Interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement dans les industries sous réglementation fédérale – Document de discussion

Interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement dans les industries sous réglementation fédérale

Nous vous remercions de nous avoir donné l’occasion de vous faire part de nos commentaires sur le document de discussion d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) intitulé Interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement dans les industries sous réglementation fédérale.

Unifor est le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, représentant plus de 315 000 travailleuses et travailleurs dans tous les grands secteurs de l’économie. Le syndicat milite pour tous les travailleurs et travailleuses et leurs droits. Il lutte pour l’égalité et la justice sociale au Canada et à l’étranger, et aspire à provoquer des changements progressistes pour un meilleur avenir. Le travail d’examen et d’amélioration des normes du travail dans le secteur privé sous réglementation fédérale s’inscrit directement dans ce mandat.

Unifor est également le plus grand syndicat au Canada dans le secteur privé sous réglementation fédérale, représentant plus de 66 000 travailleuses et travailleurs dans des industries sous réglementation fédérale comme les transports, les médias, les télécommunications et les services financiers.

En mai 2021, Unifor a publié un document intitulé Le bien-fondé d’une loi anti-briseurs de grève au Canada. Dans ce document, nous avons fait valoir qu’une loi anti‑briseurs de grève rigoureuse et équitable qui interdit le recours aux travailleurs de remplacement pendant les grèves et les lock-out légaux contribuerait à abréger les conflits de travail, à créer des milieux de travail plus sécuritaires et à affaiblir les lignes de piquetage acrimonieuses et conflictuelles.

En juin 2021, nous avons publié un document complémentaire intitulé Il est temps d’imposer une véritable interdiction fédérale sur l’utilisation des briseurs de grève. Dans ce document complémentaire, nous évaluons les dispositions existantes à l’échelle fédérale, qui se trouvent dans la partie I du Code canadien du travail, et cherchons à savoir pourquoi le Code du travail ne prévoit pas de restrictions significatives sur le déploiement de briseurs de grève dans le secteur privé sous réglementation fédérale.

Lorsque nous avons publié Le bien-fondé d’une loi anti-briseurs de grève au Canada en mai 2021, Unifor a également lancé une campagne publique en faveur d’une loi anti‑briseurs de grève rigoureuse et équitable, tant à l’échelle fédérale que provinciale, qui interdit le recours aux travailleurs de remplacement pendant les grèves et les lock‑out légaux. Cette campagne a depuis été soutenue par tous nos conseils régionaux, et une résolution à l’appui de la campagne en faveur d’une loi anti‑briseurs de grève a été adoptée à l’unanimité lors de notre congrès statutaire national en août 2022.

Unifor vous remercie de l’occasion qui lui est donnée de participer au processus de consultation en cours concernant le projet de loi fédéral anti-briseurs de grève, et nous vous offrons respectueusement les commentaires suivants. Comme toujours, nous demeurons à votre disposition pour tout commentaire ou discussion et sommes impatients de continuer de collaborer avec EDSC sur cette question de première importance.

Quelle est la loi actuelle?

  1. « Que pensez-vous de l’interdiction limitée actuelle visant le recours à des travailleurs de remplacement en vertu de la partie I du Code? »

La position d’Unifor sur cette question est exposée en détail dans le document complémentaire intitulé Il est temps d’imposer une véritable interdiction fédérale sur l’utilisation des briseurs de grève. Il convient de se reporter au texte même de l’article du Code canadien du travail en ce qui concerne les travailleurs de remplacement. Le paragraphe 2.1 de l’article 94 de la partie I du Code canadien du travail énonce ce qui suit :

« Il est interdit à tout employeur ou quiconque agit pour son compte d’utiliser, dans le but établi de miner la capacité de représentation d’un syndicat plutôt que pour atteindre des objectifs légitimes de négociation, les services de toute personne qui n’était pas un employé de l’unité de négociation à la date de remise de l’avis de négociation collective et qui a été par la suite engagée ou désignée pour exécuter la totalité ou une partie des tâches d’un employé de l’unité de négociation visée par une grève ou un lock-out. » (C’est nous qui soulignons.)

