Patrick Halley
Sous-ministre adjoint
Finances Canada
Michael Mosier
Directeur, Division de la politique commerciale internationale
Ministère des Finances
Cassidy McGraw
Analyste, Division de la politique commerciale internationale
Ministère des Finances
Objet : Révision de la surtaxe imposée aux véhicules électriques chinois en vertu de l’article 53 de la Loi sur le tarif des douanes
Bonjour,
Alors que le gouvernement du Canada entreprend une révision du décret de 2024 imposant une surtaxe sur les véhicules électriques importés de Chine, je vous soumets le présent mémoire au nom d’Unifor, le principal syndicat des travailleuses et travailleurs canadiens de l’automobile, qui compte plus de 40 000 membres dans les domaines suivants : montage de véhicules légers et lourds et de groupes motopropulseurs; production de pièces automobiles, notamment la fabrication d’éléments et de blocs de batteries; distribution de pièces de rechange; logistique; travail de bureau et d’ingénierie; vente et entretien de véhicules.
En août 2024, Unifor a soumis au ministère des Finances un rapport appuyant une proposition d’appliquer l’article 53 de la Loi sur le tarif des douanes et d‘imposer une surtaxe de 100 % sur les véhicules électriques importés au Canada en provenance de la République populaire de Chine. La surtaxe sur les véhicules électriques chinois était justifiée au motif que la concurrence chinoise déloyale et la pénétration croissante des importations provenant de ce pays posaient une menace urgente à la chaîne d’approvisionnement canadienne des véhicules à zéro émission et répondait aux préoccupations croissantes concernant les violations systémiques du droit du travail international en Chine.
Le Canada s’est placé dans une position pour favoriser la croissance industrielle dans le secteur des véhicules zéro émission, allant de l’extraction de minéraux critiques au montage et au recyclage de véhicules électriques. Après des décennies de déclin de la capacité de production automobile et de fermetures d’usines, le Canada a obtenu, depuis 2020, plus de 50 milliards de dollars en investissements dans des usines et des programmes de montage principalement liés à la production de véhicules électriques de première génération et de composants. Les prévisions de l’industrie pour 2024 indiquaient donc une augmentation impressionnante de 37 % de la production de véhicules d’ici 2031 et le développement de la chaîne d’approvisionnement des véhicules électriques, de l’extraction de minéraux critiques à la production de batteries en passant par les matériaux précurseurs. Cet investissement impressionnant, cette capacité industrielle (y compris des usines novatrices) et ce potentiel de croissance de l’emploi ont été rendus possibles grâce à la stratégie industrielle « Des mines à la mobilité » du gouvernement fédéral, axée sur les véhicules électriques, soutenue par des investissements publics et d’autres engagements de financement.
La Chine, qui est le pays concurrent du Canada le plus avancé en ce qui concerne les véhicules électriques de l’avenir, leurs composants et les minéraux critiques, a développé son industrie nationale en recourant à une combinaison de politiques industrielles énergiques, de subventions gouvernementales et de « surcapacité structurelle ». Les entreprises chinoises profitent de pratiques déloyales (et condamnées internationalement), comme le travail forcé et la suppression des droits des travailleuses et travailleurs. La dépendance excessive de la Chine aux sources d’énergie à fortes émissions de carbone, comme les centrales au charbon, réduit l’avantage des véhicules zéro émission en matière de réduction des gaz à effet de serre. Les entreprises chinoises, comme BYD, adaptent leur production en fonction des marchés d’exportation parce que la politique de l’État vise à renforcer l’offre intérieure, sans apporter un soutien proportionnel à la demande des consommateurs. C’est pour ces raisons qu’Unifor était en faveur d’imposer des surtaxes en vertu de l’article 53 sur l’acier, l’aluminium et les marchandises de technologies propres en provenance de la Chine.
Le Canada avait de bonnes raisons d’appliquer une surtaxe sur les véhicules électriques chinois – ce qui a efficacement empêché l’importation sur le marché canadien de véhicules construits en Chine par des pratiques déloyales – et il y a une bonne raison de maintenir cette surtaxe aujourd’hui. Le recours à l’article 53 était un moyen approprié et opportun de répondre à la menace urgente posée par les constructeurs automobiles chinois, pressés de s’introduire dans le marché nord-américain.
Il est essentiel que le gouvernement fédéral maintienne le décret imposant une surtaxe sur les véhicules électriques construits en Chine. En effet, les conditions de concurrence déloyale ayant mené au décret initial de 2024 sont toujours présentes et, en plus, le climat économique auquel fait face l’industrie automobile canadienne s’est dégradé au cours des 12 derniers mois.
