Réponse au rapport du Comité consultatif ontarien de la relance du marché du travail

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Queen's Park in Toronto, Ontario.
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L'honorable Monte McNaughton
Ministre du Travail, de la Formation et du Développement des compétences
400 avenue University, 14e étage
Toronto (Ontario) M7A 1T7

Monsieur le Ministre,

Notre syndicat a lu le rapport du Comité consultatif ontarien de la relance du marché du travail avec beaucoup d'intérêt. Nous avions espéré que les recommandations fourniraient une feuille de route pour améliorer les conditions de travail en Ontario et se concentrer sur la création de bons emplois pour les travailleuses et travailleurs. Malheureusement, bien que le rapport contienne quelques idées prometteuses, les recommandations ne feront pas bouger l'aiguille assez loin pour, comme vous le prétendez, « rééquilibrer la balance et faire passer les travailleurs ontariens et leurs familles en premier pour les générations à venir ».

Le Comité affirme qu'un objectif primordial des recommandations était de trouver un équilibre entre la souplesse et l'équité, et entre la responsabilité et la productivité. À notre avis, ce n'est pas la bonne façon d'aborder ces questions, car nous croyons que la responsabilisation est un élément fondamental d'une productivité soutenue et que le contrôle de la souplesse est une composante importante de l'équité pour les travailleuses et travailleurs. En d'autres termes, aucune de ces deux préoccupations ne devrait être présentée comme un compromis mutuellement exclusif.

Dans l'ensemble, ces recommandations ne mettront pas les travailleuses et travailleurs aux commandes et de nombreux travailleurs et travailleuses en Ontario continueront de voir leurs conditions de travail se détériorer à moins que des mesures plus ambitieuses ne soient prises.

Soutenir les travailleurs, en particulier les travailleurs de plateforme, en leur offrant souplesse, contrôle et sécurité.

En ce qui concerne l'offre d'une plus grande souplesse, d'un meilleur contrôle et d'une plus grande sécurité pour les travailleuses et travailleurs – en particulier les travailleuses et travailleurs de plateforme – les recommandations sont insuffisantes pour faire face à la précarité croissante dans la province. Par exemple, Unifor soutient clairement la recommandation d'inclure les travailleuses et travailleurs de l’économie à la demande et des plateformes dans une nouvelle désignation d'entrepreneur dépendant et de leur fournir des droits fondamentaux en matière d'emploi, mais seulement si ces travailleuses et travailleurs ont le droit de former un syndicat afin de redresser les griefs communs et d'obtenir de meilleures conditions de travail au-delà du strict minimum. Les recommandations ne sont pas claires non plus quant à savoir si les travailleuses et travailleurs de l’économie à la demande ou des plateformes tomberaient automatiquement sous cette nouvelle désignation d'entrepreneur dépendant. Il incombe aux employeurs de prouver que ces travailleuses et travailleurs répondent aux critères du statut d'entrepreneur indépendant. En outre, il faut rétablir la charge de la preuve que les travailleuses et travailleurs ne sont pas des employés, qui a été abrogée de la Loi sur les normes d'emploi en 2018.

En outre, pour que les travailleuses et travailleurs de l’économie à la demande et des plateformes soient en mesure de mieux négocier leurs conditions de travail, la Loi sur les relations de travail devrait explicitement prévoir des possibilités de négociations multi-employeurs plus larges qui permettraient de négocier les conditions par le biais de tables collectives ou de tables sectorielles pour les travailleuses et travailleurs de l’économie à la demande dans des secteurs spécifiques.

Bien que les entreprises opérant dans cet espace puissent être des conglomérats mondiaux, elles se disputent une part du marché au niveau local. Fixer un plancher plus élevé pour les conditions de travail, sur lequel toutes les entreprises sont en concurrence, ne désavantage aucune entreprise, mais élève simplement le niveau de vie des travailleuses et travailleurs.

Il existe également de nombreux travailleurs en dehors de l’économie à la demande qui ont très peu de contrôle sur leur vie professionnelle. C'est particulièrement vrai dans les secteurs des soins de longue durée et de l'hôtellerie, où les employés travaillent couramment en horaires fractionnés ou dans plusieurs établissements pour joindre les deux bouts. Si l'on veut vraiment que ces recommandations mettent la province sur la voie d'une meilleure relance après la pandémie de COVID-19, il faut s'attaquer à ces problèmes en adoptant une loi sur les horaires équitables et en redoublant d'efforts pour retenir les travailleuses et travailleurs dans le secteur de la santé grâce à des salaires plus élevés, de meilleurs avantages sociaux et de meilleures conditions de travail.