Comme nous le mentionnons dans notre mémoire de recherche, même une lecture rapide révèle que ce passage du Code du travail n’interdit pas le déploiement de briseurs de grève. En fait, il impose au syndicat la lourde tâche de prouver que l’employeur déploie des briseurs de grève pour miner la capacité de représentation du syndicat. En effet, les employeurs des secteurs sous réglementation fédérale peuvent avoir recours à des travailleurs de remplacement à condition qu’ils prononcent des paroles creuses insinuant qu’ils croient au processus de négociation.

Un problème fondamental se dégage de la partie I du Code du travail concernant le déploiement de briseurs de grève : elle suggère à tort que les briseurs de grève ne posent problème que lorsqu’ils sont utilisés par les employeurs pour miner la capacité de représentation d’un syndicat. Ce raisonnement est absolument faux et fait fi de la principale raison du recours aux briseurs de grève, à savoir une stratégie qui érode la légitimité du processus de négociation lui-même : les briseurs de grève sont déployés pour saper le pouvoir de négociation d’un syndicat.

Autrement dit, la disposition du Code canadien du travail sur les travailleurs de remplacement présente une contradiction centrale. La disposition en cause permet aux employeurs d’avoir recours à des briseurs de grève tant qu’ils poursuivent des objectifs légitimes de négociation, mais leur déploiement même délégitimise le processus de négociation et permet à l’employeur de le contourner entièrement. Nous vous invitons à consulter notre mémoire de recherche, dont le lien figure ci-dessus, pour connaître l’intégralité de notre position sur cette question.

Recours à des travailleurs de remplacement dans l’administration fédérale

  1. « Croyez-vous que le recours à des travailleurs de remplacement pose problème dans les secteurs sous réglementation fédérale? »

Unifor estime que le déploiement de briseurs de grève pendant les grèves et les lock‑out, ainsi que la menace de recours aux travailleurs de remplacement, constitue un grave problème dans tous les secteurs, y compris dans le secteur privé sous réglementation fédérale. Ailleurs dans notre mémoire, nous discutons des conséquences négatives du déploiement de briseurs de grève pendant les grèves et les lock‑out, mais nous profiterons de notre réponse à cette question pour discuter spécifiquement de l’utilisation de la menace de recours à des travailleurs de remplacement par les employeurs du secteur privé sous réglementation fédérale.

L’été dernier, près de 6 000 membres d’Unifor des groupes du personnel de bureau de Bell et d’Aliant de six provinces, soit l’Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador, étaient engagés dans des négociations avec l’entreprise. Le 21 juillet 2022, Reno Vaillancourt, premier vice‑président des relations de travail chez Bell a envoyé un courriel aux membres du personnel de bureau syndiqués de Bell pour leur demander de déclarer leur intention de continuer de travailler ou non pendant une grève potentielle.

Dans une note de rappel à ce sujet, dont l’objet indiquait « Rappel : Choisir de travailler pendant une grève potentielle », M. Vaillancourt mentionne que les personnes qui décident de travailler pendant une grève peuvent le faire exclusivement à domicile et que leur salaire et leurs conditions de travail demeureront les mêmes, à l’exception des cotisations syndicales qui ne seront pas retenues.

Unifor a alors déposé une plainte pour pratique de travail déloyale auprès du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) et prévenu le gouvernement fédéral des tentatives répétées de Bell de nuire au pouvoir de négociation des travailleurs en envoyant des demandes de recours à des briseurs de grève. Dans notre lettre à l’honorable Seamus O’Regan, ministre du Travail, nous mentionnons que « ce courriel [de M. Vaillancourt] est ni plus ni moins qu’une invitation aux travailleuses et travailleurs de bureau de Bell d’agir en tant que briseurs de grève lors d’une grève potentielle. Nous considérons cette invitation comme étant une pratique antisyndicaliste choquante et inacceptable. »

Unifor est d’avis qu’un employeur du secteur privé sous réglementation fédérale qui encourage le recours à des briseurs de grève au sein de sa main-d’œuvre syndiquée, avant même qu’un conflit de travail réel ne soit déclenché, informe par le fait même ses employés de façon préventive que l’entreprise envisage d’utiliser des briseurs de grève pour miner la position du syndicat à la table de négociation. Le courriel et la note du dirigeant de Bell constituent une menace peu subtile, et nous croyons que les actions de Bell démontrent parfaitement le besoin urgent d’adopter une loi anti‑briseurs de grève rigoureuse à l’échelle fédérale.

