Mémoire d’Unifor dans le cadre des consultations du gouvernement du Canada sur les mesures visant à renforcer l’interdiction d’importer des produits issus du travail forcé au Canada
Direction de la stratégie commerciale et de la sécurité économique
Affaires mondiales Canada
125, promenade Sussex
Ottawa (Ontario) K1A 0G2
Introduction
Unifor se réjouit de l’occasion qui lui est donnée de faire part de son point de vue sur les moyens de renforcer l’interdiction d’importer des produits issus du travail forcé au Canada. Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, représente 320 000 travailleuses et travailleurs à la grandeur du pays.
L’exploitation de la main-d’œuvre dans les chaînes d’approvisionnement mondiales constitue un problème mondial urgent, des dizaines de millions de personnes étant soumises au travail forcé, selon l’Organisation mondiale du Travail.
Malgré l’interdiction stricte d’importer des « biens extraits, fabriqués ou produits, en tout ou en partie, au moyen du travail forcé », conformément au Tarif des douanes, et les récents efforts visant à accroître la transparence des chaînes d’approvisionnement des entreprises et des gouvernements grâce à la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement, le travail forcé demeure répandu dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, y compris dans les industries qui approvisionnent le Canada. La capacité du Canada de resserrer les règles de diligence raisonnable au sein des chaînes d’approvisionnement mondiales et d’appliquer efficacement les lois existantes sur le travail forcé doit être améliorée et élargie.
Renforcer l’interdiction d’importer des produits issus du travail forcé au Canada
Unifor réitère son appel au gouvernement fédéral pour qu’il fournisse de nouveaux outils d’application à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), ainsi que des directives claires, afin d’intercepter à la frontière les importations de biens soupçonnés d’être issus du travail forcé.
Le gouvernement devrait, notamment, émettre des orientations à l’intention des fonctionnaires de l’ASFC et d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) sur les normes en matière de preuve requises pour appliquer l’interdiction d’importer des biens issus du travail forcé au Canada. Ces orientations permettraient à l’ASFC de prendre des mesures décisives face aux biens soupçonnés d’être issus du travail forcé, notamment en émettant des ordonnances de refus de mainlevée. Ces ordonnances permettraient aux fonctionnaires de retenir des biens à la frontière lorsqu’il existe des soupçons raisonnables de travail forcé, transférant ainsi le fardeau de la preuve aux importateurs et aux fournisseurs. Cette inversion du fardeau de la preuve, à laquelle ont recours les États‑Unis, renforcerait considérablement la capacité du Canada de faire respecter son interdiction relative aux biens issus du travail forcé.
Unifor demande au gouvernement fédéral d’accroître les ressources à la disposition des autorités frontalières chargées de l’application de la loi.
L’application de l’interdiction d’importer des biens issus du travail forcé nécessite des ressources adéquates. Le gouvernement fédéral devrait allouer des fonds supplémentaires à l’ASFC et à EDSC afin de leur permettre de mieux outiller les fonctionnaires en leur offrant la formation, les outils et le soutien nécessaires pour mettre en œuvre cette interdiction de manière efficace. Des ressources accrues permettraient à l’ASFC et à EDSC de mieux coordonner leurs actions avec celles de leurs homologues aux États-Unis et au Mexique, en tirant parti de la coopération régionale dans le cadre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), afin d’empêcher l’entrée sur les marchés nord-américains de produits issus du travail forcé.
Unifor soutient l’appel en faveur d’une exigence de traçabilité minimale.
Le gouvernement devrait établir une exigence de « traçabilité minimale » pour les produits susceptibles d’être issus du travail forcé, sur la base des indicateurs de l’Organisation internationale du Travail. Les produits figurant sur une liste accessible au public seraient soumis à des exigences supplémentaires en matière de documentation, et les importateurs seraient ainsi tenus de fournir des renseignements détaillés sur le parcours des produits dans la chaîne d’approvisionnement. Cette politique créerait un mécanisme préventif, permettant au Canada de retracer plus efficacement les biens soupçonnés d’être issus du travail forcé. Elle exprimerait également l’engagement du Canada en faveur de la transparence de ses chaînes d’approvisionnement en incitant les entreprises à adopter des mécanismes de suivi plus stricts. Le Canada devrait coordonner son approche avec le Bureau des affaires internationales du travail des États-Unis et sa liste des biens issus du travail des enfants ou du travail forcé.
Unifor soutient le projet de mise en œuvre d’un modèle de recouvrement des coûts.
