Publié initialement dans The Hill Times

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Plus de commerce, mais pas moins de protection pour les travailleuses et les travailleurs
Lana Payne, présidente nationale d’Unifor

Il est tentant, lorsqu’on parle de bâtir un nouveau Canada en améliorant le commerce interprovincial et la mobilité de la main-d’œuvre, de penser que les réglementations fastidieuses constituent les plus grands obstacles. Il ne faut pas se leurrer, ce n’est pas une mosaïque de règles qui nous empêche d’avancer, mais plutôt un patchwork de routes, de rails, de rivières et de paysages hostiles.

Le Canada est un vaste territoire.  Notre pays s’étend des océans aux chaînes de montagnes, en passant par les prairies et la toundra arctique, avec des conditions météorologiques, un relief et des distances qui rivalisent avec des continents entiers. Selon une étude menée récemment par Statistique Canada, le principal obstacle au commerce interprovincial n’est pas la réglementation, mais la géographie. Or, les gouvernements et les groupes d’entreprises se concentrent sur la réduction des formalités administratives plutôt que sur la construction de routes, de lignes ferroviaires ou d’infrastructures qui permettraient de transporter les biens et les personnes de manière plus sécuritaire et plus efficace d’une province à l’autre.

Disons-le clairement : aucun tarif douanier ne bloque le commerce intérieur au Canada. Au contraire, les « barrières commerciales internes » sont souvent synonymes de réglementation : règles de santé et de sécurité, qualifications professionnelles, politiques d’embauche locales, modèles de propriété publique, exigences de consultation et de coopération avec les Premières nations, les Métis et les Inuits, exigences en matière de bénéfices pour la communauté ou droits spéciaux de négociation collective, comme dans le cas des pêcheries de Terre-Neuve. Ce ne sont pas des inconvénients, ni des formalités administratives, mais des politiques durement acquises qui protègent les travailleuses et les travailleurs, les communautés et l’intérêt public.

Il est vrai que les réglementations diffèrent, mais pour de bonnes raisons. Ce qui fonctionne sur les autoroutes planes du Manitoba ne tient pas la route dans les cols de montagne de la Colombie-Britannique. Les inspections des freins, les règles en matière de carburant et les normes relatives aux pneus reflètent les besoins réels en termes de géographie et de sécurité. Dans certains cas, une norme nationale unique est tout simplement absurde. Ce qui convient à une région peut s’avérer dangereux ou inadéquat dans une autre. Or, la pression pour harmoniser les normes ou adopter les réglementations des uns et des autres sous la bannière de la « reconnaissance mutuelle » est de plus en plus forte. Ça semble collaboratif, non? Mais pour les travailleuses et les travailleurs ainsi que pour le public, ce système peut devenir un cheval de Troie.

Voici le problème : la reconnaissance mutuelle revient trop souvent à reconnaître le plus petit dénominateur commun. Quand une province fait des concessions sur la santé et la sécurité, et qu’une autre est forcée d’accepter ces normes au nom de « l’efficacité commerciale », nous ne bâtissons pas un Canada plus fort - nous faisons la course au moins-disant. Les travailleuses et les travailleurs en paient le prix, non pas par des formalités administratives, mais par des salaires plus bas, des protections de sécurité plus faibles et des droits moins étendus.

Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au pays, prévient à juste titre que l’abaissement des barrières commerciales ne doit pas se traduire par un abaissement des normes. Si nous devons être en harmonie, il faudra viser haut ou simplement laisser tomber. Notre syndicat encourage les discussions sur l’harmonisation des normes, mais uniquement si l’objectif est de renforcer l’économie du Canada et les emplois de qualité.

Prenons l’exemple de la mobilité de la main-d’œuvre. En théorie, faciliter la mobilité des travailleuses et des travailleurs entre provinces est une bonne idée, particulièrement dans les régions qui connaissent une pénurie de main-d’œuvre. Mais, trop souvent, les entreprises et les gouvernements utilisent l’incitation à la mobilité comme une excuse pour diluer les qualifications au nom de l’« efficacité ». Plutôt que de remédier aux pénuries en investissant dans la formation, la solution consiste à abaisser la barre. On ne parle donc pas de mobilité, mais d’un raccourci qui met en péril la sécurité des travailleuses et des travailleurs ainsi que celle du public. 

Pour les marchandises, cela implique d’investir dans les infrastructures : des lignes ferroviaires qui ne font pas de détours par les États-Unis, des wagons-citernes plus sûrs comme le TC-117 et des plateformes multimodales reliant le fret maritime, ferroviaire, routier et aérien : Il faut notamment améliorer les liaisons avec les territoires et à l'intérieur de ceux-ci, où l’expansion de l’exploitation minière et le soutien aux communautés isolées seront au cœur des investissements futurs dans les infrastructures.

Et tant que nous y sommes, donnons aussi la priorité aux transports publics de passagers. Imaginez un Canada où prendre le train de Halifax à Winnipeg est aussi réalisable que de prendre l’avion. Où les Canadiens disposent d’options plus abordables et plus durables pour rendre visite à leurs amis et à leur famille, que ce soit par voie terrestre ou aérienne. Ce n’est pas seulement bon pour les personnes, c’est bon pour les entreprises, l’environnement et les liaisons nationales. 

Le Canada s’est construit sur des connexions est-ouest. Nos chemins de fer ne se sont jamais contentés de faire circuler des trains, ils ont permis de construire un pays. Quelque part en chemin, nous avons commencé à regarder vers le sud. Si le commerce avec les États-Unis est toujours indispensable, il n’y a jamais eu de meilleur moment pour se tourner vers l’intérieur.

Développer notre commerce intérieur signifie construire des ponts, au sens propre comme au sens figuré. Cela veut dire qu’il faut reconnaître que la réglementation est loin d’être l’ennemi - c’est la négligence qui l’est. Cela veut également dire qu’il faut reconnaître que des normes de travail strictes, des infrastructures sûres et des investissements publics ne sont pas des coûts, mais des outils pour bâtir une nation.

Développons notre commerce interprovincial, mais pas au détriment des droits des travailleuses et des travailleurs. Visons davantage de commerce, et non moins de protection.