À ce stade, il convient de noter la préoccupation d’Unifor concernant le terme « utiliser » dans le contexte du recours à des briseurs de grève par les employeurs lors de conflits de travail. Selon l’expérience d’Unifor, le terme « utiliser » est inadéquat aux fins de la nouvelle loi. La Cour suprême fait une interprétation étroite de ce terme exact dans le contexte de la loi anti-briseurs de grève. Si l’employeur ne pose pas un geste concret en ayant recours à des travailleurs de remplacement, la Cour suprême estime qu’il n’enfreint pas la loi anti-briseurs de grève existante[i]. La situation représente une immense faille qui a été exploitée à maintes reprises au Québec afin d’amener des sous-traitants et leurs propres sous-traitants à faire le travail de membres syndiqués.

Il serait préférable d’ajouter une définition plus inclusive dans la nouvelle loi, précisant clairement que l’interdiction couvre « les services des travailleurs de remplacement ou le produit de leur travail ». Consultez la discussion ci-après sur la notion de « travail relevant de travailleurs en grève » qui apportera davantage de nuance sur ce point.

  1. « Quels sont les avantages du recours à des travailleurs de remplacement dans les secteurs sous réglementation fédérale? »

Unifor ne croit pas qu’il y ait des avantages à utiliser des travailleurs de remplacement dans les secteurs sous réglementation fédérale, quoique nous reconnaissions que certains employeurs du secteur privé sous réglementation fédérale puissent ne pas être d’accord avec cette position.

Tel que nous le recommandons dans Le bien-fondé d’une loi anti-briseurs de grève au Canada, Unifor croit qu’une loi anti-briseurs de grève rigoureuse et équitable pour le secteur privé sous réglementation fédérale devrait inclure des exemptions permettant l’utilisation très limitée de travailleurs temporaires, uniquement pour entreprendre des travaux d’entretien essentiels afin de protéger l’intégrité et la sécurité du milieu de travail, et non pas pour contribuer au fonctionnement continu et normal du milieu de travail. Il existe déjà des dispositions sur les services essentiels dans le Code du travail, lesquelles abordent déjà la prévention de risques graves pour la sécurité ou la santé du public.

  1. « Quels sont les inconvénients du recours à des travailleurs de remplacement dans les secteurs sous réglementation fédérale? »  

Selon notre expérience, et sur la base des recherches réalisées dans le cadre de la rédaction de notre document de discussion Le bien-fondé d’une loi anti-briseurs de grève au Canada, le recours à des briseurs de grève pendant les grèves et les lock-out :

  • nuit au pouvoir collectif des travailleurs;
  • prolonge inutilement les conflits de travail;
  • élimine le levier essentiel que le repli de la main-d’œuvre devrait conférer aux travailleurs pour mettre fin à un conflit, c’est-à-dire la capacité d’exercer une pression économique;
  • contribue à accroître les conflits sur les lignes de piquetage;
  • compromet la sécurité du milieu de travail;
  • déstabilise les relations de travail normalisées entre les travailleurs et leurs employeurs;
  • élimine les mesures incitatives pour l’employeur de négocier et de conclure des ententes équitables.

