Amy Awad
Directrice principale, direction générale des marchés numériques et créatifs du Patrimoine canadien
Bonjour Madame Awad,
Je vous remercie de me donner la possibilité de commenter le projet d’orientations politiques, la Gazette du Canada, Partie I, volume 157, numéro 23 : Décret donnant des instructions au CRTC (cadre réglementaire durable et équitable pour la radiodiffusion).
Résumé
Unifor est le plus grand syndicat du secteur privé au Canada regroupant 315 000 membres partout au pays et présents dans 20 secteurs de l’économie canadienne. Unifor est l’un des plus grands syndicats du secteur des médias au Canada, représentant plus de 10 000 professionnels des médias, dont 5 000 membres dans les secteurs de la radiodiffusion et du cinéma.
Nos membres sont actifs dans des stations de radio et des chaînes de télévision locales, dans des services à rémunération discrétionnaire et spécialisés à l’échelle nationale, ainsi que dans des services de distribution tels que le câble, le satellite et la téléphonie sans fil.
Les membres d’Unifor sont employés par de grands radiodiffuseurs et distributeurs privés canadiens, y compris les plus grandes sociétés à intégration verticale du Canada : Bell Media (par exemple CTV), Shaw (par exemple Global) et Rogers (par exemple les stations City et OMNI). Les membres d’Unifor travaillent également pour des chaînes de télévision indépendantes et locales (telles que CHCH TV à Hamilton, en Ontario, et CHEK à Victoria, en Colombie-Britannique), ainsi que pour des chaînes de télévision publiques (par ex.TV Ontario). Les membres d’Unifor sont très impatients de connaître les résultats de cette audience, tout comme de nombreux travailleurs et travailleuses dont les moyens de subsistance dépendent de l’industrie télévisuelle locale. Les informations locales obligent les autorités à rendre des comptes, renforcent la démocratie et consolident les communautés, et elles n’ont jamais été aussi importantes. Néanmoins, nous sommes aujourd’hui à une croisée des chemins. Les radiodiffuseurs canadiens traditionnels, ceux qui diffusent nos informations télévisées locales, ont de plus en plus de mal à s’imposer, tandis que les diffuseurs étrangers semblent dominer le marché. Ce phénomène n’est pas simplement dû à un changement dans les habitudes des téléspectateurs, mais plutôt au fait que le mode de distribution de la télévision a évolué et qu’il est devenu difficile pour les régulateurs de préserver le système canadien.
La création de programmes pertinents au niveau local, dont les nouvelles, est depuis toujours un pilier de la politique canadienne en matière de radiodiffusion. Les recettes générées par la redistribution de contenus étrangers (principalement américains) ont été utilisées par les radiodiffuseurs canadiens pour financer la programmation et les nouvelles locales. Ce modèle de soutien croisé a été le principal vecteur de financement de l’information locale pendant des décennies.
Cependant, le fait d’autoriser les services de diffusion numérique étrangers à vendre des programmes directement aux Canadiens a bouleversé le modèle de financement traditionnel qui soutenait la télédiffusion depuis des décennies, de sorte que la politique canadienne en matière de radiodiffusion doit manifestement être mise à jour pour refléter le nouveau paysage médiatique.
La perte de publicité exerce également une pression sur l’information locale, bien que cette question soit distincte de celle de la réglementation de la télévision. Cela fait des années qu’Unifor plaide en faveur d’un cadre législatif et réglementaire actualisé pour le secteur des médias au Canada. Concrètement, nous avons demandé un nouveau modèle financier qui obligerait les géants du numérique comme Facebook et Google à payer leur juste part et à soutenir la création de contenu culturel canadien, y compris les programmes locaux et les nouvelles locales. Nous nous sommes activement impliqués dans l’élaboration de la Loi sur la diffusion continue en ligne et de la Loi sur les nouvelles en ligne, et nous pensons que ces textes législatifs fourniront de nouvelles et importantes sources de financement pour les médias canadiens.
Unifor a toujours soutenu que l’uniformisation des règles de concurrence devait être la priorité du nouveau cadre de financement découlant de la Loi sur la diffusion continue en ligne et de la Loi sur les nouvelles en ligne, ainsi que des réglementations connexes. Les législateurs et les régulateurs devraient appliquer des normes cohérentes et élevées en matière de politique de radiodiffusion, notamment en ce qui concerne les obligations de financement et de dépenses, plutôt que de les édulcorer pour améliorer les résultats des sociétés et les profits des actionnaires.
