Une loi anti-briseurs de grève rétablit l’équilibre des pouvoirs lors des conflits de travail

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Jerry Dias, Président national
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Cette chronique a été publiée à l'origine dans le Toronto Star.

Ce n’est pas pour rien qu’on les appelle des scabs.

« Tout comme un scab est une lésion physique, les briseurs de grève défigurent le corps social du travail », a écrit Stephanie Ann Smith dans Household Words.

Je n’aurais pas pu mieux le dire moi-même. Les briseurs de grève déchirent les communautés, rabaissent les travailleuses et travailleurs, et prolongent les conflits, une situation que nous, chez Unifor, connaissons trop bien.

Depuis la formation d’Unifor en 2013, nos trois conflits de travail les plus longs en nombre total de jours perdus impliquaient des briseurs de grève. Les conflits de travail impliquant des briseurs de grève ont duré en moyenne six fois plus longtemps que ceux sans briseurs de grève.

Les briseurs de grève n’incitent pas les patrons à négocier équitablement, ils retirent le pouvoir des mains des travailleuses et travailleurs qui tentent d’exercer leur droit de refuser de fournir des services lorsqu’un employeur est déraisonnable.

Le Québec et la Colombie-Britannique sont les deux seules provinces à avoir adopté une loi anti-briseurs de grève pour empêcher les employeurs de saper tout le processus de négociation collective.

Le Code du travail du Québec interdit aux employeurs d’utiliser des briseurs de grève pour faire le travail d’employés syndiqués, à l’exception des gestionnaires.

En Colombie-Britannique, les employeurs ne peuvent pas utiliser de nouveaux employés, du personnel contractuel ou des employés d’un autre site comme briseurs de grève.

Mais même dans ces provinces, les employeurs ont trouvé des moyens de contourner les lois existantes, et nous voyons encore des briseurs de grève dans nos milieux de travail.

Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent adopter une loi anti-briseurs de grève dès maintenant afin d’empêcher les employeurs d’utiliser des travailleurs de remplacement pour tenter de démanteler les syndicats, et la Colombie-Britannique et le Québec doivent renforcer leurs propres lois anti-briseurs de grève pour garantir leur efficacité.

En 2019, à Regina, la raffinerie Co-op a dépensé des millions de dollars pour construire un camp que l’entreprise a rempli de briseurs de grève provenant de l’extérieur de la province qu’elle a fait transporter par hélicoptère pour franchir notre ligne de piquetage, espérant que les membres en lock-out de notre syndicat renonceraient à leurs pensions.

Cet employeur aux poches pleines l’a fait parce qu’il le pouvait, et le conflit a duré 200 jours.

Pensez à l’effet néfaste des briseurs de grève sur la santé physique et mentale des travailleuses et travailleurs. Ils sapent leur moral, brisent les relations de travail, créent des tensions et usent parfois de violence manifeste, comme le souligne une étude imminente d’Unifor. Ce document de recherche, intitulé Le bien-fondé d'une loi anti-briseurs de grève au Canada, démontre clairement la nécessité d’établir de toute urgence une loi anti-briseurs de grève à la grandeur du pays.

Nous avons été témoins de la longue et honteuse histoire des briseurs de grève au Canada. Qui pourrait oublier la grève des Travailleurs canadiens de l’automobile de 2002 à l’usine de camions de Navistar International à Chatham, en Ontario, où un briseur de grève employé par une entreprise professionnelle de briseurs de grève a conduit sa camionnette à travers le piquet de grève, blessant trois membres des TCA, dont un grièvement?

Nous avons vu les conséquences du recours à des travailleurs de remplacement non qualifiés. Il y a deux ans, alors que près de 300 travailleuses et travailleurs d’une mine de sel faisaient la grève à Goderich, en Ontario, leur employeur a fait venir par autobus des briseurs de grève qui, pendant 10 semaines, ont franchi le piquet de grève des membres d’Unifor en grève légale.

Les briseurs de grève ont diffusé des vidéos dans les médias sociaux se moquant de nos membres.

Leurs enfants ont dû regarder des autobus remplis de briseurs de grève arriver en ville, sachant ce que cela signifiait. C’était comme un coup de pied au visage de leurs parents et de leur communauté. C’était déchirant.

J’ai sorti les briseurs de grève de la mine. Et puis voilà, sans les briseurs de grève, l’entreprise a commencé à négocier sérieusement et nous étions de retour à la table pour conclure une entente en seulement quelques jours.

La mine était complètement désorganisée lorsque nos membres y sont retournés.

Une étude réalisée en 2009 a révélé qu’une fois le pouvoir de négociation des travailleurs canadiens rétabli grâce à une loi anti-briseurs de grève, il pourrait y avoir une légère augmentation des arrêts de travail au cours des deux premières années, mais la durée des conflits s’en trouve tellement réduite qu’il n’y a pas de hausse globale du nombre de jours perdus.

Ce qui signifie que plus de Canadiens sont au travail et font leur travail.

C’est une question de respect pour les travailleuses et travailleurs canadiens. Le recours à des briseurs de grève prolonge les conflits, nuit à la sécurité au travail, crée des divisions dans les communautés, et entretient l’animosité entre les travailleurs et les employeurs, déstabilisant ainsi les relations de travail.

Nous avons vu comment le chef conservateur Erin O’Toole a courtisé les membres des syndicats récemment. Il devrait peut-être envisager d’accorder le soutien de son parti à une campagne nationale en faveur d’une loi anti-briseurs de grève afin de démontrer son engagement à assurer un meilleur avenir aux travailleuses et travailleurs canadiens et à leur famille.

Il est temps pour les provinces canadiennes et le gouvernement fédéral d’agir. Et il est temps pour les alliés des travailleuses et travailleurs canadiens d’appuyer l’adoption de nouvelles règles anti‑briseurs de grève qui feront une véritable différence.