Le manque de données exhaustives sur le sujet représente un problème dans l’élaboration d’une loi et d’une politique rigoureuses concernant les travailleurs de remplacement. Dans le document Le bien-fondé d’une loi anti-briseurs de grève au Canada, nous avons analysé nos propres données internes portant sur les conflits de travail d’Unifor entre 2013 et 2020 et avons constaté ce qui suit :

  • des conflits de travail ont eu lieu dans environ 2,1 % des négociations contractuelles d’Unifor, un taux qui correspond à d’autres études sur le sujet;
  • le nombre de conflits où des briseurs de grève sont déployés est relativement faible (moins de 10 % des conflits du travail), mais l’impact de leur déploiement est important (du point de vue des répercussions négatives énoncées précédemment);
  • les trois plus longs conflits de travail de l’histoire d’Unifor impliquaient le déploiement de briseurs de grève;
  • les conflits étaient en moyenne six fois plus longs lorsque l’employeur avait recours à des briseurs de grève que lorsqu’il n’y avait pas de briseurs de grève.
  1. « Comment une interdiction du recours à des travailleurs de remplacement affecterait-elle votre secteur? »

Unifor représente des travailleurs dans plus de 20 secteurs de l’économie canadienne, dont au moins une demi-douzaine dans le secteur privé sous réglementation fédérale. Unifor est convaincu qu’une loi anti-briseurs de grève rigoureuse et équitable permettrait d’abréger les conflits de travail, de réduire les conflits sur les lignes de piquetage et de rendre les milieux de travail plus sécuritaires. Mais surtout, nous estimons que l’interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement inciterait les employeurs et les syndicats à régler les conflits de travail à la table de négociation.

Travailleurs de remplacement dans d’autres

  1. « Les gens devraient-ils avoir le droit de refuser de faire le travail d’employés en grève ou en lock-out, même si l’interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement ne s’applique pas à eux? »

Oui, les travailleurs de remplacement, dont les gestionnaires, les superviseurs, les employés exclus, les employés d’autres installations et les entrepreneurs, devraient avoir le droit de refuser de faire le travail d’employés qui sont en grève ou en lock-out, même si l’interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement ne s’applique pas à eux. Cela dit, nous reconnaissons que les travailleurs couverts par une convention collective en vigueur sont généralement liés par une disposition interdisant le recours à la grève, et respectons cette réalité.

Donner aux gestionnaires, aux superviseurs et aux autres personnes exclues le droit de refuser de faire le travail d’employés en grève ou en lock-out contribuerait à améliorer le climat de travail advenant un retour au travail puisque le fossé entre les gestionnaires et les employés serait beaucoup moins grand si les gestionnaires ne faisaient pas le travail des employés. Si l’un des objectifs de l’élaboration d’une loi anti-briseurs de grève dans le secteur privé sous réglementation fédérale est de promouvoir des relations de travail normalisées, le fait d’accorder aux gestionnaires, aux superviseurs et aux autres personnes exclues le droit de refuser de faire le travail des employés en grève ou en lock‑out contribuerait à désamorcer la tension une fois le conflit résolu.

Toutefois, nous tenons à souligner qu’une loi anti-briseurs de grève rigoureuse et équitable rendrait caduque cette question puisqu’un employeur du secteur privé sous réglementation fédérale ne pourrait pas, si une telle loi était en place, avoir recours à des briseurs de grève pour faire le travail d’employés en grève ou en lock-out.

  1. « Les employés syndiqués devraient-ils se voir interdire le droit de travailler pour l’employeur si leur unité de négociation est en grève ou en lock-out? »  

Oui. Les membres de l’unité de négociation ne devraient pas pouvoir travailler pour l’employeur si leur unité de négociation est en grève ou en lock-out, une approche qui éliminerait toute possibilité de franchir les lignes de piquetage ainsi que l’antagonisme connexe et la violence potentielle qui en découle. Comme nous l’expliquons dans le document Le bien-fondé d’une loi anti-briseurs de grève au Canada, outre notre propre expérience anecdotique, au moins une étude a démontré que le recours aux briseurs de grève est associé à une incidence plus élevée de violence sur la ligne de piquetage.

Néanmoins, comme pour la question 6 ci-dessus, cette question serait sans objet si une loi anti-briseurs de grève rigoureuse et équitable était en place. Il ne serait pas nécessaire d’interdire aux employés syndiqués de travailler pour l’employeur advenant une grève ou un lock-out de leur unité de négociation si les employeurs n’étaient pas autorisés à avoir recours à des briseurs de grève en premier lieu.