Unifor est préoccupé par un des principaux éléments des orientations proposées, à savoir l’orientation concernant « [C]réer un cadre réglementaire équitable, flexible et adaptable. » Le syndicat prône la prudence quant aux notions de « flexibilité et d’adaptabilité », car elles peuvent parfois créer des failles qui permettent aux régulateurs d’abaisser les normes et de délaisser les meilleures pratiques. Tant les radiodiffuseurs traditionnels que les sociétés numériques - y compris les géants étrangers - mettront sans aucun doute l’accent sur la nécessité de la flexibilité et de l’adaptabilité.
Toutefois, dans notre quête de souplesse et d’adaptabilité, nous ne devons pas déroger aux objectifs et aux principes fondamentaux de la politique canadienne de radiodiffusion : le développement et la distribution à grande échelle du contenu culturel canadien, ainsi que la promotion de l’expression canadienne par le biais d’un large éventail de programmes offerts et accessibles qui reflètent la diversité linguistique, régionale et culturelle.
Enjeux
Dans la section « enjeux », Unifor recommande respectueusement que les « nouvelles locales » soient nommées spécifiquement dans la dernière phrase, de manière à ce qu’elle se lise comme suit :
La Loi sur la diffusion continue en ligne et les instructions proposées qui en découlent sont nécessaires pour veiller à ce que tous ceux qui bénéficient du marché canadien soient également tenus de contribuer proportionnellement à la production culturelle locale, soutenant ainsi un large éventail de musique, de nouvelles locales, d’histoires et de créateurs canadiens.
La protection et la promotion de la culture canadienne sont des objectifs fondamentaux depuis les débuts de la législation sur la radiodiffusion dans ce pays, et la création de programmes pertinents au niveau local, y compris les nouvelles locales, a toujours constitué une composante essentielle de cet objectif politique global. La nécessité d’une information locale professionnelle de qualité, diffusée en première heure, n’a jamais été aussi évidente, et Unifor estime que la politique de radiodiffusion actualisée devrait faire spécifiquement référence au besoin de soutenir et de promouvoir les nouvelles locales en tant qu’objectif principal.
Contexte
Le rapport du Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications explique également les causes de la crise du financement de l’information au Canada, et plus particulièrement de l’information télévisée locale, et formule les recommandations suivantes :
Recommandation 71 : Nous recommandons que le CRTC envisage que la totalité ou une partie des redevances acquittées par les entreprises d’agrégation et de partage de média contribuent à la production de contenu de nouvelles. Ces contributions seraient versées à un fonds indépendant approuvé par le CRTC pour la production de nouvelles, y compris de nouvelles locales, sur toutes les plateformes. Nous recommandons également au CRTC d’envisager de réorienter une plus grande partie des redevances actuellement payées par les sociétés de distribution de radiodiffusion vers ce même fonds pour la production de nouvelles.
Unifor souhaite rappeler respectueusement au gouvernement fédéral que le rapport du Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications a reconnu la nécessité d’un nouveau modèle de financement spécifiquement pour la production de contenu d’information.
Décret donnant des instructions au CRTC (cadre réglementaire durable et équitable pour la radiodiffusion)
Généralités
Conformément aux commentaires d’Unifor susmentionnés, nous sommes d’avis que toute politique de radiodiffusion actualisée devrait mentionner spécifiquement et donner la priorité à la nécessité de soutenir et de promouvoir la production de programmes pertinents à l’échelon local, et plus particulièrement les nouvelles locales. Compte tenu de cet objectif, Unifor demande respectueusement que les orientations politiques incluent la production de nouvelles locales comme un aspect fondamental lorsqu’il s’agit de déterminer si les activités de radiodiffusion sont d’une importance exceptionnelle.
Réglementation
En ce qui concerne l’article 6 : « Découvrabilité et mise en valeur, » selon l’expérience d’Unifor, les politiques et les réglementations fondées sur les résultats sont utiles, mais elles doivent être rattachées à la collecte et à la mise à disposition du public de données, y compris d’informations sur les performances financières et
les opérations, un sujet également exploré dans l’article 18. Les objectifs et les résultats des politiques doivent être mesurés, c’est pourquoi la collecte et la diffusion d’un échantillon large et exhaustif de données détaillées, sur une longue période, sont la seule façon de valider correctement les résultats. Si ces données ne sont pas correctement recueillies et diffusées, toute réglementation fondée sur les résultats s’en trouvera compromise.
