Que nous réserve l’AECG?

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Ce que nous savons du projet de libre-échange avec l’Europe, annoncé « en principe » il y a un peu plus d’une semaine, nous arrive par le biais de fuites d’informations et de communiqués de presse provenant de ceux qui sont, en général, en faveur de cet accord.

Pourtant, il y a déjà lieu de nous inquiéter.

L’accord économique et commercial global (AECG) contiendra sans doute des avantages et des désavantages pour les Canadiens qui se préoccupent de la sécurité de leurs emplois ou de leurs possibilités et des possibilités de leurs enfants de trouver un emploi convenable. Il en irait de même pour n’importe quel accord commercial.

Ce que nous ignorons et que nous ne saurons pas avant d'avoir lu en entier le texte de l’accord, c’est la proportion des avantages par rapport aux désavantages.
Si tout va bien, nous en saurons plus mardi, lorsque le premier ministre Stephen Harper présentera l’accord provisoire à la Chambre des communes.

D’après ce que nous savons déjà, certains secteurs ont raison de se réjouir, tandis que d’autres ont raison de s’en faire.

Prenons par exemple la foresterie, supposément un secteur gagnant dans cet accord. Après tout, l’Europe n’est pas vraiment reconnue comme un producteur de bois d’œuvre, contrairement au Canada. Cela ressemble à un marché unilatéral.

Mais le bois d’œuvre et le papier journal, qui constituent la plus grande part de ce marché, sont déjà exempts de tarifs douaniers. L’AECG apporte des changements aux produits comme le contreplaqué et les panneaux à copeaux orientés. Comme ces produits ont un marché limité, l’AECG aura peu d’incidence au bout du compte.

Par ailleurs, l’industrie canadienne du meuble n'est plus un secteur important. Nous importons plus que nous exportons. Avec l’AECG, nous pourrions finir par exporter vers l’Europe nos produits forestiers à peine transformés et acheter en retour des produits finis, comme des bureaux, chaises, lits, armoires, exempts de tarifs douaniers.

De cette façon, l’AECG finirait par affermir notre place dans le commerce international comme des bûcherons, littéralement. Il y a déjà un grand déséquilibre dans les marchandises qui font l’objet de transactions commerciales entre le Canada et l’Europe. Le Canada vend à l’Union européenne surtout des matières premières (ou à peine transformées), comme de l’or, des diamants, de l’uranium et du pétrole.

L’Europe nous envoie surtout des produits à valeur ajoutée et à forte composante technologique, comme des médicaments, des automobiles et des appareils électroniques. Éliminer 98 % des tarifs douaniers (qui sont déjà relativement bas au départ) en vertu de l’AECG ne corrigera pas ce déséquilibre. Au contraire, cet accord ne fera que l’aggraver.

Notre syndicat n’est pas certain que l’AECG soit la réponse à nos problèmes. Nous préférerions qu'un plus grand nombre d’emplois soit créé dans le secteur manufacturier, afin d’offrir des emplois et des possibilités pour nos jeunes.

Le Canada est riche en ressources. Transformons-les.

À vrai dire, il est difficile à l’heure actuelle d'évaluer les industries canadiennes qui profiteront le plus de l’AECG et celles qui seront le plus désavantagées à la suite de cet accord. Nous avons toujours de plus en plus de questions au sujet des répercussions de cet accord, et nous recevons bien peu de réponses directes.

  • En ce qui concerne les soins de santé, le gouvernement Harper a vanté les droits de propriété intellectuelle qui protègent les brevets de médicaments. Pourtant, leurs propres estimations semblent indiquer que les prix des médicaments vont monter en flèche par milliard de dollars et que les Canadiens seront tenus d’en payer les frais. De manière plus générale, quelle sera l’incidence de l’AECG sur les régimes d’avantages sociaux des milieux de travail et du système de santé?
  • On nous dit que nous importerons plus de fromages de l’Union européenne et que nous pourrons leur vendre, en échange, de plus grandes quantités de céréales et de viande bovine, mais les consommateurs européens voudront-­ils acheter nos aliments génétiquement modifiés et notre bœuf aux hormones?
  • Au premier abord, il semble que nous pourrons vendre plus d’automobiles sur le marché européen, mais les automobiles fabriquées au Canada ont-elles leur place sur ce marché? De nouvelles exigences relatives aux « règles d’origine » imposent que pour être reconnue comme « fabriquée au Canada », une automobile doive être constituée d’au moins 20 % d’éléments produits au pays. Combien d’automobiles réellement fabriquées au Canada pourront être exportées vers l’Europe? En fait, les constructeurs d’automobiles canadiens (GM, Ford, Chrysler, Toyota et Honda) sont déjà bien positionnés sur le marché européen, en vendant des véhicules qu’ils produisent en Europe. L’AECG ne changera pas cela.
  • En ce qui concerne les pêches, on peut espérer que nous pourrons vendre plus de produits transformés, mais l’on s’inquiète des exigences que risque de comporter l’AECG. Cet accord pourrait demander par exemple à Terre-Neuve-et-Labrador que le poisson soit pêché et transformé localement.

Tant que nous n’aurons pas lu le texte de cet accord, il sera impossible d'en évaluer toutes les conséquences. Cependant, le fait que l’accord ne soit pas encore conclu est des plus inquiétants. Les négociations se poursuivront au cours des prochains mois. Il faudra encore des années avant d’avoir en main un texte définitif. Étant donné le degré d’incertitude entourant cet accord ambitieux (et hautement secret), pourquoi le gouvernement conservateur tient-il tant à ce projet?

Si le premier ministre est assez confiant pour souscrire à un accord qui n’en est pas encore un, alors cet accord devrait être rendu public. L’AECG est aussi la première entente de ce type dont les modalités lient les provinces (et, par extension, les villes).

Chaque province devrait donc avoir droit à un vote démocratique à ce sujet.
Pour le moment, il semble que les effets négatifs de l’AECG risquent d’être plus importants que ses possibles avantages. Il est malheureusement impossible de le savoir avec certitude. Cet accord est trop important et trop lourd de conséquences pour être laissé au hasard. Les Canadiens ont besoin d’être convaincus que le gouvernement Harper concentre ses efforts sur des résultats concrets et non seulement théoriques.

Nous devons connaître le contenu de cet accord pour que les Canadiens puissent décider d’eux-mêmes s’il est bon pour eux.