Argumentaire d’Unifor sur les pénuries de main-d’œuvre dans le secteur canadien des transports

Argumentaire d’Unifor soumis au Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités

Unifor a eu le plaisir de fournir un témoignage lors de l’audience du Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités sur les pénuries de main-d’œuvre prévues dans l’industrie canadienne du transport, le 31 octobre 2022.

Les éléments suivants réitèrent notre position, apportent des renseignements supplémentaires et répondent aux questions soulevées par le comité.

Transport aérien

En dépit de ce que les membres du Parlement ont pu être amenés à croire au cours de l’audience du 31 octobre, les employeuses et employeurs sont confrontés à des difficultés de recrutement de travailleuses et travailleurs dans des emplois aussi bien à hauts qu’à bas salaires. Une grande attention a été accordée au fait que les employeuses et employeurs ont du mal à embaucher des pilotes, des contrôleuses aériennes et contrôleurs aériens et des mécaniciennes et mécaniciens – ce sont tous des postes techniques hautement rémunérés que les employeuses et employeurs ont du mal à pourvoir.

De plus, nos membres qui occupent des emplois faiblement rémunérés dans le secteur travaillent en sous-effectif. Dans certains cas, leurs employeuses et employeurs ne sont pas en mesure de recruter suffisamment de personnes pour être compétitifs pour de nouveaux travaux. 

Les employeuses et employeurs sous-estiment le niveau de qualification requis pour effectuer le travail et l’importance de la formation dans l’industrie. À tous les niveaux de rémunération, les travailleuses et travailleurs manient de plus en plus des systèmes complexes et de nouvelles technologies dont la bonne utilisation requiert du temps et de l’attention. Environ 50 % du personnel de nombreux sous-secteurs de l’industrie a moins d’un an d’ancienneté et le roulement du personnel est élevé. Ce à quoi il convient d’ajouter des dispositions de formation inadéquates, très peu de collègues expérimenté(e)s à qui demander de l’aide et un soutien insuffisant de la part de la direction, et vous avez là la recette d’une incapacité permanente à trouver des travailleuses et travailleurs. Le taux de roulement continuera d’être élevé, étant donné que les travailleuses et travailleurs sont frustrés et cherchent à trouver du travail ailleurs. Les syndicats locaux rapportent continuellement que les bas salaires sont l’une des principales raisons pour lesquelles la main-d’œuvre va chercher du travail ailleurs.

Le transfert de contrat et le harcèlement sur le lieu de travail sont deux autres défis auxquels sont confrontés les travailleuses et travailleurs du secteur. Cette année, trois unités de négociation d’Unifor ont perdu leurs emplois et ont dû les postuler à nouveau en raison du transfert de contrat. Cette pratique crée des conditions de travail peu attrayantes et précaires qui sont injustes, malsaines et aggravent le défi lié à la main-d’œuvre.

Alors que la satisfaction de la clientèle se détériore et que les goulots d’étranglement s’aggravent, les travailleuses et travailleurs de l’aviation sont confrontés à un harcèlement croissant en milieu de travail, y compris des agressions verbales et physiques, beaucoup faisant l’objet de vidéos et publications en ligne pour une situation sur laquelle ils n’ont aucun contrôle – à dessein.

Les pilotes, les contrôleuses aériennes et contrôleurs aériens, les spécialistes de l’information de vol et les mécaniciennes et mécaniciens d’aéronefs sont confrontés à une situation durable dans laquelle les employeuses et employeurs ne parviennent pas à embaucher et à former le nombre approprié de travailleuses et travailleurs pour anticiper les besoins de main-d’œuvre pleinement qualifiée, puis sont surpris lorsque celle-ci n’est pas disponible. Certains préconisent l’utilisation du Programme des travailleuses et travailleurs étrangers temporaires pour contourner la convention collective et éroder les conditions de travail afin d’augmenter les profits.

D’après l’enquête sur les postes vacants et les salaires, le salaire initial moyen offert pour une travailleuse ou un travailleur du secteur n’a augmenté que de 6 % (1,30 $) depuis 2019. Cela représente une moyenne de moins de 2 % par an et seulement 2,5 % de plus que ce qui était offert au premier trimestre de 2020. De nouvelles recherches indiquent que le salaire horaire moyen offert dans le secteur du transport est inférieur au salaire d’acceptation de l’industrie (le salaire auquel les travailleuses et travailleurs sont prêts à travailler) - démontrant clairement une pénurie de salaires et non une pénurie de main-d’œuvre.

