Privatisation: risque public, profit privé.

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A Fair Reset: Privatization: Public Risk, Private Profit.
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Par Jerry Earle, président du NAPE

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Le plan de relance économique de Moya Greene, également connu sous le nom de rapport Greene, recommande au gouvernement de vendre des actifs et de privatiser des services afin d'assainir les comptes de la province, mais des années d'expérience à travers le pays montrent que la privatisation aura l'effet contraire.

Terre-Neuve-et-Labrador est une province complexe. Nous sommes confrontés à des défis importants au cours des prochaines années. Nos services publics doivent être dotés de ressources adéquates pour répondre aux besoins de la population de la province, pour stimuler notre économie et prendre soin de nos gens.

Le rapport Greene recommande de privatiser plusieurs services publics tels que la Newfoundland Liquor Corporation (société des alcools) et le Motor Vehicle Registration (immatriculation des automobiles), entre autres (directement et indirectement) mais, comme le dit le dicton : une hache n’est pas un bon outil pour se sortir d'un trou.

Le secteur public stimule la croissance économique et crée de bons emplois. Les dépenses publiques ont un effet multiplicateur, créant des emplois ainsi que les infrastructures et le soutien nécessaires au bon fonctionnement de l'économie. Les employés du secteur public dépensent leur argent dans leur communauté d'origine, ce qui, à son tour, soutient le secteur privé. Lorsque les services sont privatisés, c'est le contraire qui se produit : les bénéfices sont réalisés par des sociétés et des actionnaires dans d'autres juridictions, et les avantages sont dépensés ailleurs.

Ainsi, bien que nous devions être conscients du grand livre de la province, nous ne devons pas être myopes au point de causer des dommages à long terme et durables à notre province – économiquement et socialement – par des mesures d'austérité paralysantes. Le but des services publics est de répondre aux besoins humains, aux besoins de la population de notre province. Pas à des résultats financiers. Pas à des marges de profit.

Sous le mince vernis de mots à la mode comme collaboration, innovation, efficacité et modernisation, le rapport Greene présente un programme très clair de réduction et de privatisation des services publics.

Cela ne devrait pas nous surprendre, étant donné les antécédents de Moya Greene dans ce domaine. Moya Greene a supervisé la privatisation de CN Rail. Elle a été PDG de Postes Canada à une époque de compressions et de relations acrimonieuses avec le Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes (STTP). Elle est une ancienne gestionnaire des partenariats public-privé (PPP) chez TD Securities. Moya Greene a pris la tête de Royal Mail en Grande-Bretagne en 2013 et, au cours des cinq années suivantes, elle a touché annuellement plus de 3,2 millions de dollars – un salaire payé par le public. Pendant la même période, 12 000 emplois ont été supprimés, et la Royal Mail nouvellement privatisée a versé près d'un milliard de dollars à de riches actionnaires. Aujourd'hui, la Royal Mail perd 1 million de livres sterling par jour. Tous les jours.

Au cours des dernières décennies, les gouvernements du monde entier se sont lancés dans la vente d'infrastructures et de services publics à des compagnies privées [1]. La théorie qui sous-tend ces décisions politiques est que toute entité fournissant des services au grand public fonctionnera plus efficacement dans un environnement commercial sous l'effet de la concurrence du marché. La recherche montre clairement que cette théorie est fausse.

La vente proposée d'importants biens publics et d'infrastructures à des sociétés privées à but lucratif ou à des partenaires financiers entraînera la perte de milliards de dollars de revenus pour la population de la province. Les profits réalisés sur le dos de la population de la province risquent de quitter les côtes de notre province, siphonnés par de grandes compagnies multinationales, pour ne plus jamais être revus.

De plus, il a été démontré, partout au Canada et dans le monde, que la privatisation entraîne des coûts plus élevés, une prestation de services de moindre qualité, moins de transparence et de moins bons résultats.

Comme les vérificateurs généraux des provinces canadiennes l'ont fait remarquer à maintes reprises, rien ne prouve que la privatisation permette aux gouvernements d'économiser de l'argent ou d'être plus efficaces.[4]

Des rapports ont souligné qu'au lieu de transférer le risque au secteur privé – l'une des principales justifications de la privatisation – les gouvernements provinciaux finissent généralement par assumer tous les risques : ils privatisent les profits tout en laissant le gouvernement gérer les risques.

Examinons quelques-uns des nombreux exemples.

Déneigement

Le vérificateur général de l'Ontario affirme que les routes sont moins sécuritaires depuis la privatisation – il faut deux fois plus de temps pour déneiger les routes et on utilise beaucoup moins de sel et de sable. Les enquêtes révèlent des centaines de lacunes.

Soins de longue durée

La recherche nous montre que les niveaux de dotation en personnel et les heures de soins sont plus élevés dans les établissements publics de soins de longue durée que dans les établissements privés. Les établissements publics obtiennent de meilleurs résultats que les établissements privés pour une série de mesures de la qualité et des résultats, notamment les taux d'escarres, de perte de poids, de nutrition et d'hydratation, et le recours à la contention. La surmédication est également un problème plus important dans les établissements privés.

En dehors de la recherche, nous n'avons qu'à regarder dans le reste du Canada pour voir les conséquences dévastatrices dans le monde réel de la privatisation des soins de longue durée pendant la pandémie de COVID, où les établissements privés ont été les plus durement touchés, avec des conséquences tragiques.