Premièrement, les tarifs douaniers imposés par les États-Unis sur les importations d’automobiles construites au Canada représentent une menace existentielle pour la production nationale de produits automobiles. Les tarifs douaniers punitifs imposés sur les exportations de véhicules canadiens (et les pièces de fabrication canadienne, à l’intérieur de ces véhicules) soulèvent des inquiétudes quant à la viabilité des usines de montage dépendantes des exportations, qui emploient directement des dizaines de milliers de travailleuses et travailleurs, et soutiennent beaucoup de fournisseurs connexes.
Deuxièmement, les perturbations majeures causées par les politiques américaines en matière de véhicules électriques ont modifié la trajectoire des ventes et des programmes de montage des véhicules électriques en Amérique du Nord. Mentionnons, par exemple, les modifications de l’administration Trump apportées à la réglementation sur l’économie de carburant (c’est-à-dire le retrait des pénalités imposées aux constructeurs automobiles qui ne réussissent pas à atteindre les objectifs en matière de consommation de carburant pour l’ensemble du parc automobile), l’arrêt des investissements dans l’infrastructure des véhicules électriques (ces investissements ont par la suite été rétablis), la remise en question du pouvoir des États américains de fixer des exigences relatives aux ventes de véhicules électriques et l’élimination du programme fédéral qui accordait une réduction à l’achat d’un véhicule électrique (un peu comme la décision du Canada de mettre fin, au début de l’année, au programme d’incitatifs pour l’achat de véhicules zéro émission).
Les importations de véhicules chinois, les tarifs douaniers américains et l’évolution de la dynamique du marché des véhicules électriques mettent en évidence la situation désespérée de l’industrie automobile nord-américaine, qui est extrêmement intégrée et qui est un moteur essentiel de création d’emplois et de prospérité économique. En août 2025, environ un tiers des membres d’Unifor employés dans les usines des trois grands constructeurs automobiles américains étaient en mise à pied, et trois usines de montage sont actuellement à l’arrêt.
La surtaxe sur les véhicules électriques chinois est la meilleure garantie du Canada contre les importations déloyales en provenance de Chine, et son retrait aurait un effet immédiat sur la part du marché et les décisions en matière d’achat de véhicules électriques. Pour avoir une idée du danger qui nous guette, il suffit de regarder l'effet du marché de la Chine sur les autres pays constructeurs d’automobiles. Les constructeurs de véhicules chinois ont doublé leur part de marché dans les pays de l’Union européenne (malgré les tarifs antidumping imposés après avoir accordé l’accès à leur marché). L’afflux massif de véhicules chinois bouleverse les industries automobiles du Brésil, de l’Indonésie et d’ailleurs. Au Mexique, les importations de véhicules chinois ont rapidement augmenté et représentent actuellement 20 % du total des ventes de véhicules dans l’ensemble du pays et une part de 70 % du marché mexicain des véhicules électriques.
Le gouvernement du Mexique a récemment décidé d’augmenter à 50 % les tarifs douaniers sur les importations de véhicules chinois, notamment pour mieux limiter les flux d’importation et protéger l’industrie mexicaine. Les États-Unis maintiennent inchangée leur politique douanière sur les véhicules électriques chinois, dont les tarifs douaniers s’élèvent à 127,5 % (tarif de la nation la plus favorisée + article 301 + l’International Emergency Economic Powers Act), et ils sont censés interdire partiellement la technologie chinoise des « voitures connectées » en 2027. Il incombe donc au Canada de maintenir inchangée sa surtaxe sur les véhicules électriques chinois, à tout le moins pour s’aligner sur ses partenaires commerciaux de l’ACEUM et pour éviter que le Canada ne devienne le dépôt nord-américain des importations en provenance de Chine. Tout porte à croire que la lutte contre la pénétration des importations en provenance de Chine, tant pour des raisons économiques que de sécurité nationale, sera au cœur de la révision de l’ACEUM, prévue l’année prochaine, six ans après sa ratification. À l’heure actuelle, le Canada n’a aucun avantage stratégique à suivre une voie différente de celle des États-Unis et du Mexique.