Afin de décourager toute transgression, le gouvernement devrait instaurer un modèle de recouvrement des coûts, comme il l’a proposé dans son document d’information, exigeant que les importateurs de biens dont il est déterminé qu’ils sont issus du travail forcé assument les coûts associés à la détention, à la destruction ou à la confiscation des biens. Cette mesure soulagerait le gouvernement d’un fardeau financier indésirable relativement à l’application de cette interdiction, mais inciterait aussi les entreprises à garantir des pratiques éthiques dans leurs chaînes d’approvisionnement afin d’éviter ces coûts.
Dans le cadre du prochain examen (tous les six ans) de l’ACEUM, Unifor encourage une collaboration tripartite accrue avec les États-Unis et le Mexique afin de renforcer l’application de la législation.
Il est essentiel d’accroître la collaboration transfrontalière avec les États-Unis et le Mexique. Le Canada devrait s’efforcer d’établir un mécanisme formel de partage de renseignements et d’actions conjointes d’application de la loi avec ces pays. En mutualisant les renseignements et en harmonisant les pratiques d’application, le Canada peut prévenir plus efficacement les pratiques de transbordement visant à contourner les interdictions relatives au travail forcé, renforçant ainsi les normes régionales en matière de commerce et de droits de la personne.
Considérations particulières : Travail forcé dans l’industrie chinoise de l’aluminium
Le problème généralisé du travail forcé dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang présente des enjeux uniques. Unifor a fait part de ses préoccupations concernant l’infiltration de produits issus du travail forcé dans la chaîne d’approvisionnement de l’industrie automobile dans son mémoire du 1er août 2024, intitulé Pour une industrie automobile canadienne dynamique et durable, au ministère des Finances du Canada. La région autonome ouïghoure du Xinjiang est devenue un acteur important de la production mondiale d’aluminium, un matériau essentiel pour l’industrie automobile dans le monde entier. Des rapports récents indiquent que le travail forcé est intégré dans les chaînes d’approvisionnement de l’aluminium utilisé dans les composants des véhicules. Le gouvernement canadien devrait envisager des mesures spécifiques pour lutter contre les risques de travail forcé associés à la production d’aluminium et à d’autres matériaux et minéraux essentiels provenant de régions à haut risque comme le Xinjiang.
Avantages d’une intervention
Les mesures proposées sont conformes à l’engagement du Canada en faveur des droits internationaux de la personne et enverraient un signal fort aux chaînes d’approvisionnement mondiales quant à la position du Canada à l’égard du travail forcé. En resserrant l’interdiction d’importer des produits issus du travail forcé au Canada, le gouvernement pourrait :
- défendre les normes en matière de droits de la personne en réitérant l’engagement du Canada à prévenir le travail forcé, à protéger les populations vulnérables et à promouvoir des normes de travail équitables à l’échelle mondiale;
- atténuer les risques liés aux chaînes d’approvisionnement en renforçant la diligence raisonnable et la traçabilité dans les chaînes d’approvisionnement, réduisant ainsi les risques opérationnels et d’atteinte à la réputation pour les entreprises canadiennes, une mesure qui suit l’exemple d’autres pays aux vues similaires, comme l’Allemagne, qui ont imposé des règles strictes en matière de diligence raisonnable dans les chaînes d’approvisionnement;
- rehausser l’équité commerciale en établissant des règles équitables pour les travailleuses et travailleurs canadiens, en particulier à la lumière des pratiques d’exploitation en vigueur dans des pays comme la Chine;
- promouvoir la collaboration régionale en tirant parti de partenariats régionaux pour créer un régime d’application plus solide, réduisant ainsi le risque que des produits issus du travail forcé pénètrent les marchés nord-américains.
Conclusion
Le Canada a pris des mesures concrètes, bien que modestes, pour éradiquer le travail forcé de ses chaînes d’approvisionnement. Toutefois, pour réaliser des progrès significatifs, il est essentiel de resserrer les mesures d’application existantes, de fournir des orientations claires aux agences chargées de l’application, d’allouer les ressources nécessaires et d’instaurer des exigences strictes en matière de transparence et de traçabilité. L’inaction n’est pas une option : elle rendrait le Canada complice de la perpétuation du travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. L’engagement du gouvernement à cet égard permettra non seulement de protéger les entreprises et les consommateurs canadiens, mais aussi de positionner le Canada comme un chef de file dans la défense des droits de la personne et du commerce éthique à l’échelle mondiale.