consolidation du marché par une grande entreprise étrangère. 

L’augmentation de la propriété étrangère a également des incidences sur l’économie et la population active. Les entreprises étrangères qui exercent des activités au Canada ont généralement leur siège social et leur bureau central dans leur pays d’origine, où elles emploient la population locale ou des spécialistes étrangers qui déménagent vers ces destinations. L’augmentation de la propriété étrangère dans le secteur pourrait également accentuer la tendance à la délocalisation, puisque ces entreprises ont établi des réseaux et des infrastructures à l’extérieur du Canada et qu’elles risquent d’être moins portées à conserver les emplois au pays.

Cependant, les restrictions imposées à la structure de la propriété des entreprises de télécommunications n’ont pas empêché les entreprises étrangères d’acheter des infrastructures. À titre d’exemple, des entreprises américaines ont commencé à acheter des infrastructures de liaison terrestre sans fil, notamment des tours, des infrastructures d’émission et des centres de données. 

Le Canada peut réglementer plus étroitement le secteur afin de protéger la capacité de production nationale. Le gouvernement fédéral a déjà prouvé qu’il peut le faire : lorsqu’il a interdit à la société chinoise Huawei de participer au développement du réseau 5G et lorsqu’il a supprimé progressivement du matériel, pour des raisons de sécurité nationale. En réaction à la guerre commerciale avec les États-Unis, le gouvernement de l’Ontario a résilié le contrat qu’il avait attribué à Starlink pour son Programme d’accès Internet par satellite; Starlink appartient à SpaceX, une société américaine[12].

L’une des leçons à retenir de la guerre commerciale avec les États-Unis est que le Canada pourrait faire davantage pour développer sa capacité industrielle et réduire au minimum son exposition à des mesures commerciales lourdes de conséquences. Le Canada peut prendre d’autres mesures, par exemple, resserrer les règles relatives à la propriété étrangère; bloquer l’acquisition d’entreprises canadiennes par des entreprises étrangères; restreindre les approbations ou imposer des conditions plus strictes aux entreprises étrangères qui étendent leurs services au Canada; empêcher les entreprises étrangères d’acquérir des infrastructures de télécommunications essentielles (p. ex. des infrastructures de liaison terrestre sans fil, des centres de données); empêcher les entreprises étrangères de services par satellite d’étendre leurs services au Canada.

Le Canada peut prendre les mesures de protection énumérées ci-dessus, mais il devrait proactivement mettre en place des mesures pour améliorer la résilience du secteur et de ses réseaux. Il pourrait, par exemple, inciter les entreprises à développer leurs infrastructures terrestres (surtout dans les régions éloignées) et soutenir les entreprises canadiennes de services par satellite qui exercent leurs activités au pays. Le gouvernement pourrait encourager les entreprises à développer leur capacité de production afin de réduire la dépendance envers les fournisseurs étrangers. Les marchés publics visant l’achat de matériel ou la prestation de services de télécommunications devraient accorder la priorité aux entreprises canadiennes et exiger que le travail soit effectué localement et à l’intérieur du Canada.

Recommandation 13 : Le gouvernement fédéral devrait resserrer les règles relatives à la propriété étrangère; envisager des mesures pour imposer des limites aux entreprises étrangères qui souhaitent étendre leurs services de télécommunications au Canada; mettre en place des mesures pour empêcher les entreprises étrangères d’acquérir des infrastructures de télécommunications essentielles. Les infrastructures de télécommunications doivent être traitées comme un bien de sécurité nationale et un atout stratégique, car elles protègent la souveraineté du Canada et son indépendance économique dans un contexte mondial de plus en plus instable.

Recommandation 14 : Les marchés publics visant l’achat de matériel ou la prestation de services de télécommunications devraient accorder la priorité aux entreprises canadiennes et exiger que le travail soit effectué localement.

Recommandation 15 : Le gouvernement fédéral devrait envisager des mesures pour inciter les entreprises canadiennes à développer la capacité de production nationale et à diminuer leur dépendance envers les fournisseurs des États-Unis ou d’autres pays. Ces mesures incitatives devraient être subordonnées à l’obligation de créer de bons emplois locaux et de garder les emplois au Canada.

  1. PROTECTION DES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS ET TRANSPARENCE

Étant donné l’évolution rapide des technologies, l’émergence de l’Internet des objets, l’intelligence artificielle et la délocalisation du travail, la confidentialité des données et la transparence sont des enjeux importants pour la population canadienne. Par exemple, la Loi sur la protection des renseignements personnels (LPRP) protège les données personnelles des particuliers détenues par les institutions fédérales, tandis que la Loi sur la protection des renseignements personnels et des documents électroniques (LPRPDE) réglemente la façon dont les organisations du secteur privé recueillent, utilisent et divulguent les renseignements personnels. 

