Commentaires d'Unifor concernant les demandes 2023-0379-1 et 2023-0380-9 de Bell Media visant la modification de certaines conditions de licence

M. claude Doucet Secrétaire général
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes
Ottawa (Ontario) CANADA
K1A 0N2

Monsieur Doucet,

  1. Je vous remercie de me donner l'occasion de répondre aux demandes présentées le 14 juin 2023 par Bell Media inc. visant à faire modifier certaines conditions de licence et à obtenir un allègement réglementaire (2023-0379-1 et 2023-0380-9). Unifor s'oppose aux demandes de Bell Media parce que – avant toute chose – elles compromettent les fondements mêmes de la politique canadienne des médias, et parce que ces demandes sont prématurées étant donné la législation et la réglementation qui sont sur le point d'être mises en œuvre.
  2. La protection et la promotion de la culture canadienne sont des objectifs fondamentaux depuis les débuts de la législation sur la radiodiffusion dans ce pays, et la création de programmes pertinents au niveau local, y compris les nouvelles locales, a toujours constitué une composante essentielle de cet objectif politique global.
  3. En tant que diffuseur, Bell Media a le privilège de distribuer du contenu aux téléspectatrices et aux téléspectateurs canadiens, mais la société doit également respecter les obligations fondamentales qui sous-tendent la politique canadienne de radiodiffusion depuis sa création. En toute déférence, le Conseil ne peut tout simplement pas, à ce stade-ci, permettre à Bell Media de modifier certaines conditions de licence et de bénéficier d'un allègement réglementaire qui se traduirait par une réduction des dépenses et des obligations de financement.
  4. En outre, les demandes de Bell Media sont actuellement inutiles, étant donné que le CRTC et le gouvernement fédéral sont en train de finaliser deux textes de loi et de réglementation qui modifieront considérablement le cadre financier des diffuseurs canadiens. Unifor estime que Bell Media devrait attendre que la Loi sur la diffusion continue en ligne et la Loi sur les nouvelles en ligne et les règlements qui s’y rattachent soient entrés en vigueur avant de prendre toute décision importante concernant ses activités.
  1. Dans sa demande, Bell Media affirme qu'il faut de toute urgence accorder l'allégement réglementaire demandé pour le bien de l'industrie de la radiodiffusion traditionnelle. (Paragraphe 7) Or, Unifor rappellerait respectueusement au Conseil que la Loi sur la diffusion continue en ligne comprend des dispositions qui permettront aux radiodiffuseurs privés d’être exemptés des redevances prévues dans la oartie II de la Loi sur la radiodiffusion. Ces sommes – qui s’élèvent à environ 120 millions de dollars par an, dont 20 millions qui iront à Bell, selon nos calculs –, pourront être utilisées par ces radiodiffuseurs privés pour compenser les pertes liées à leurs bulletins de nouvelles. Dans le cas de BCE, même si elle a été exonérée des redevances prévues par la Partie II, la société a tout de même procédé au licenciement de 1 300 employées et employés.
  2. Notre syndicat est bien placé pour savoir ce qui se passe dans les secteurs en pleine transformation. Unifor est le plus grand syndicat du secteur privé au Canada regroupant 315 000 membres partout au pays et présents dans 20 secteurs de l’économie canadienne. Unifor est l’un des plus grands syndicats du secteur des médias au Canada, représentant plus de 10 000 professionnels des médias, dont 5 000 membres dans les secteurs de la radiodiffusion et du cinéma.
  3. Unifor est conscient du fait que les médias de la presse écrite n'arrivent plus à s'autofinancer depuis des dizaines d'années et que le modèle de soutien croisé qui finançait la création de nouvelles s'est effondré lorsque les annonceurs ont commencé à investir dans la publicité en ligne. Les entreprises médiatiques au Canada – y compris les grands conglomérats verticalement intégrés comme Bell – font face à de graves problèmes de revenus lorsqu'il s'agit de financer leurs activités d'information.
  4. Malheureusement, BCE et Bell Media se servent de la lenteur du processus législatif comme prétexte pour imposer des changements structurels majeurs et destructeurs dans leurs activités, et les journalistes ainsi que les travailleuses et les travailleurs des médias de Bell Media touchés par ces changements ne sont que les dommages collatéraux de cette stratégie corporative. Non seulement ces travailleuses et travailleurs du secteur des médias subiront des préjudices, mais le public canadien en subira également les conséquences néfastes.
  5. Dans sa demande, Bell Media cherche spécifiquement à obtenir ce qui suit :
    • une réduction des dépenses en émissions canadiennes (DÉC) de 30 % à 20 %;
