Le bien-fondé d’une loi anti-briseurs de grève au Canada

« Dans la lutte collective pour le partage du produit commun, les travailleurs utilisent le syndicat avec ses deux grandes armes, la grève et le boycottage, tandis que le capital utilise le pouvoir de la fiducie et de l’association, dont les armes sont la liste noire, le lock-out et le briseur de grève. Le briseur de grève est de loin l’arme la plus redoutable des trois. C’est lui qui brise les grèves et cause tous les problèmes. »

Extrait du discours « The Scab » de Jack London

Le briseur de grève est peut-être la figure la plus polarisante dans le monde des relations de travail. Pour les employeurs, il représente un moyen efficace d’exercer une pression économique lorsque les négociations contractuelles avec le syndicat échouent, soit en réduisant l’impact financier d’un lock-out, soit en compromettant l’efficacité d’une grève. Pour les travailleuses et travailleurs syndiqués qui font du piquetage, le briseur de grève représente une rupture de la ligne de force, et une perte de solidarité et de pouvoir collectif. En même temps, le recours aux briseurs de grève détruit complètement l’essence même d’un conflit de travail, c’est-à-dire un retrait de la main-d’œuvre entraînant un coût pour le syndicat et l’employeur.

Que ce soit au niveau provincial ou fédéral, la législation sur les relations de travail au Canada repose sur un ensemble de principes fondamentaux découlant de notre liberté d’association et de l’objectif commun de relations harmonieuses entre employeurs et travailleurs. Le préambule du Code canadien du travail commence ainsi :

Attendu : qu’il est depuis longtemps dans la tradition canadienne que la législation et la

politique du travail soient conçues de façon à favoriser le bien-être de tous par l’encouragement de la pratique des libres négociations collectives et du règlement positif des différends;

Le Code poursuit en indiquant que le Parlement soutient un système dans lequel les employeurs et les travailleurs s’efforcent à << établir de bonnes relations et des méthodes de règlement positif des différends >> et estime que << l’établissement de bonnes relations de travail sert l’intérêt véritable du Canada en assurant à tous une juste part des fruits du progrès >>. Les lois provinciales sur le travail contiennent un libellé similaire. Et pourtant, le recours aux briseurs de grève semble contredire ces énoncés de principe très clairs et fondamentaux. Comme le montre le présent document, le recours aux briseurs de grève pendant les conflits de travail nuit au << bien-être commun >> et diminue la probabilité de << bonnes relations et de méthodes de règlement positif des différends >>.

Dans ce document, nous ferons valoir qu’une législation anti-briseurs de grève forte et équitable – tant au niveau fédéral que provincial – contribuera à réduire la durée des conflits de travail, à rendre les lieux de travail plus sécuritaires et à faire en sorte que les piquets de grève soient moins acrimonieux et moins conflictuels.

Ce document commence par une analyse de l’expérience d’Unifor avec des briseurs de grève pendant les grèves et les lock-out depuis la création du syndicat en 2013. Il est surprenant de constater le manque de données solides au Canada concernant les effets des briseurs de grève sur la fréquence et la durée des conflits de travail. Dans la section intitulée Les briseurs de grève, les grèves et lock-out chez Unifor, nous examinerons notre propre expérience avec les briseurs de grève, chiffres à l’appui, montrant une forte corrélation entre le recours aux briseurs de grève et les longs conflits de travail.

Nous savons également qu’au-delà des chiffres eux-mêmes, il y a de vraies travailleuses et travailleurs sur les piquets de grève, qui prennent d’énormes risques et se battent pour eux-mêmes et leur famille. Dans Voix de la ligne de piquetage, nous allons examiner deux études de cas réels qui documentent les expériences des membres d’Unifor et la façon dont le recours aux briseurs de grève pendant les conflits du travail a sapé la sécurité sur le lieu de travail, augmenté la probabilité de conflit, prolongé les conflits et créé une animosité durable qui déstabilise les relations de travail.

Reconnaissant ces effets négatifs et d’autres encore, les gouvernements ont souvent limité et/ou restreint la capacité des employeurs à recourir à des briseurs de grève lors de conflits du travail. Dans la section intitulée Législation anti-briseurs de grève au Canada, nous examinerons les régimes législatifs pertinents établis par les gouvernements provinciaux et le fédéral de ce pays.. Ensuite, nous examinerons la situation globale de la Législation anti-briseurs de grève ailleurs dans le monde. Nous pensons pouvoir nous appuyer sur l’expérience d’autres juridictions pour guider l’élaboration d’une solution canadienne au problème des briseurs de grève.

Les deux dernières sections de ce document prennent la forme d’une analyse documentaire, offrant un aperçu de certaines des recherches les plus importantes entreprises par des universitaires et des experts en matière de travail sur le sujet. Dans la section intitulée Effets de la législation anti-briseurs de grève sur la fréquence et la durée des conflits de travail, nous partagerons d’autres études qui établissent un lien entre le recours aux briseurs de grève et les conflits de travail plus durables et plus profonds. Dans cette section, nous explorerons également brièvement certains des défis posés par l’évaluation et la comparaison des législations anti-briseurs de grève entre les différentes juridictions.

Pour terminer, dans la section Effets de la législation anti-briseurs de grève sur la santé et la sécurité, nous explorerons certaines des implications les plus graves de la présence – ou de l’absence – d’une législation anti-briseurs de grève efficace et équitable.