Bien que le Commissariat à la vie privée du Canada veille au respect de la LPRP et de la LPRPDE, les Canadiennes et Canadiens ne sont toujours pas convaincus de l’efficacité des lois en vigueur et de leur application. Le secteur des télécommunications a reçu de vives critiques en 2014 lorsque le commissaire à la vie privée de l’époque a révélé que les organismes fédéraux responsables de l’application des lois ont adressé en moyenne, chaque année, 1,2 million de demandes aux entreprises de télécommunications pour obtenir des renseignements personnels[13].

La majorité de ces demandes ont été faites sans mandat, et les entreprises ont tenu des registres détaillés sur les demandes d’accès à l’information sans en divulguer le nombre publiquement. Les entreprises n’ont pas révélé quels types de renseignements ont été demandés par les organismes, ni ceux qui ont été divulgués, ni le type de surveillance judiciaire qui était en cause. Les entreprises n’ont pas non plus informé leurs clients chaque fois qu’elles ont communiqué leurs renseignements personnels à des autorités fédérales. 

Plus récemment, on a appris que certains organismes gouvernementaux utilisent des outils capables d’extraire des données personnelles à partir des téléphones ou des ordinateurs. Ces outils comprennent des logiciels qui permettent d’accéder aux données infonuagiques des particuliers et de révéler leurs activités en ligne. Des spécialistes ont exprimé leurs préoccupations concernant l’utilisation généralisée de cette technologie au sein du gouvernement fédéral et le fait que ces pratiques normalisent la surveillance[14].

En outre, de plus en plus de données canadiennes sont stockées à l’étranger, notamment aux États-Unis. Comme les lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels ont une portée limitée à l’extérieur des frontières du Canada, les Canadiennes et Canadiens sont de plus en plus préoccupés par la manière dont ces lois et ces règlements étrangers régissent leurs données et par le risque que des gouvernements d’autres pays ou des organismes étrangers responsables de l’application des lois aient accès à leurs données.

Les violations de données, la délocalisation des activités, la possession de centres de données par des entreprises étrangères et le stockage de données canadiennes à l’extérieur du pays pourraient mettre en péril les données personnelles. Une fois que des données personnelles sont transférées à un autre pays, elles deviennent assujetties aux lois de ce pays, lesquelles ne sont pas forcément conformes aux normes du Canada en ce qui concerne la protection des renseignements personnels. Par ailleurs, les exigences en matière de rapports imposées aux entreprises canadiennes concernant la protection des renseignements personnels et l’accès aux données des utilisateurs sont minimales. 

Recommandation 16 : Les améliorations apportées aux lois fédérales sur la protection des renseignements personnels, dont la LPRP et la LPRPDE, devraient surtout améliorer les exigences en matière de transparence et de présentation de rapports des entreprises de télécommunications, tout en mettant en place des procédures rigoureuses que devront suivre les organismes fédéraux pour obtenir des renseignements personnels.

Recommandation 17 : Le Canada doit affirmer son autonomie sur tous les aspects de son infrastructure et de son écosystème numériques. Pour assurer la souveraineté des données, il faudrait mettre en place des mesures pour décentraliser davantage le stockage des données; fixer des règles rigoureuses pour protéger la confidentialité des métadonnées; établir des règlements stricts pour encadrer le transfert de données à l’étranger.

  1. LE SPECTRE DES RADIOFRÉQUENCES 

Le spectre des radiofréquences est une ressource publique, partagée et limitée, qui est réglementée par Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDE). Il est utilisé couramment pour les communications et joue aussi un rôle dans les domaines liés aux transports, à la défense, à la sécurité publique, aux prévisions météorologiques et à l’agriculture. Le spectre soutient la prestation de nombreux services, entre autres, les services mobiles commerciaux, la radiodiffusion, les satellites, la science de l’espace, l’aéronautique et le transport maritime. 

Au fil des changements technologiques, les gouvernements ont dû se tenir au courant de la façon dont le spectre des radiofréquences est réglementé. En général, l’approche du Canada à l’égard du spectre des radiofréquences consiste à s’en remettre aux forces du marché pour rendre les services de télécommunications accessibles, tout en assurant une certaine gestion réglementaire. Par le passé, ISDE attribuait des segments du spectre au moyen de processus de délivrance de licences compétitifs (p. ex. ventes aux enchères) et non compétitifs (p. ex. sur la base du principe « premier arrivé, premier servi »). Toutefois, cette approche ne s’est pas avérée suffisamment efficace pour combler tous les écarts de service, surtout pour les communautés rurales, éloignées et autochtones. 

Après l’adoption en 1999 de la méthode de mise aux enchères pour attribuer des bandes du spectre, des entreprises ont présenté des soumissions qui ont été retenues pour ensuite vendre les licences sans les avoir utilisées. Vidéotron, par exemple, a engrangé des centaines de millions de dollars en 2017 en vendant des licences de spectre inutilisées à Rogers (à Toronto) et à Shaw (dans l’Ouest du Canada)[15].