    • une réduction des émissions d’intérêt national (ÉIN) de 7,5 % à 5 %;
    • un élargissement des catégories actuelles d'ÉIN pour inclure les catégories d'émissions 2a) Analyse et interprétation, 8a) Émissions de musique et de danse autres que les émissions de musique vidéo et les vidéoclips, 9 Variétés, 10 Jeux-questionnaires, 11a) Émissions de divertissement général et d’intérêt général, et 11b) Émissions de téléréalité;
    • en contrepartie de l'allègement demandé ci-dessus, Bell propose d'augmenter de 75 % à 100 % son obligation de faire bénéficier une société de production indépendante de ses dépenses en matière d'ÉIN.
  1. La demande de Bell Media d'élargir les catégories actuelles d'ÉIN pour inclure les émissions d’analyse et d’interprétation, les émissions de musique et de danse autres que les émissions de musique vidéo et les vidéoclips, les émissions de variétés, les jeux-questionnaires, les émissions de divertissement général et d’intérêt général et les émissions de téléréalité, est exagérément vaste et porterait gravement atteinte à l'objectif de l'exigence en matière de dépenses d'ÉIN.
  2. En particulier, Unifor craint que le fait de modifier la catégorie d'ÉIN Analyse et l'interprétation entraîne une forme d'infodivertissement, ce qui risquerait de porter atteinte au journalisme à un moment où les Canadiennes et les Canadiens ont désespérément besoin de nouvelles locales professionnelles et de grande qualité.
  3. Même si Bell Media présente la demande d'élimination de 25 % des dépenses de production des ÉIN à l'interne comme un élément positif, cette mesure entraînerait des pertes d'emplois au sein du plus grand radiodiffuseur du Canada et, si elle devenait un précédent, au sein de tous les radiodiffuseurs canadiens. Unifor ne soutient aucune modification aux conditions de licence qui risquerait d’éliminer autant de bons emplois dans le secteur de la radiodiffusion au Canada.
  4. Dans ses demandes, Bell Media fait valoir que sa proposition de réduire les obligations de dépenses pour les radiodiffuseurs nationaux tout en augmentant l'obligation de dépenses des diffuseurs étrangers engendrerait encore une augmentation nette du financement du système canadien. Unifor soutient depuis toujours que l'uniformité des conditions devrait être la priorité du nouveau cadre de financement établi par la Loi sur la diffusion continue en ligne. Le Conseil doit veiller à ce que les obligations en matière de financement et de dépenses dans le domaine de la radiodiffusion soient cohérentes et rigoureuses, plutôt que de les édulcorer au profit des résultats financiers des entreprises et du rendement des actionnaires.
  5. Unifor recommande avec respect au Conseil d'attendre la mise en œuvre de la Loi sur la diffusion continue en ligne et de la Loi sur les nouvelles en ligne et de leurs règlements d’application avant de considérer toute demande de dérogation à la réglementation. Il serait prématuré de prendre des décisions à long terme quant au financement et aux dépenses avant même que les nouveaux moyens de financement ne soient mis en place. Même le modèle de financement proposé par Bell Media souligne qu'il n'existe pas de données permettant de calculer la contribution éventuelle des entreprises de radiodiffusion de médias numériques (ERMN) dans le cadre du nouveau modèle.i
  6. Cela fait des années qu’Unifor plaide en faveur d’un cadre législatif et réglementaire actualisé pour le secteur des médias au Canada. Concrètement, nous avons demandé un nouveau modèle financier qui obligerait les géants du numérique comme Facebook et Google à payer leur juste part et à soutenir la création de contenu culturel canadien, y compris les programmes locaux et les nouvelles locales. Nous avons participé activement à l'élaboration de la Loi sur la diffusion continue en ligne et de la Loi sur les nouvelles en ligne, et nous sommes convaincus que ces textes législatifs fourniront de nouvelles sources de financement importantes pour les entreprises de presse canadiennes. En tout respect, le Conseil doit maintenant empêcher les radiodiffuseurs comme Bell Media de compromettre ces nouvelles politiques avant même qu'elles n'entrent en vigueur.
  1. Unifor demeure disponible si le Conseil a d'autres questions ou souhaite recevoir des commentaires supplémentaires.

Je vous remercie à nouveau de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer sur cet important sujet. Je vous prie d’agréer, Monsieur Doucet, l’expression de mes plus sincères salutations,

Randy Kitt
Directeur du secteur des médias, Unifor

i « The Canadian Programming Expenditure and Contribution Model » (Les dépenses en émissions canadiennes et le modèle de contribution). Bell Media. (12 juin 2023).