Lettre de Lana Payne au premier ministre Ford et au ministre Piccini sur le conflit de travail à Del Monte et les agences de placement temporaire

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L’honorable Doug Ford

Premier ministre de l’Ontario

 

L’honorable David Piccini

Ministre du Travail, de l’Immigration, de la Formation et du Développement des compétences de l’Ontario

 

Objet : Conflit de travail à Del Monte et agences de placement temporaire
 

Monsieur le Premier Ministre Ford, Monsieur le Ministre Piccini,

 

Je vous écris aujourd’hui au sujet de l’issue du récent conflit de travail à l’usine Del Monte d’Oshawa, qui soulève d’importantes préoccupations pour notre syndicat étant donné le recours flagrant à des agences de placement temporaire pour exploiter et mettre à pied des travailleuses et travailleurs très précaires et peu rémunérés. Au nom de nos 315 000 membres à la grandeur du Canada, dont plus de 160 000 en Ontario, je suis très préoccupée par la façon dont ces agences de placement temporaire sont en mesure de contourner les lois de l’Ontario en matière d’emploi. Nous sommes impatients de travailler avec le gouvernement pour résoudre ces enjeux.

Le 12 janvier dernier, 71 membres de la section locale 222 d’Unifor ont entamé une grève à l’usine de transformation et de distribution d’aliments Del Monte. Del Monte fait appel à l’agence de placement temporaire Premier pour embaucher et gérer les travailleuses et travailleurs de son usine. Les droits de négociation d’Unifor s’appliquent à l’agence Premier.

Ces travailleuses et travailleurs ont fait un travail éreintant à des températures proches du point de congélation, tout en étant invités à travailler de longues heures selon des horaires souvent irréguliers. Bon nombre d’entre eux sont de nouveaux arrivants et des migrants.

Pour les remercier, l’agence de placement temporaire a proposé à près de la moitié des travailleuses et travailleurs de cette unité de négociation une hausse salariale « à prendre ou à laisser » de seulement 0,05 $ l’heure au cours de la première année de la convention collective.

L’employeur a cru que ces travailleuses et travailleurs se réjouiraient d’avoir reçu la hausse du salaire minimum légal en Ontario de l’an dernier. Au total, ce sont 33 membres de la section locale 222 de Del Monte qui se sont fait dire qu’ils ne valaient pas plus de 0,05 $ de plus que le salaire minimum, qui est de 16,60 $ l’heure, et qu’ils ne bénéficieraient d’aucun avantage social ni de congé de maladie.

Pour parvenir à une entente, les 71 membres d’Unifor à Del Monte ont abandonné toutes leurs demandes non monétaires, soit 3 jours de congé de maladie payé, 3 jours de congé de deuil et un régime d’avantages sociaux de base. Ils ont également abaissé leur demande salariale de 20 à 18 $ l’heure. Malgré tout, l’agence Premier est demeurée impassible, contraignant les membres à déclencher une grève le 12 janvier.

En retour Del Monte a décidé, le 2 février, d’annuler son entente avec l’agence de placement temporaire et de fermer son usine. Del Monte a donc licencié les 71 travailleuses et travailleurs, sans préavis ni indemnité de départ.

Dire qu’il s’agit d’un scandale serait un euphémisme. Del Monte réalise un chiffre d’affaires annuel de plus de 4 milliards de dollars américains et devrait enregistrer des bénéfices de près de 400 millions de dollars pour 2023. Tout au long de la chaîne d’approvisionnement, les entreprises ont connu une année faste, engrangeant des bénéfices records tout en augmentant les prix sous le couvert de l’inflation.

Il est inacceptable que Del Monte puisse avoir recours à une tierce partie pour se dissocier du processus de négociation et se laver les mains de ses obligations envers ses travailleuses et travailleurs, mettant en évidence le rôle pernicieux que jouent les agences de placement temporaire dans la création d’une classe marginale de travailleuses et travailleurs précaires en Ontario, qui sont exploités et contraints de survivre en gagnant des salaires de misère.

Au nom d’Unifor, j’attends avec impatience que le gouvernement de l’Ontario prenne des mesures pour s’attaquer aux causes fondamentales de ce conflit et éliminer les failles actuelles qui sont manipulées par les agences de placement temporaire. Les 71 membres de la section locale 222 qui ont travaillé à l’usine Del Monte étaient en fait des employés permanents, dont bon nombre y travaillaient depuis plus de 5 ans. Les entreprises ne devraient pas être autorisées à brouiller la relation de travail et le processus de négociation collective en ayant recours à des tiers intermédiaires pour doter des emplois permanents.

En outre, l’ensemble des travailleuses et travailleurs se sont vu refuser l’indemnité de départ et au moins 23 membres qui travaillaient à l’usine depuis plus de 5 ans se sont vu refuser cette même indemnité qui leur était due, Del Monte ayant invoqué l’impact économique de la grève pour justifier la fermeture de l’usine. Je reconnais les efforts du présent gouvernement pour résoudre divers enjeux concernant les agences de placement temporaire en mettant en place un régime de licences pour ces agences et en augmentant les sanctions pour celles qui enfreignent la loi, mais le succès ou l’échec de ces initiatives doit être mesuré par leur impact sur les travailleuses et travailleurs pris dans le système des agences de placement temporaire.

Les récents changements apportés à la Loi sur les normes d’emploi ne s’attaquent pas aux causes fondamentales du récent conflit et n’empêchent pas les membres de la section locale 222 de s’embourber dans des salaires de misère et des conditions de travail inférieures aux normes par le biais d’un système d’agences de placement qui les exploite.

Nous demandons que le gouvernement de l’Ontario mette en œuvre des mesures pour empêcher les travailleuses et travailleurs de s’embourber dans les agences de placement temporaire alors qu’ils sont en fait des employés à temps plein dans des installations comme l’usine Del Monte. Cette façon de faire servira toujours à affaiblir les droits de négociation collective du personnel des agences de placement temporaire puisque les entreprises peuvent continuer de menacer d’annuler les contrats de ces agences lorsque les travailleuses et travailleurs se syndiquent, présentent des revendications ou entament une grève.

Aussi, la Loi sur les normes d’emploi n’a pas protégé le droit des membres de la section locale 222 à un préavis de licenciement et à une indemnité de départ en raison des exemptions réglementaires actuelles relatives aux grèves et aux lock-out.

Unifor demande au gouvernement de révoquer les dispositions suivantes :

  • paragraphe 8, article 2(1) du Règlement 288/01, qui exclut des exigences relatives au préavis de licenciement et de l’indemnité de départ « les employés qui sont licenciés pendant une grève ou un lock-out survenu à leur lieu de travail ou par suite de l’un ou de l’autre »;

  • paragraphe 1, article 9(1) du Règlement 288/01, qui exclut des exigences relatives à l’indemnité de départ « les employés dont la cessation d’emploi résulte de l’interruption permanente de tout ou partie de l’entreprise de l’employeur si celui-ci démontre que l’interruption a été causée par les répercussions économiques d’une grève ».

Unifor reste à votre disposition pour en discuter plus amplement.

Cordialement,


Lana Payne

Présidente nationale d’Unifor