En ce qui concerne l’article 8 : « Cadre réglementaire flexible et adaptable », Unifor a déjà fait part de ses préoccupations concernant l’appel à plus de flexibilité et d’adaptabilité. Le syndicat estime que l’uniformisation des règles de concurrence ne devrait pas impliquer leur suppression.
Unifor rappellerait respectueusement au gouvernement fédéral que la Loi sur la diffusion continue en ligne comprenait des dispositions qui permettraient aux radiodiffuseurs privés d’être exemptés des redevances de la Partie II associées à la Loi sur la radiodiffusion. Ces sommes, qui s’élèvent à environ 120 millions de dollars par an, pourraient être utilisées par ces radiodiffuseurs privés pour compenser les pertes liées à leurs bulletins de nouvelles.
Cependant, en dépit de cet allègement, de nombreux radiodiffuseurs ont réagi en procédant à de nouveaux licenciements et en demandant un nouvel allègement de la réglementation. Unifor recommande respectueusement de rejeter toutes les demandes des radiodiffuseurs visant à les libérer de leurs obligations réglementaires en lien avec la production et le financement de contenu canadien, y compris les nouvelles et les programmes locaux, jusqu’à ce que les impacts de la Loi sur la diffusion continue en ligne et de la Loi sur les nouvelles en ligne soient connus et analysés. Là encore, Unifor estime que « l’uniformisation des règles de concurrence » avec les entreprises en ligne ne doit pas impliquer l’affaiblissement des normes et conditions existantes. Bell Média a déjà cité cette directive politique pour appuyer sa demande de Partie 1 visant à réduire - et, selon nous, à affaiblir gravement - les nouvelles locales au Canada, et à causer des dommages irréparables à notre démocratie.
Le paragraphe 12(g) charge le CRTC, en vertu de l’article 11.1 de la Loi actuelle, de « de tenir compte du besoin d’un financement durable et prévisible pour soutenir la participation des personnes, des groupements ou des organisations qui représentent l’intérêt public dans le cadre des affaires dont le Conseil est saisi au titre de la Loi; … »
Unifor a soutenu l’amendement à l’actuelle Loi sur la radiodiffusion qui permet désormais au CRTC d’assurer le soutien des organisations qui représentent l’intérêt public par voie réglementaire.
Plus précisément, le paragraphe 11.1(c) stipule que « Le Conseil peut prendre des règlements prévoyant le paiement des droits à acquitter par les exploitants d’entreprises de radiodiffusion, dans le but de ....soutenir la participation des personnes, des groupements ou des organisations qui représentent l’intérêt public dans le cadre d’une affaire dont il est saisi au titre de la présente loi; ... »
Les expériences et les preuves apportées par les participants d’intérêt public sont essentielles pour fournir à la Commission un dossier public plus complet émanant de participants axés sur les besoins et les préoccupations des Canadiens. Ces groupes ont, par exemple, réalisé des enquêtes pour mesurer l’opinion des Canadiens quant à l’importance de certaines initiatives en matière de politique de radiodiffusion, y compris celles liées aux nouvelles locales.
Bien que nous soyons d’accord avec la référence au « financement durable et prévisible » de la participation de l’intérêt public dans la directive proposée au paragraphe 12(5), nous sommes préoccupés par le fait que la directive ne demande en fait au CRTC que d’« examiner » si ce financement est nécessaire.
Nos membres ne pensent pas qu’il soit nécessaire que le CRTC réfléchisse à la question de savoir si les organisations qui représentent l’intérêt public ont besoin d’une réglementation pour un financement durable et prévisible.
Ce dont les participants d’intérêt public ont réellement besoin, c’est que le CRTC lance immédiatement une consultation sur ce point et adopte ensuite le plus rapidement possible des règlements afin que les organisations qui représentent l’intérêt public puissent participer aux prochaines années de procédures du CRTC visant à mettre en œuvre les projets de loi C-11 et C-18.
Nous proposons donc que le paragraphe 12(g) proposé soit modifié comme suit :
12. Il est ordonné au Conseil, dans l’exercice de son pouvoir prévu à l’article 11.1 de la Loi :
…
(g) de tenir compte du besoin d’un financement durable et prévisible pour soutenir la participation des personnes, des groupements ou des organisations qui représentent l’intérêt public dans le cadre des affaires dont le Conseil est saisi au titre de la Loi;
En ce qui concerne le paragraphe 12(i), Unifor recommande de remplacer « tenir compte » par « donner la priorité », de manière à ce que le passage se lise comme suit :
(i) donner la priorité à un soutien durable, offert par le système canadien de radiodiffusion dans son ensemble, à la programmation axée sur les nouvelles et l’actualité, notamment à un large éventail de nouvelles locales et régionales et de programmation communautaire originales; et
« tenir compte » manque de fermeté, compte tenu de l’importance des nouvelles locales pour une démocratie saine et prospère. La politique de radiodiffusion actualisée doit faire du soutien et de la promotion des nouvelles locales une priorité explicite. Comme mentionné ci-dessus, la recommandation 71 du rapport du Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications plaide en faveur d’un nouveau flux de financement durable spécifiquement destiné à la production de nouvelles.