La formulation de la question laisse entendre que la responsabilité du recours à des briseurs de grève incombe aux employés eux-mêmes, alors qu’en réalité, ce sont les employeurs qui recherchent, encouragent, invitent, embauchent et emploient des travailleurs de remplacement (voir le cas de Bell ci-dessus à titre d’exemple).

  1. « Il n’existe pas de définition universelle d’un travailleur de remplacement. À quelles catégories de travailleurs pensez-vous que l’interdiction du recours à des travailleurs de remplacement devrait s’appliquer? »  

Selon Unifor, la loi révisée devrait, en principe, être axée sur le travail lui-même et non sur la personne ou l’entité qui le fait. Cet objectif représente un changement dans l’approche philosophique de la question de la définition d’un travailleur de remplacement, qui met surtout l’accent sur la notion de « travail relevant de travailleurs en grève ». Si la loi cible la personne qui effectue le travail plutôt que le travail lui‑même, elle créera des failles notamment pour les entrepreneurs, les sous-traitants et les bénévoles que les employeurs pourraient exploiter à leur avantage.

Cela dit, le document Le bien-fondé d’une loi anti-briseurs de grève au Canada précise que certaines études internationales sur les briseurs de grève « font une distinction entre les briseurs de grève dits "internes" – c’est-à-dire ceux qui sont déjà employés par l’employeur au moment où les négociations commencent – et les briseurs de grève "externes" – ceux qui sont embauchés spécifiquement pour remplacer les membres de l’unité de négociation en grève ou en lock-out[ii] ».

En tenant compte de la mise en garde énoncée précédemment, c’est-à-dire que la loi devrait cibler le travail qui ne devrait pas pouvoir être effectué plutôt que les personnes qui ne devraient pas être autorisées à le faire, Unifor estime que l’interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement devrait s’appliquer à la fois aux briseurs de grève externes (ceux qui sont embauchés spécifiquement pour remplacer les membres de l’unité de négociation en grève ou en lock-out) et aux briseurs de grève internes (ceux qui sont embauchés après la remise de l’avis de grève, les membres de l’unité de négociation qui pourraient autrement franchir la ligne de piquetage, ou tout autre employé de l’un des établissements de l’employeur, y compris les superviseurs et les gestionnaires). L’inclusion des superviseurs et des gestionnaires dans cette liste de travailleurs de remplacement interdits est essentielle : cette faille s’est avérée sérieusement problématique dans les deux provinces dotées de lois anti-briseurs de grève, soit le Québec et la Colombie-Britannique.

  1. « Quels types de travailleurs devraient être autorisés à accomplir le travail d’employés en grève ou en lock-out, le cas échéant? »
  2.  « Croyez-vous que l’interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement devrait être assortie de certaines exceptions? »

Ces deux questions portent sur les mêmes préoccupations. Nous allons donc y répondre en même temps. Unifor estime qu’une loi anti-briseurs de grève rigoureuse et équitable pour le secteur privé sous réglementation fédérale devrait inclure des exemptions permettant l’utilisation très limitée de travailleurs temporaires, uniquement pour entreprendre des travaux d’entretien essentiels afin de protéger l’intégrité et la sécurité du milieu de travail ou de prévenir les préjudices environnementaux graves, et non pas pour contribuer au fonctionnement continu et normal du milieu de travail.

Nous sommes conscients que l’exemption telle qu’elle est proposée comporte une faille que les employeurs pourraient exploiter et qu’il sera nécessaire de définir et de réglementer étroitement ce qui constitue un « entretien essentiel » ainsi que les conditions et les notions connexes.

  1. « Selon vous, quelle est la façon la plus efficace de s’assurer que les employeurs respectent l’interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement? Comment cette interdiction devrait-elle être appliquée? »  

Selon Unifor, pour s’assurer que les employeurs respectent l’interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement, il serait nécessaire d’imposer des sanctions pécuniaires aux employeurs qui ne respectent pas la loi anti-briseurs de grève. Le CCRI devrait être habilité à imposer des sanctions pécuniaires substantielles lorsqu’il est établi que les employeurs ont contrevenu aux dispositions anti-briseurs de grève du Code du travail.