Unifor recommande au gouvernement :

  • Instituer un salaire minimum vital dans les aéroports partout au pays. À Toronto, le salaire minimum vital est de 22,08 $ par heure.
  • Mettre en œuvre les pleins droits du successeur en modifiant la partie III du Code canadien du travail pour considérer qu’une vente d’entreprise a eu lieu lorsqu’une employeuse ou un employeur qui fournit des services à un(e) client(e) cesse de fournir ces services et qu’une autre employeuse ou un autre employeur commence à fournir des services identiques ou similaires au client.
  • Renforcer la surveillance des employeuses et employeurs pour s’assurer que les travailleuses et travailleurs migrants temporaires ne sont embauchés qu’une fois que les travailleuses et travailleurs au Canada se sont vus offrir le travail disponible à des taux de rémunération compétitifs pour les classifications d’emploi et la possibilité de se former pour ce travail.
  • S’assurer que les employeuses et employeurs rémunèrent les pilotes temporaires par le biais des programmes des travailleétrangers temporaires et de mobilité internationale de la même manière que les travailleuses et travailleurs basés au Canada et que les qualifications d’emploi correspondent aux exigences de qualification du gouvernement du Canada afin de promouvoir à la fois la sécurité et la parité.
  • Corriger le Programme fédéral des travailleuses et travailleurs étrangers temporaires en accordant aux travailleuses et travailleurs migrants le statut de résident permanent dès leur arrivée afin de garantir des droits et des protections de niveau égal pour toutes et tous et inverser la tendance actuelle qui consiste à permettre aux employeuses et employeurs d’utiliser le programme pour diminuer les salaires et les conditions de travail.
  • Élaborer une solution au problème croissant du harcèlement au travail, notamment en exigeant des entreprises qu’elles assument la responsabilité de la frustration que leurs modèles commerciaux et leurs avancées technologiques induisent.

Conductrices et conducteurs de camion de marchandises

La pénurie de conductrices et conducteurs de camion se profile depuis un certain temps et elle est maintenant à nos portes. Une grande partie du problème réside dans la qualité de l’emploi dans l’industrie. Le salaire moyen était d’environ 25 $ par heure en 2021, bien qu’il ait légèrement augmenté en 2022[1]. Le modèle de la conductrice ou du conducteur indépendant, utilisé par de nombreuses compagnies, fait baisser encore davantage les salaires étant donné que les conductrices et conducteurs doivent payer leur capital et leurs frais de déplacement sur ces salaires.

En plus de la faible rémunération, les conditions de travail sont difficiles et les blessures fréquentes. Les camionneuses et camionneurs travaillent environ 20 % d’heures de plus que les autres travailleuses et travailleurs. Les camionneuses et camionneurs et autres opératrices et opérateurs d’équipement lourd subissent 25 000 blessures avec arrêt de travail par an. En moyenne, 100 camionneuses et camionneurs et opératrices et opérateurs d’équipement lourd meurent chaque année.

En outre, la solitude, le stress imposé à la famille et les problèmes de dos rendent le métier encore moins attrayant pour la main-d’œuvre actuelle.

La classification incorrecte des conductrices et conducteurs signifie que les travailleuses et travailleurs ne peuvent pas prétendre à des heures supplémentaires, ne perçoivent pas d’indemnités de vacances, d’indemnités de licenciement ou d’indemnités pour les blessures. Après avoir payé les frais, beaucoup gagnent à peine le salaire minimum.

La surveillance des conductrices et conducteurs devient de plus en plus une caractéristique du travail. On dit aux conductrices et conducteurs qu’ils sont des entrepreneuses et entrepreneurs indépendants tout en étant constamment surveillés par leur employeur contractuel et sous la menace de réprimandes. Les entreprises surveillent la localisation sur le GPS et contrôlent des choses comme les arrêts, la durée des arrêts, mais également les éventuelles distractions d’une conductrice ou d’un conducteur; la question de savoir si ces données seront utilisées, et si oui comment, fait l’objet de peu de descriptions. Cela ne fait qu’intensifier le stress que subissent les conductrices et conducteurs et ne fait rien pour atténuer la pénurie.

Sur les grands réseaux autoroutiers, il y a un manque d’aires de repos, de toilettes et de douches qui offrent aux camionneuses et camionneurs un endroit sécuritaire pour se reposer. Les cambriolages et les vols sont monnaie courante pour les conductrices et conducteurs.

Unifor recommande au gouvernement :

  • Accroître les inspections des compagnies de camionnage sous réglementation fédérale afin de détecter les erreurs de classification des conductrices et conducteurs, les vols de salaire et de dénoncer les employeuses et employeurs qui orientent les conditions à la baisse;
  • Améliorer l’infrastructure de soutien aux camionneuses et camionneurs, y compris davantage d’aires de repos et de toilettes, des places de stationnement, des endroits pour obtenir des repas sains ou se laver. Ces aires doivent être des lieux sécuritaires et surveillés pour que les conductrices et conducteurs se sentent en sécurité.