Conclusion et recommandations
Dans un contexte de crise existentielle, le gouvernement fédéral a pris des mesures initiales pour protéger l’industrie automobile canadienne et les emplois des travailleuses et travailleurs de l’automobile. Les améliorations à la sécurité du revenu par le biais de l’assurance-emploi, les investissements promis par le Fonds de réponse stratégique, le renforcement des mesures de soutien aux liquidités et un programme de remise des tarifs douaniers pour tenir les sociétés responsables de leurs engagements en matière d’investissement sont toutes des initiatives importantes qu’Unifor considère favorablement. Le gouvernement a défendu l’industrie nationale contre des forces externes et indépendantes de notre volonté. La suppression de la surtaxe sur les véhicules électriques en provenance de Chine – dans le contexte d’une crise exceptionnelle – n’apporterait aucun avantage, bien au contraire, car elle créerait de nouvelles vulnérabilités pour le secteur, au pire moment possible.
J’exhorte le gouvernement fédéral à maintenir une stratégie industrielle cohérente, axée sur le renforcement de l’autonomie de l’économie canadienne, offrant de nombreux emplois syndiqués de qualité et faisant en sorte que notre avenir carboneutre soit bâti au Canada. J’exhorte également le gouvernement fédéral, dans le cadre de cette révision de la surtaxe, à réfléchir aux recommandations formulées dans le premier mémoire d’Unifor en 2024 – des recommandations visant à concilier une relation commerciale préoccupante avec la Chine, relation qui demeure incompatible avec la position du Canada face aux normes internationales du travail et des droits de la personne.
Recommandations
Maintenir inchangé le décret actuel imposant une surtaxe sur les véhicules électriques importés de Chine pendant 24 mois supplémentaires.
Étendre la surtaxe imposée en vertu de l’article 53 aux composants stratégiques des véhicules électriques et des batteries (25 % au-dessus du tarif de la nation la plus favorisée) qui sont importants pour le Canada, notamment les moteurs électriques et les composants des mécanismes d’entraînement (par exemple : les aimants, les capteurs et les actionneurs), ainsi que les composants clés des cellules de batterie (comme les matériaux actifs de cathode, les anodes, les séparateurs et les électrolytes).
Mettre sur pied un comité de surveillance et d’analyse, composé d’experts de l’industrie, qui aura pour mandat d’évaluer les répercussions découlant de la myriade de mesures prises par le Canada et d’autres pays, sur les flux des échanges commerciaux, les transbordements, les hausses soudaines des importations et les prix du marché des véhicules à énergie nouvelle provenant de la Chine et des constructeurs automobiles chinois.
Exiger que les constructeurs automobiles qui reçoivent un financement public, que ce soit par le biais de programmes spéciaux, d’instruments financiers ou de crédits d’impôt, investissent dans des programmes de véhicules électrifiés, dans des programmes comprenant des variantes électrifiées de moteurs à combustion interne ou dans une structure de programme multi-énergies.
Rétablir le programme Incitatifs pour les véhicules zéro émission (iVZE) et s’engager à prolonger le programme Incitatifs pour l’achat de véhicules zéro émission moyens et lourds (iVZEML), au moins jusqu’au 31 mars 2030 et au 31 mars 2031, respectivement. Augmenter d’un montant supplémentaire de 5 000 $ le remboursement maximal du programme iVZE, à condition que les véhicules achetés soient construits au Canada ou qu’ils répondent aux exigences de contenu nord-américain de l’ACEUM. Exclure des programmes iVZE et iVZEML tous les véhicules assujettis à une surtaxe en vertu de l’article 53 de la Loi sur le tarif des douanes.
Mettre en œuvre des politiques qui favoriseront l’augmentation de la production
nationale de véhicules en tirant parti des achats de véhicules financés par le
gouvernement, notamment en imposant, dans la mesure du possible, des
exigences en matière de contenu local et de montage final aux grands projets
d’acquisition de véhicules pour le parc de véhicules public et les transports en
commun.Émettre une directive à l’intention de l’Agence des services frontaliers du Canada
(ASFC) et du Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada
(EDSC) concernant les preuves requises pour appliquer les interdictions sur les
marchandises produites par du travail forcé, en vertu de la Loi sur le tarif des douanes. Cette directive doit permettre à l’ASFC de confronter les marchandises soupçonnées d’avoir été produites par du travail forcé, de délivrer des ordonnances empêchant la mainlevée de ces marchandises et d’obliger les importateurs et les fournisseurs à prouver qu’ils respectent les lois canadiennes.
Je serais heureuse de discuter plus en détail de chacune de ces recommandations avec vous, si vous le désirez.
Cordialement,
Lana Payne
Présidente nationale d’Unifor