La recommandation du Comité concernant les agences de placement temporaire stipule simplement que le gouvernement provincial doit communiquer plus clairement le fait que les agences de placement temporaire et les employeurs qui font appel à des agences de placement temporaire doivent respecter la loi. C'est insuffisant pour régler les problèmes d'emploi et d'exploitation créés par le recours généralisé aux agences de placement temporaire. Les travailleuses et travailleurs qui ont recours à ce type d'arrangements sont souvent considérés comme jetables et travaillent dans un état permanent de précarité. Les employeurs doivent être tenus d'embaucher des travailleuses et travailleurs sur une base permanente pour des postes à pourvoir en permanence, au lieu de les laisser dans un état perpétuel de flou.

Enfin, il n'y a pas de recommandations dans cette section concernant la nécessité de renforcer l'application de la loi. D'après notre expérience, les gouvernements, à tous les niveaux, n'appliquent pas les normes et les règles du travail qui sont déjà en place. La création de nouvelles règles sans aucun effort pour les faire appliquer mine totalement les efforts visant à créer un marché du travail plus solide et de meilleures perspectives pour l'avenir du travail en Ontario.

Veiller à ce que l'Ontario demeure le meilleur endroit en Amérique du Nord pour recruter, maintenir en poste et récompenser les travailleurs.

En ce qui concerne la création, le recrutement, la rétention et la récompense des travailleuses et travailleurs, nous applaudissons l'accent mis sur la formation et l'apprentissage tout au long de la vie. Toutefois, nous soutenons que de nombreuses recommandations doivent être clarifiées et améliorées afin d'accroître leur efficacité et leur impact.

Par exemple, l'élaboration d'une prestation de formation qui s'aligne sur l’Allocation canadienne pour la formation (ACF) du gouvernement fédéral est un pas dans la bonne direction, mais nous avons constaté que l’ACF manque cruellement de financement et d'accessibilité, deux éléments nécessaires pour que les travailleuses et travailleurs puissent obtenir la formation dont ils ont besoin pour exceller dans le futur monde du travail. Unifor a formulé des recommandations importantes pour améliorer le programme, notamment en prolongeant le nombre de semaines pendant lesquelles l’Allocation est disponible, en augmentant les dépenses couvertes pour inclure des éléments importants comme les manuels scolaires et la garde d'enfants, en augmentant le montant de remplacement du revenu et en éliminant la limite d'âge.

Les microcertifications et la formation en cours d'emploi nécessitent plus de recherche et beaucoup plus de détails. Unifor convient qu'il ne devrait pas y avoir de limite d'âge pour l'accès au financement de l'apprentissage tout au long de la vie, que les employeurs devraient investir dans davantage de formation en cours d'emploi et que les microcertifications méritent un examen plus approfondi. Cependant, il n'y a pas assez de détails pour suggérer qui financera cela, si les microcertifications seront mises en œuvre dans le domaine public ou par des intérêts privés et si les employeurs fourniront une formation en cours d'emploi de qualité et rémunérée, qui sera ensuite suivie d'améliorations de la rémunération et des conditions de travail des travailleuses et travailleurs.

 

Les récents rapports sur les problèmes importants rencontrés par les étudiants des établissements de formation privés dans le secteur des soins de longue durée constituent un sérieux avertissement et suggèrent la nécessité de faire preuve de prudence dans la manière dont le gouvernement conçoit et met en œuvre les programmes de formation. Les partenariats public-privé dégradent les services publics, ont souvent des coûts cachés et ne tiennent pas les promesses qu'ils font.

Une main-d'œuvre de calibre mondial ne peut être que le résultat d'une éducation de qualité, en particulier au niveau postsecondaire où les aptitudes et les compétences clés sont développées. Un programme de formation professionnelle solide et complet doit inclure l'accès à l'enseignement postsecondaire public gratuit, être intégré à l'assurance-emploi (AE) et comporter des éléments supplémentaires tels que des évaluations des compétences, des exigences de formation axées sur les travailleuses et travailleurs et des mesures de soutien du revenu pendant que les personnes suivent une formation.

De même, le Comité semble s'appuyer fortement sur la capacité des technologies développées par le secteur privé à mieux connecter les personnes à des emplois potentiels, en lançant des programmes, des applications et des plateformes virtuelles basés sur des défis. Bien que ceux-ci puissent être utiles pour quelques personnes qui disposent déjà des outils nécessaires pour se connecter de cette manière, il y a des milliers de travailleuses et travailleurs qui n'ont pas accès à la large bande, qui doivent faire face à des coûts élevés d'Internet, et qui sont confrontés à des barrières linguistiques et autres pour accéder aux outils nécessaires pour accéder à cette technologie et l'utiliser. Le véritable défi consiste à garantir l'égalité des chances d'apprendre et d'élargir son éventail de compétences, tout en gagnant un bon salaire dans des conditions de travail décentes.

Toutes les recommandations ci-dessus sur la formation et le développement des compétences doivent être étayées par des tables stratégiques sur les compétences et le développement réunissant plusieurs parties prenantes, afin de garantir que les programmes élaborés sont utiles, opportuns et, en définitive, fructueux.