Formation

La formation des travailleuses et travailleurs a été continuellement évoquée au cours de l’audience. Les employeuses et employeurs ont affirmé sans ambages qu’ils s’efforçaient de trouver des participantes et participants à des formations, mais qu’ils ne parvenaient pas à en recruter suffisamment.

L’expérience d’Unifor suggère que dans beaucoup de ces fonctions, en particulier les fonctions spécialisées comme les mécaniciennes et mécaniciens, le goulot d’étranglement est causé par les employeuses et employeurs qui refusent d’embaucher et de former des apprenti(e)s. Au lieu de cela, les petites compagnies embauchent et forment des travailleuses et travailleurs qui sont ensuite attirés par un salaire plus élevé ou de meilleurs horaires dans les grandes compagnies aériennes.

Une solution à ce problème pourrait être d’exiger un certain ratio d’apprenti(e)s comme cela se fait dans les compagnies automobiles en Ontario ou de garantir un bassin commun de travailleuses et travailleurs formés à partir duquel embaucher.

En outre, les employeuses et employeurs doivent accorder plus d’attention à la quantité et à la qualité de la formation qui doit être fournie, étant donné que les emplois deviennent de plus en plus complexes. Ce n’est pas parce qu’un emploi est peu rémunéré qu’il exige peu de qualifications. Les employeuses et employeurs doivent repenser et améliorer les programmes de formation et fournir davantage de soutien au cours des premières étapes de l’acquisition d’expérience afin de s’assurer que les travailleuses et travailleurs sont dotés des qualifications et de la confiance nécessaires pour effectuer le travail qui leur est demandé.

Collaboration syndicat-employeuse/employeur

La collaboration syndicat-employeuse/employeur est une composante essentielle de la résolution des problèmes liés à la main-d’œuvre et aux travailleuses et travailleurs. Les travailleuses et travailleurs ont une expérience de première main de ce qu’exige un emploi, des défis à relever et des qualifications requises. Lorsque les employeuses et employeurs sont disposés à le faire, la collaboration syndicat-employeuse/employeur peut être le meilleur moyen d’identifier les exigences qui devraient figurer sur une description de poste et de déterminer les chances de réussite des candidates et candidats potentiels ou la formation supplémentaire nécessaire pour augmenter les chances de réussite.

Les sections locales d’Unifor ont de nombreux exemples où la collaboration syndicat-employeuse/employeur a été couronnée de succès.

Par exemple, lorsqu’Air Canada a récemment introduit un nouveau système de réservation en ligne, les membres de la section locale 2002 d’Unifor ont approuvé les offres d’emploi et participé aux entrevues des membres en affectation spéciale dans le cadre des essais du système. Ces membres en affectation spéciale sont ensuite devenus des agentes et agents de changement qui ont aidé les agentes et agents à introduire le nouveau système. Cela a été nettement plus réussi que la tentative précédente d’introduire une nouvelle technologie lorsque les formatrices et formateurs étaient des travailleuses et travailleurs contractuels d’une autre entreprise qui ne comprenaient pas le travail ou comment assister au-delà des questions très techniques sur le système.

L’année dernière, les agentes et agents du service à la clientèle ont négocié pour que la formation des nouveaux employé(e)s passe de six à 30 jours. Le syndicat a assisté aux classes de formation pilotes l’automne dernier avant que la formation ne soit finalisée et a donné son avis sur la façon dont elle pourrait être améliorée. Les commentaires comprenaient l’ajout de certains sujets de formation, la prise en compte de problèmes réels à l’aéroport et l’indication des domaines dans lesquels la formation devait être améliorée.

Ce ne sont là que quelques exemples de collaboration syndicat-employeuse/employeur qui ont permis d’améliorer les capacités au travail et les taux de rétention.

En plus de la collaboration au niveau du milieu de travail, Unifor a plaidé pour l’introduction de conseils sectoriels au niveau fédéral qui réuniraient les intervenantes et intervenants de l’industrie pour discuter de questions générales telles que la qualité des emplois, les changements de qualifications, la formation des apprenti(e)s et le recrutement de métiers spécialisés, de même que l’augmentation de la visibilité des emplois confrontés à des pénuries de travailleuses et travailleurs qualifiés.

Unifor recommande au gouvernement :

  • Créer un conseil sectoriel pour chaque industrie du secteur des transports. Ces conseils réuniraient des intervenantes et intervenants de tous les secteurs de l’industrie, y compris le gouvernement, les employeuses et employeurs, les syndicats et les établissements d’enseignement, afin d’identifier les défis hautement prioritaires et de produire des recommandations réalisables auxquelles le gouvernement et le secteur privé donneront suite.