Alcool

Le rapport Greene lui-même déclare :

« La NLC est une entité rentable et a toujours versé à la province un dividende considérable. Au cours des 10 dernières années, les dividendes ont totalisé 1,6 milliard de dollars. »

La NLC est un générateur de revenus avéré, année après année. Les fonds qu'elle verse dans les coffres du gouvernement sont utilisés pour les écoles, les routes et les hôpitaux.

En comparaison, par exemple, l'Alberta a perdu plus de 1,5 milliard de dollars en recettes fiscales depuis la privatisation de son système de ventes d’alcool, malgré l'augmentation de la consommation d'alcool par habitant. Une étude a révélé que les prix des boissons alcoolisées étaient plus élevés, en moyenne, dans les deux provinces où le système est privatisé – la Colombie-Britannique et l'Alberta. Outre l'impact économique, la recherche montre que la privatisation des commerces de vente d'alcool a de profondes conséquences sociales et de santé publique – conduite en état d'ivresse, violence conjugale, problèmes cardiaques, hépatiques et rénaux, pour n'en citer que quelques-uns.

Enregistrement foncier

L'Ontario, l'Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba ont privatisé une partie ou la totalité des registres des véhicules à moteur ou des terres. Bien que l'Alberta et la Saskatchewan aient reçu de l'argent au départ pour la privatisation de leurs registres fonciers, elles perdent maintenant continuellement des revenus chaque année en raison de cette privatisation.

Immatriculation des véhicules à moteur

En 2019-20, TN a reçu 91 millions de dollars de recettes provenant des permis de conduire et des véhicules et 70 millions de dollars provenant de l'enregistrement des actes, des compagnies et des titres. Ces recettes ont plus que payé le service, tout en garantissant des services de qualité et l'efficacité. La vente de ces services à des opérateurs privés ne fera que signifier la perte de recettes publiques, de responsabilité et de qualité de service – des pertes dont la province n'a pas besoin et qu'elle ne veut pas.

Municipalités

Le Centre for Civic Governance du Columbia Institute a publié un rapport intitulé « Back in House: Why Local Governments are Bringing Services Home », qui signale que partout au Canada et dans le monde, les services publics qui étaient autrefois sous-traités sont maintenant de retour dans les municipalités, principalement parce que l'utilisation de services internes permet d'économiser de l'argent et d'offrir une meilleure prestation de services.

Récemment, le gouvernement de la Colombie-Britannique a annoncé qu’il allait rapatrier quelque 4 000 travailleuses et travailleurs de la santé, la privatisation des services fournis ayant entraîné une baisse de la qualité et des salaires.

« Le rapatriement des contrats d'entretien ménager et de services alimentaires est bon pour les patients, pour les travailleuses et travailleurs, pour l'équipe soignante et pour le recrutement de futurs travailleurs et travailleuses de la santé. Il traite avec équité et dignité ceux qui font le travail essentiel et salvateur de garder nos hôpitaux et nos installations propres et d'assurer la nutrition de nos patients. » - Adrian Dix, ministre de la Santé de la province

En bref, la privatisation coûte plus cher et fournit moins de services. Lorsque vous mettez le profit dans l'équation, quelque chose doit céder – cela signifie moins de salaire, une qualité de service inférieure, des frais d'utilisation, une sécurité compromise, une inégalité accrue, des coins coupés et des erreurs commises.

Quelle que soit la mesure objective, la privatisation des services publics est une politique vouée à l'échec, et pourtant elle continue de faire parler d'elle. Pourquoi? Parce qu'il y a de l'argent à gagner.

Nous devons nous méfier des promesses faites, des analyses de coûts utilisées et des impacts réels de la privatisation sur la qualité des services fournis.

Si la province veut aller de l'avant et assurer sa reprise d'une manière juste et durable, le gouvernement aura besoin d'un nouveau plan pour la nouvelle ère – et non d'un plan qui suit la même voie condamnée des coupes et de la privatisation que nous avons vue ailleurs. Un plan qui fera réellement croître l'économie. Un plan qui favorisera une reprise équitable. Un plan qui assurera aux travailleuses et travailleurs de notre province des services publics solides, de bons emplois et un avenir durable sur le plan environnemental.

 

 


[1] Hermann, Christoph et Jörg Flecker.  eds. 2012. Privatization of Public Services. Impacts for Employment, Working Conditions, and Service Quality in Europe. New York, NY: Routledge; Dexter Whitfield. 2019. Public Alternatives to the Privatisation of Life. Nottingham, UK: Spokesman Books.

[2] Peters, John. 2021.  « Neoliberal convergence in North America and Western Europe: Fiscal austerity, privatization, and public sector reform. » Review of International Political Economy 19, no. 2: 208-235.

[3] Mercille, Julien et Enda Murphy. « What is privatization? A political economy framework. » Environment and Planning A 49, no. 5 (2017): 1040-1059.

[4] Gouvernement de la Colombie-Britannique. Bureau du vérificateur général. États financiers sommaires de 2014 et constatations du vérificateur général. Novembre 2014. http://www.bcauditor.com/sites/default/files/publications/2014/special/report/AGBC%20ROPA-FINAL.pdf

Rapport du vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2010-2011: Rapport spécial portant sur la vigie relative aux projets de modernisation des centres hospitaliers universitaires de Montréal (faits saillants) https://www.vgq.qc.ca/fr/publications/112;  Vérificatrice générale de l’Ontario. Rapport annuel 2008. http://www.auditor.on.ca/en/reports_en/en08/ar_en08.pdf

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