De plus, la loi révisée devrait établir un rôle d’enquêteur dont les pouvoirs correspondent à ceux du chef énoncés dans les dispositions du Code du travail en matière de santé et de sécurité (articles 140 à 145). Dans l’état actuel des choses, le processus qui consiste à recourir au CCRI pour obtenir une décision sur une contravention prend beaucoup trop de temps pour être efficace. En fait, des décisions sont souvent rendues après la fin d’un conflit. Le rapport de l’enquêteur devrait être considéré comme une preuve prima facie devant le CCRI et être admissible comme preuve, et l’enquêteur doit avoir les pouvoirs du chef énoncés à l’article 145 et, plus précisément, le pouvoir de mettre immédiatement fin à toute contravention.

Débat

  1. « Quel serait, selon vous, l’impact d’une interdiction du recours à des travailleurs de remplacement sur :
  • les arrêts de travail ?
  • les relations de travail ?
  • l’économie? »

Le document Le bien-fondé d’une loi anti-briseurs de grève au Canada précise ce qui suit :

« Dans le domaine des études sur le travail, peu d’études examinent l’impact des travailleuses et travailleurs de remplacement – ou de la législation anti-briseurs de grève – sur la fréquence et la durée des grèves et des lock-out, la plupart des exemples étant tirés des expériences aux États-Unis et au Canada. »

Une étude réalisée en 2009 par Duffy et Johnson a révélé que la fréquence des arrêts de travail a augmenté au cours des deux premières années suivant l’adoption de la loi anti-briseurs de grève, mais contrairement aux études antérieures, il y a eu une réduction importante et substantielle de la durée des arrêts de travail[iii]. Comme nous le faisons remarquer dans notre document de discussion :

« C’est une conclusion fondamentale. Elle suggère qu’une fois que le pouvoir de négociation des travailleuses et travailleurs est rétabli par une législation anti-briseurs de grève, il peut y avoir une légère augmentation de l’incidence des arrêts de travail (en particulier au cours des deux premières années suivant l’introduction de la législation), mais la durée du conflit de travail moyen diminue considérablement, de sorte qu’il n’y a pas d’augmentation globale du nombre de jours perdus. »

En ce qui concerne les répercussions sur les relations de travail, Unifor croit qu’une interdiction totale du recours aux briseurs de grève à l’échelle fédérale entraînera une amélioration des relations de travail dans le secteur privé sous réglementation fédérale. Le syndicat estime que les conflits de travail doivent être résolus à la table de négociation, et il est toujours préférable de parvenir à une entente équitable pendant les négociations. En faisant appel à des travailleurs de remplacement, les employeurs ne sont pas motivés à conclure une entente à la table des négociations, ce qui prolonge la durée des conflits.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, les trois plus longs conflits de l’histoire d’Unifor impliquaient le déploiement de briseurs de grève, un fait qui parle de lui-même lorsque nous tenons compte de l’impact que peuvent avoir les briseurs de grève sur la durée des conflits de travail et l’état général des relations de travail entre les travailleurs et leurs employeurs.

Unifor aimerait réitérer qu’environ 2 % des négociations contractuelles du syndicat pour tous les secteurs entre 2013 et 2020 se sont soldées par un conflit de travail, un taux qui correspond à d’autres études sur le sujet. De plus, de toutes les négociations qui ont mené à des conflits de travail, les employeurs employant des membres d’Unifor ont fait appel à des briseurs de grève dans 9,2 % des cas. Or, ce taux d’incidence ne dit pas tout : si le taux d’incidence est faible, l’impact est grand au chapitre de la durée des conflits et des répercussions globales sur les relations de travail..

  1.  « Y a-t-il d’autres répercussions qui ne sont pas abordées dans le présent document et qui devraient être envisagées? »

Le document de discussion d’EDSC ne fait pas mention de la question de la santé et de la sécurité pendant les conflits de travail, une préoccupation majeure pour Unifor et d’autres syndicats au Canada. Unifor estime que le déploiement de briseurs de grève pendant les grèves et les lock-out met en péril la sécurité dans le milieu de travail, ainsi que la sécurité du grand public, et contribue aux conflits relatifs aux lignes de piquetage.