En théorie, Unifor appuie la recommandation de créer un avantage transférable; toutefois, le diable se cache dans les détails et il faut faire davantage avant d'appuyer cette recommandation. Premièrement, l’Allocation doit être payée par les employeurs. Deuxièmement, elle doit être entièrement financée pour que les travailleuses et travailleurs puissent réellement avoir accès aux avantages. Des régimes d'avantages sociaux faibles avec de faibles niveaux de couverture ne changeront pas la situation des travailleuses et travailleurs de cette province.

Enfin, le Comité a fourni très peu de recommandations sur le thème du maintien en poste. Tout comme il doit y avoir une stratégie pour accroître les compétences dans la province, il doit y avoir une stratégie pour conserver les emplois en Ontario, ce qui fait entièrement défaut dans le rapport du Comité. Un autre élément absent est la nécessité de renforcer les normes d'emploi afin d'augmenter les taux de maintien en poste grâce à des dispositions pour un travail décent, ce qui comprend des règlements sur les horaires équitables, des dispositions sur l'égalité de traitement, l'équité salariale, des protections pour les travailleuses et travailleurs migrants et des jours de maladie payés.

Faire de l'Ontario la destination par excellence où trouver une main-d'œuvre et un bassin de talents de calibre mondiala

Pour ce qui est de devenir une destination par excellence pour les talents, nous soutenons la mise en œuvre mesures législatives complètes sur le droit à la déconnexion. Cependant, la législation récemment adoptée par la province exige seulement la mise en place d'une politique écrite plutôt que de prescrire les droits des travailleuses et travailleurs à se déconnecter en dehors des heures de travail. Les exemptions réglementaires à venir pour différentes catégories de travailleuses et travailleurs risquent de diluer davantage la loi et de la rendre pratiquement inutile. L'existence de mesures législatives sur le droit à la déconnexion doit également être soutenue par une application rigoureuse afin de garantir que les travailleuses et travailleurs qui s'y conforment ne soient pas pénalisés.

La recommandation de développer des infrastructures de transport et de communication plus solides est incroyablement importante et doit être élargie pour inclure explicitement les éléments suivants :

  • Infrastructure de transport en commun à émissions nulles et train de passagers à grande vitesse;
  • Adhésion au régime de services de garde d'enfants du gouvernement fédéral;                
  • Assurance-médicaments universelle; et
  • Logement abordable.

L'utilisation de la technologie pour accroître l'accès aux services de soins de santé est nécessaire, mais pas suffisante pour garantir l'accès aux soins de santé dans les régions éloignées ou lorsque les médecins ne prennent pas actuellement de nouveaux patients.

De plus, la large bande doit non seulement être rendue disponible dans toute la province, mais elle doit aussi être rendue abordable et fournir une connectivité stable et à haute vitesse. Le gouvernement de l'Ontario a déjà annoncé des investissements dans ce domaine, mais il doit maintenant veiller à ce que la large bande soit vraiment accessible à tous, et pas seulement aux personnes à revenu élevé qui choisissent de vivre dans des collectivités rurales et éloignées.

Aller de l'avant

Au moment où vous allez concevoir des améliorations importantes pour l'avenir du travail en Ontario, nous espérons que vous garderez à l'esprit l'objectif vital de créer de bons emplois syndiqués pour les travailleuses et travailleurs ontariens.

Un grand nombre des recommandations suggérées dans le rapport du Comité consultatif sont malheureusement vagues et ne constituent que des demi-mesures. Si le gouvernement de l'Ontario sous-finance ou privatise les programmes de travail ou s'il mine les bons emplois par des échappatoires réglementaires, il échouera inévitablement à atteindre son objectif déclaré de créer un meilleur monde du travail.

Une réforme efficace du travail doit, en fin de compte, faire en sorte que les emplois précaires, mal rémunérés et offrant peu ou pas de sécurité d'emploi, deviennent de bons emplois, en relevant les normes du travail pour tous les travailleurs et en veillant à ce que les employeurs ne puissent pas se soustraire à leurs responsabilités par le biais d'une classification erronée et d'un manque d'application. Plus important encore, tous les travailleurs et travailleuses doivent avoir le droit d'adhérer à un syndicat et d'accéder à la libre négociation collective afin de pouvoir améliorer leurs conditions de travail.

Vous avez récemment parlé de la nécessité d'améliorer le travail pour la population de l'Ontario et de votre désir d'être le parti des travailleuses et travailleurs. À cet égard, les actions sont plus importantes que les mots. Nous vous exhortons à être beaucoup plus ambitieux dans votre plan d'action en allant au-delà des demi-mesures identifiées dans ce rapport et en mettant en œuvre des politiques qui ne troquent pas le contrôle pour la souplesse, mais qui créent les conditions pour les deux afin d'assurer véritablement une prospérité partagée pour tous les travailleurs et travailleuses de l'Ontario.

Sincèrement,

Naureen Rizvi
Directrice de la région de l’Ontario d'Unifor