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Le très honorable Justin Trudeau, C.P., député
Premier ministre du Canada
Objet : Au sujet de la réponse du Canada à
l’imposition de tarifs douaniers par les États-Unis
Monsieur le Premier Ministre
Comme le savent toutes les Canadiennes et tous les Canadiens, l’investiture du président élu des États-Unis Donald Trump qui aura lieu le 20 janvier prochain marque le début d’une nouvelle ère dans les relations entre le Canada et les États-Unis. Le président élu a mis de côté la diplomatie et le décorum dans ses commentaires sur notre pays lors de ses récentes allocutions publiques en insultant nos dirigeantes et dirigeants élus, en remettant en question notre souveraineté et en menaçant notre économie. Jamais dans l’histoire moderne le Canada n’a fait face à de tels affronts de la part de son plus important partenaire commercial et plus proche allié.
Menacer les moyens de subsistance des travailleuses et travailleurs canadiens, notamment de dizaines de milliers de membres d’Unifor œuvrant dans des secteurs qui dépendent des échanges commerciaux, représente un dangereux précédent. Ce genre de comportements sont intolérables.
La menace posée par Donald Trump est de nature existentielle et la plupart des Canadiennes et des Canadiens le comprennent très bien. Nous nous attendons à ce qu’il signe dès son entrée en fonction une série de décrets présidentiels qui pourraient perturber des échanges commerciaux interfrontaliers d’une valeur de plusieurs milliards de dollars et mettre en danger des millions d’emplois ici même au pays, y compris dans les industries de l’automobile, de l’énergie, de la foresterie et des métaux, mais aussi de façon plus générale dans l’ensemble des secteurs de la fabrication et de la transformation.
Tout tarif douanier imposé par l’administration Trump sur les biens canadiens sous le couvert de la sécurité nationale ou économique ou de tout autre prétexte doit être reconnu comme étant illégal et constituant une violation des traités de longue date sur les tarifs douaniers entre nos deux pays. Si le passé est garant de l’avenir en ce qui concerne les mesures prises par l’administration Trump, de telles accusations risquent d’avoir très peu d’effet sur les décisions prises par la Maison-Blanche. Toutefois, en reconnaissant ces mesures comme étant non provoquées et injustifiées, le Canada doit tenir compte d’une grande variété de réponses possibles aux sanctions américaines afin d’adopter une approche tout aussi stratégique, affirmée et tranchante.
Alors que les membres du Comité du Cabinet chargé des relations canado-américaines continuent de travailler avec leurs homologues américains et que votre bureau évalue les mesures potentielles à adopter en réponse aux tarifs douaniers américains illégaux (en collaboration avec les premiers ministres dans le cadre du Conseil de la fédération), je vous soumets ces propositions anticipées de mesures qui visent à défendre nos intérêts économiques et à protéger les travailleuses et travailleurs canadiens touchés par ce conflit en cours.
1. Représailles au moyen de tarifs douaniers ciblés et stratégiques
Si des tarifs douaniers sont imposés par les États-Unis sur les exportations canadiennes, le gouvernement fédéral doit se préparer à son tour à mettre immédiatement en place des tarifs douaniers sur les importations américaines en guise de représailles.
Les autorités canadiennes doivent tenir compte de la valeur nominale des tarifs douaniers afin de déterminer le caractère réciproque de la réponse plutôt que de mettre en place des tarifs douaniers équivalents pour chaque type de biens. Cette approche permettra au Canada de bénéficier d’une plus grande souplesse pour l’imposition de tarifs douaniers sur des biens ciblés à des niveaux jugés adéquats.
2. Meilleure gestion des ressources stratégiques nationales par le biais d’une politique industrielle
Le président élu Donald Trump affirme à tort que les États-Unis subventionnent l’économie canadienne en raison de leur déficit commercial dans les échanges de biens. Ce constat découle d’une mauvaise interprétation de ce que mesure véritablement le déficit commercial, mais ne tient également pas compte du fait que les échanges commerciaux des États-Unis avec le Canada sont beaucoup plus équilibrés que celles qu’entretient le géant américain avec ses autres grands partenaires commerciaux. Dans ses affirmations, le président élu évite également de mentionner que les exportations canadiennes de pétrole et de gaz représentent la totalité du surplus commercial du Canada selon un rapport publié en 2025 par la Banque nationale du Canada. Si ce n’était de la demande constante des États-Unis pour les sources canadiennes d’énergie brute, ce serait le Canada qui enregistrerait un déficit commercial et les États-Unis seraient en situation de surplus.
Unifor réclame depuis longtemps que les gouvernements fédéral et provinciaux exercent une plus grande discrétion publique sur l’exportation des ressources naturelles afin de rehausser la position du pays dans la chaîne de valeur.
Le gouvernement fédéral, en consultation avec les provinces, doit chercher des façons gérer le flux sortant de biens comme les métaux de terres rares, les métaux essentiels, le bois d’œuvre, le pétrole et le gaz, l’aluminium et la potasse. En renforçant notre capacité intérieure de traitement, de raffinage et de transformation de ces ressources afin de produire des biens à plus grande valeur, nous serons en mesure de rebâtir notre capacité de production, tout en créant de bons emplois, en diversifiant les exportations et en réduisant notre dépendance envers les nations étrangères comme les États-Unis.