Depuis, ISDE a mis en place, pour l’attribution de spectre, une politique selon laquelle « tout spectre inutilisé est perdu », ce qui permet théoriquement au ministre d’appliquer diverses mesures de conformité et d’application de la loi lorsqu’un licencié ne remplit pas les conditions relatives à la mise en œuvre du spectre. Dans les faits, l’entreprise qui achetait une licence aux enchères était obligée d’utiliser le spectre pour fournir des services à un certain pourcentage d’une zone de services selon une série de délais à respecter. Toutefois, les licenciés pouvaient remplir ces conditions en desservant davantage de zones urbaines, laissant sans services les zones rurales et les zones mal desservies[16].

ISDE a fait savoir qu’il a imposé des exigences plus strictes obligeant les entreprises à étendre la couverture aux régions rurales et à respecter des délais plus serrés pour la prestation des services. Il reste à voir si ces exigences amélioreront l’accès aux services dans ces localités. Parmi les autres mécanismes utilisés pour améliorer l’accès aux services, on peut citer la « mise en réserve du spectre », une mesure dont l’objectif est de mettre une plus grande partie du spectre à la disposition des fournisseurs régionaux et des petits fournisseurs, ainsi que la mise en œuvre potentielle d’exigences en matière de spectre liées à la couverture sans fil des routes et des autoroutes.

Les communautés autochtones ont réclamé des mesures plus inclusives pour l’attribution de spectre sur leurs territoires. Le gouvernement fédéral a annoncé l’élaboration de règles qui donneraient aux Autochtones qui demandent une licence un accès prioritaire au spectre inutilisé, dans un nouveau cadre de délivrance des licences d’utilisation du spectre, en 2024[17].

Le gouvernement doit continuer à nouer un dialogue constructif avec les communautés autochtones. Dans le contexte des télécommunications, la promotion de l’autodétermination et de la réconciliation économique des peuples autochtones pourrait se traduire par la création de réseaux communautaires qui permettraient de déterminer comment fournir des services efficaces. Elle pourrait également comprendre le concept de la souveraineté du spectre, selon lequel les communautés autochtones auraient des droits sur le spectre qui s’étend au-dessus de leurs territoires. 

Recommandation 18 : ISDE devrait renforcer la politique « tout spectre inutilisé est perdu », ainsi que les mesures d’application de la loi afin que le spectre soit utilisé efficacement et que les localités éloignées aient accès aux services.

Recommandation 19 : ISDE devrait élaborer une stratégie pour l’attribution du spectre mis en réserve afin de soutenir les fournisseurs de services du secteur public ou la mise en œuvre du réseau Wi-Fi public dans les locaux des administrations municipales et dans les lieux publics.

Recommandation 20 : ISDE devrait élaborer un cadre rigoureux pour améliorer l’accès des communautés autochtones au spectre. Ce cadre devrait notamment offrir aux peuples autochtones un accès prioritaire au spectre inutilisé et accroître leur autonomie de gestion du spectre sur les territoires autochtones.


[1] Politique réglementaire de télécom CRTC 2016-496
[2] Ipsos, Suivi de recherche sur l’opinion publique, octobre 2024, préparé pour le CRTC.
[3] CRTC, Rapport sur le marché canadien des télécommunications 2025 
[4] Ipsos, Suivi de recherche sur l’opinion publique, octobre 2024, préparé pour le CRTC.
[5] CRTC, Rapport sur le marché canadien des télécommunications 2025 
[6] https://www.saskatchewan.ca/government/news-and-media/2024/july/08/sasktel-reports-net-income-of-954-million
[7] https://www.thestar.com/business/rogers-reveals-buyer-structure-of-7b-deal-for-stake-in-its-network-infrastructure/article_5d033102-cb4c-5a44-b0b6-430c3aa74be0.html
[8] https://www.newswire.ca/news-releases/bell-canada-introduces-ateko-new-tech-services-brand-simplifying-enterprise-operations-with-leading-automation-and-tech-collaboration-813817672.html
[9] https://bureau-concurrence.canada.ca/fr/comment-nous-favorisons-concurrence/education-sensibilisation/enonces-position/acquisition-mts-bell
[10] https://crtc.gc.ca/fra/archive/2023/2023-358.htm
[11] https://crtc.gc.ca/fra/archive/2024/2024-180.htm
[12] https://www.cbc.ca/news/canada/thunder-bay/ontario-starlink-1.7475817
[13] https://www.thestar.com/news/canada/government-agencies-seek-telecom-user-data-at-jaw-dropping-rates/article_c1e841b1-9d46-5a72-8bb7-9aff73fe290e.html
[14] https://www.cbc.ca/news/canada/ottawa/federal-canada-government-department-privacy-1.7041255
[15] https://www.theglobeandmail.com/business/article-as-major-wireless-auction-looms-critics-call-on-ottawa-to-close-policy/
[16] Innovation, Sciences et Développement économique Canada, Perspectives du spectre de 2023 à 2027.
[17] https://www.canada.ca/fr/innovation-sciences-developpement-economique/nouvelles/2024/01/le-gouvernement-du-canada-renforce-la-politique-du-spectre-selon-laquelle-tout-spectre-inutilise-est-perdu-et-etablit-des-regles-qui-donneront-aux-.html