En ce qui concerne le paragraphe 12(j), Unifor appelle à nouveau respectueusement à la prudence lorsque nous parlons de flexibilité. Les régulateurs doivent veiller à ce que nous n’échangions pas des responsabilités essentielles, comme le financement du contenu canadien et des nouvelles locales, avec des activités moins essentielles comme celles mentionnées au point (j), notamment les activités « de formation et des conférences ».
Renseignements et mise en œuvre
Unifor estime que l’article 18 : « Renseignements sur la réalisation des objectifs », est essentiel à l’efficacité globale des nouvelles politiques et réglementations en matière de radiodiffusion. Encore une fois, les politiques et réglementations fondées sur les résultats sont utiles, mais elles doivent être rattachées à la collecte et à la mise à disposition du public de données, y compris d’informations sur les performances financières et les opérations.
Les objectifs et les résultats des politiques doivent être mesurés, c’est pourquoi la collecte et la diffusion d’un échantillon large et exhaustif de données détaillées, sur une longue période, sont la seule façon de valider correctement les résultats. Si ces données ne sont pas correctement recueillies et diffusées, toute réglementation fondée sur les résultats s’en trouvera compromise.
Unifor recommande que le gouvernement fédéral et le CRTC entreprennent des consultations supplémentaires auprès des parties prenantes afin de déterminer les critères qui devraient être contrôlés et signalés. Cette liste pourrait comprendre, sans s’y limiter, des éléments tels que :
- Le nombre d’employés travaillant directement à la production de nouvelles, recensés par les agences locales partout au pays, classés par catégorie d'emploi générale (opérations internes, opérations externalisées, etc.)
- L’emplacement des agences locales et des installations où les nouvelles sont produites.
- Les dépenses totales consacrées à la production de nouvelles, ventilées par lieu et par agence
En ce qui concerne l’article 19 : « Mise en œuvre », les trois étapes prévues par le CRTC entraîneront des retards importants dans la mise en œuvre de la Loi sur la diffusion continue en ligne et dans l’injection d’argent dans le système. La Commission a indiqué qu’elle avait l’intention de donner la priorité aux contributions initiales, mais rien dans la Loi sur la radiodiffusion ou dans le projet d’orientation politique ne l’exige. Unifor recommande respectueusement de modifier l’article 19 comme suit :
Il est ordonné au Conseil d’effectuer, dans les deux ans de la date d’entrée en vigueur du présent décret, tout changement nécessaire à son cadre réglementaire pour la mise en œuvre du présent décret. Il est ordonné au Conseil, ce faisant, d’accorder la priorité à la mise en œuvre des exigences de contributions initiales substantielles relatives aux entreprises en ligne en vertu de l’article 4 et ainsi qu’aux articles 13 à 16 et de veiller à ce que ces changements soient effectués aussitôt que possible et sur une base continue au cours de cette période de deux ans.
Conclusion
La Loi sur les nouvelles en ligne et la Loi sur la diffusion continue en ligne représentent des opportunités générationnelles d’actualiser et d’améliorer la politique des médias au Canada, en particulier en ce qui concerne le soutien et la promotion des nouvelles et des programmes locaux.
Unifor a toujours soutenu que l’uniformisation des règles de concurrence devait être la priorité du nouveau cadre de financement découlant de ces deux textes législatifs et des réglementations connexes.
Les législateurs et les régulateurs devraient appliquer des normes cohérentes et élevées en matière de politique de radiodiffusion, notamment en ce qui concerne les obligations de financement et de dépenses, plutôt que de les édulcorer pour améliorer les résultats des sociétés et les profits des actionnaires.
Unifor est à votre disposition si vous avez d’autres questions ou si vous souhaitez obtenir des commentaires supplémentaires. Je vous remercie à nouveau de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer sur cet important sujet.
Cordialement,
Randy Kitt
Directeur du secteur des médias, Unifor