Le document Le bien-fondé d’une loi anti-briseurs de grève au Canada révèle des effets physiques et mentaux à long terme du recours aux briseurs de grève sur les travailleurs, des impacts qui peuvent inclure « une baisse du moral, la rupture des relations sur le lieu de travail, l’épuisement et l’effondrement mental et physique (en particulier lorsque les briseurs de grève entraînent une prolongation des lock-out ou des grèves), ou la violence pure et simple qui blesse et même tue des travailleuses et travailleurs ».

En ce qui concerne les risques potentiels pour la santé et la sécurité du grand public, un exemple peut être cité : aux États-Unis, au milieu des années 1990, la production de pneus Bridgestone/Firestone défectueux a coïncidé avec un conflit de travail impliquant des travailleurs du Syndicat des Métallos dans une usine de Decatur, en Illinois, au cours duquel un grand nombre de briseurs de grève ont été déployés par l’employeur[iv]. Comme le révèle une étude réalisée en 2002, « plus d’un pneu sur 2 000 produit dans l’usine de Decatur, en Illinois, en 1994, présentait un décollement de la bande de roulement en 2000. Les pneus Firestone ont été liés à 271 décès et à plus de 800 blessures selon les données de la NHTSA. »

Sur la base des recherches internes d’Unifor et de longs entretiens avec des membres du syndicat, Unifor est convaincu que la présence de briseurs de grève augmente considérablement le niveau de conflit sur les lignes de piquetage, et nous aimerions qu’EDSC et d’autres parties prenantes s’expriment sur ce sujet.

Parallèlement, le déploiement de briseurs de grève dans nos milieux de travail pendant les conflits de travail est une source de grande inquiétude pour Unifor. Les membres d’Unifor travaillent dans des installations où les risques sont élevés pour la santé et la sécurité, notamment les mines, les aéroports, les raffineries de pétrole et les entreprises de fabrication. Ils utilisent des machines et des équipements, et manipulent et produisent des produits chimiques et d’autres substances dangereuses. Il nous est impossible de vérifier les compétences, la formation, l’expérience et les qualifications que les travailleurs de remplacement pourraient posséder (ou pas), et le processus de retour au travail à la suite de la résolution d’un conflit de travail peut souvent révéler de graves problèmes de santé et de sécurité au travail.

Aussi, au-delà de la dynamique fragmentée du milieu de travail mentionnée précédemment, le déploiement de briseurs de grève a parfois des conséquences sur la communauté. Dans les petites communautés, de longs conflits de travail impliquant des briseurs de grève ont entraîné des relations acrimonieuses et de l’instabilité persistantes. En 1949, 5 000 mineurs d’Asbestos et de Thetford, au Québec, ont entamé une grève sauvage défavorable à leur employeur américain dans le but d’obtenir de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail. Selon la rumeur, des générations après le conflit, certaines familles de grévistes et de briseurs de grève ne se parlent toujours pas.

 

[i] A.I.E.S.T., local de scène no 56 c. Société de la Place des Arts de Montréal, 2004 CSC 2 (CanLII), [2004] 1 RCS 43.

[ii] Voir par exemple López, S.L. (2015). La Problemática de la Sustitución de Trabajadores Huelguistas. Consulté à l’adresse : https://ddd.uab.cat/pub/tfg/2015/133241/TFG_sleallopez.pdf. [traduction]

[iii] Duffy, P., et Johnson, S. (2009). « The Impact of Anti-Temporary Replacement Legislation on Work Stoppages: Empirical Evidence from Canada ». Canadian Public Policy, 35(1) : 99-120.

[iv] Krueger, A.B., et Mas, A. (2004). « Strikes, Scabs, and Tread Separations: Labor Strife and the Production of Defective Bridgestone/Firestone Tires », Journal of Political Economy, University of Chicago Press, volume 112(2), p. 253-289, avril.