3. Mettre en place des politiques d’approvisionnement réciproque pour les fournisseurs américains; tirer profit des achats publics pour favoriser le développement industriel
L’accès aux marchés publics du gouvernement fédéral et des États américains est fortement restreint. Les règles protectionnistes « Buy America » et « Buy American » empêchent effectivement les fournisseurs canadiens de répondre à des appels d’offres pour des contrats. Au fil du temps, ces règles sont devenues de plus en plus coûteuses en entraînant directement la perte d’emplois au Canada, notamment parmi les membres d’Unifor. En revanche, le Canada a gardé son marché majoritairement ouvert et libre en matière d’approvisionnement pour les fournisseurs américains.
Le gouvernement fédéral a ciblé cette disparité en 2023 et, même s’il s’est engagé à mettre en œuvre des mesures de réciprocité à « court terme », aucun geste concret n’a encore été posé en ce sens. Les fournisseurs américains doivent être assujettis aux mêmes conditions d’approvisionnement au Canada que celles imposées dans leur propre marché. Les autorités responsables de l’approvisionnement devraient favoriser les fournisseurs canadiens aux dépens des fournisseurs américains lorsque tous les autres facteurs sont équivalents.
L’approvisionnement public pour tous les ordres de gouvernement au pays génère une activité économique considérable dont la valeur totale s’élève à 300 milliards de dollars par année selon l’Initiative canadienne d’approvisionnement collaboratif. Il s’agit d’une grande occasion à saisir pour réinvestir de façon stratégique dans l’économie intérieure, appuyer les stratégies industrielles de secteurs en particulier qui favorisent l’innovation canadienne et développer les habiletés ainsi que les capacités de production nécessaires.
4. Mesures d’urgence pour atténuer les risques de licenciement et maintenir les activités
Les effets des tarifs douaniers sur les importations américaines seront variables pour les entreprises canadiennes en fonction de plusieurs facteurs, y compris les profils des clients, la dépendance aux exportations américaines et les positions financières. L’un des principaux objectifs du gouvernement dans le cadre de ce conflit en cours devrait être le maintien des activités canadiennes dans la mesure du possible et l’atténuation des risques de licenciement causés par les fermetures de lieux de travail ou les ralentissements de la production.
Les entreprises qui dépendent des exportations en mesure de prouver leurs difficultés financières devraient pouvoir avoir accès à des garanties de prêts à taux préférentiels afin de poursuivre leurs activités commerciales. De plus, le gouvernement fédéral devrait évaluer la possibilité de mettre en place un programme similaire à la subvention salariale d'urgence du Canada (SSUC) afin de garder les Canadiennes et les Canadiens au travail, également accessible aux entreprises dans les secteurs et les communautés qui dépendent des échanges commerciaux. Un programme de ce genre fournirait des subventions salariales temporaires et permettrait aux employées et employés de continuer à toucher un salaire. Les revenus provenant des tarifs douaniers imposés en représailles pourraient en partie servir à financer ce programme ainsi que d’autres mesures de soutien.
5. Mesures de soutien améliorées pour les travailleuses et travailleurs
Le Canada doit se préparer en vue d’une hausse potentielle du taux de chômage et prévoir des mesures de soutien du revenu additionnelles pour les travailleuses et travailleurs œuvrant dans des industries sensibles aux échanges commerciaux ainsi que leurs communautés, comme les mesures mises en place au cours de la pandémie de la COVID-19. Ces mesures de soutien doivent comprendre un meilleur accès aux prestations d’assurance-emploi ou d’autres programmes spéciaux d’aide au revenu, avec des règles d’admissibilité qui les rend plus accessibles et un meilleur soutien au revenu afin de compenser la perte d’une plus grande part de revenu, en particulier pour les travailleuses et travailleurs de milieux de travail offrant des salaires élevés qui sont sensibles aux échanges commerciaux. De plus, la période de versement des prestations doit être prolongée, en permettant aux travailleuses et travailleurs de gagner un revenu complémentaire ou de suivre une formation tout en touchant les prestations.
Le gouvernement fédéral doit déployer des ressources pour atténuer les pertes d’emploi causées par les tarifs douaniers américains, notamment en mettant en place un programme de travail partagé élargi, en offrant une subvention de transition pour les départs à la retraite anticipée et en fournissant des suppléments du revenu pour la formation, entre autres.
Le Canada doit agir de façon décisive pour protéger son économie et ses travailleuses et travailleurs contre l’adversité découlant de l’entrée en fonction prochaine de l’administration Trump. Les mesures proposées dans cette lettre pour répondre à la menace, notamment les tarifs douaniers stratégiques en représailles, la politique industrielle visant à gérer et à accroître la valeur des ressources, les politiques d’approvisionnement réciproques et les solides mesures de soutien au revenu pour les travailleuses et travailleurs touchés, sont essentielles pour mettre à l’abri les intérêts canadiens et affirmer notre souveraineté économique.
En adoptant des stratégies industrielles fortes et visionnaires, le Canada pourra se protéger contre les menaces immédiates, mais aussi bâtir une économie plus résiliente, diversifiée et autonome pour l’avenir. Nous recommandons fortement à votre gouvernement d’agir de façon audacieuse et décisive dans ce moment crucial afin de protéger l’économie canadienne ainsi que l’ensemble de sa main-d’œuvre.
Cordialement,
Lana Payne
Présidente nationale