La meilleure occasion pour le Canada d’interdire les briseurs de grève

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Four on strike signs being help up in the night sky
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Lana Payne

Les conflits du travail sont des affaires compliquées.

Je suis bien placée pour le savoir.

Au cours de l’année qui vient de s’écouler, les membres d’Unifor ont été confrontés à un plus grand nombre de grèves et de lock-out que jamais au cours des dix années d’existence du syndicat.

La décision de faire grève est difficile à prendre pour les travailleuses et travailleurs. Elle des répercussions affectives et financières sur les gens et les familles. Il s’agit d’une mesure de dernier recours, et ce, pour de bonnes raisons. C’est pourquoi moins de 2 % des négociations de conventions collectives avec les syndicats débouchent sur une grève.  

Ce mois-ci, le gouvernement fédéral, avec l’appui crucial du NPD, a déposé le projet de loi C-58.

Il s’agit d’une nouvelle loi visant à protéger les travailleuses et travailleurs lors d’un conflit de travail. Le projet de loi interdit expressément aux employeurs du secteur fédéral d’avoir recours à des travailleuses et travailleurs de remplacement pour faire le travail de celles et ceux qui sont sur les piquets de grève. Le projet de loi C-58 vient combler une faille majeure de notre législation du travail depuis des décennies. Une faille qui a largement profité aux employeurs et à laquelle aucun gouvernement précédent n’a eu le courage de s’attaquer.  

Grâce à ces lois rétrogrades, les employeurs peuvent avoir recours, comme ils l’ont souvent fait par le passé, à des travailleuses et travailleurs de remplacement, ou « briseurs de grève », pour continuer à faire fonctionner leur entreprise en dépit d’une grève ou d’un lock-out. Les chefs d’entreprise peuvent embaucher des briseurs de grève à leur guise, sans s’exposer à des représailles.

Les chiffres du Programme du travail fédéral montreraient que, parmi tous les conflits de travail qui ont eu lieu entre 2011 et 2022, les employeurs ont embauché des briseurs de grève dans 40 % des cas.

C’est un chiffre embarrassant, surtout dans un pays comme le Canada, qui revendique des normes de travail élevées et le respect des libertés et droits fondamentaux.

Le plus étonnant, c’est que ce chiffre sous-estime l’ampleur du problème. Par exemple, il ne tient pas compte du nombre de fois où les employeurs ont brandi la menace de briseurs de grève pour s’octroyer un avantage sur les travailleuses et travailleurs dans les négociations.  Cette tactique de longue date a conduit des travailleuses et travailleurs à abandonner leurs plans de grève et à conclure des ententes avant même qu’un conflit ne survienne. Les membres d’Unifor à Bell Canada en ont été les premiers témoins en 2022.

Nul besoin d’être une experte ou un expert en droit du travail pour comprendre la logique tordue de ces lois du travail intrinsèquement unilatérales.

Elles sont conçues pour réduire le pouvoir des travailleuses et travailleurs et fausser le processus de négociation collective en faveur des entreprises. Si les employeurs peuvent mener à bien leurs affaires comme d’habitude, indépendamment d’une grève, quel est l’avantage pour les travailleuses et travailleurs? Les membres d’Unifor travaillant dans des services essentiels tels que les soins de santé, qui se voient refuser le droit de grève, ressentent cette pression tous les jours.

Il est bien établi que les briseurs de grève contribuent à des environnements de travail toxiques et à des incidents violents sur les piquets de grève. Unifor et les syndicats qui l’ont précédé en ont fait l’expérience directe, notamment en 2002 lors d’un conflit de travail à l’usine de camions Navistar International où le recours à des briseurs de grève a contribué à envenimer la situation. Dans le cadre d’un incident très médiatisé, un gardien de sécurité travaillant pour une entreprise tierce embauchée par l’employeur a foncé avec sa fourgonnette sur un groupe composé de grévistes et de gens venus les appuyer sur les lignes de piquetage, blessant ainsi trois personnes, dont l’une gravement. 

Pour s’opposer au projet de loi C-58, les groupes d’employeurs font appel à toutes sortes de recherches contre-intuitives, suggérant que l’emploi de briseurs de grève est bon pour l’économie.

Ce que je sais, c’est que les trois plus longs conflits de travail d’Unifor entre 2013 et 2020 ont tous impliqué le recours à des briseurs de grève. En fait, tous les conflits d’Unifor impliquant des briseurs de grève ont duré en moyenne six fois plus longtemps que ceux sans briseurs de grève. En termes simples, les briseurs de grève nuisent aux travailleuses et travailleurs et à l’économie.

Le projet de loi C-58 ne corrige pas toutes les lacunes fondamentales du système canadien du travail. Il comporte également des lacunes, notamment une période de mise en œuvre inutilement longue de 18 mois. Le projet de loi ne s’applique même pas aux secteurs sous réglementation provinciale, où travaillent la plupart des Canadiennes et Canadiens.

Néanmoins, il constitue un changement de cap majeur pour les droits des travailleuses et travailleurs au Canada et bénéficie d’un fort soutien au sein de l’opinion publique.

Les lois anti-briseurs de grève ont toujours été soutenues par quasiment tous les partis politiques fédéraux, y compris les libéraux, le NPD, les Verts et le Bloc québécois. Bien entendu, les conservateurs constituent une exception notable. En effet, ils ont systématiquement voté contre les travailleuses et travailleurs sur cette question. Sous la direction du Parti conservateur de Pierre Poilievre, il ne semble pas que cette position soit appelée à changer.

Nous savons tous que le droit à la négociation collective, y compris le droit de grève, est un élément fondamental de la démocratie canadienne.

C’est un droit dont sont privés beaucoup trop de travailleuses et travailleurs dans le monde.

Il s’agit du plus grand pouvoir dont disposent les travailleuses et travailleurs pour obtenir des salaires équitables, des avantages sociaux solides et des normes de travail plus élevées.  

Une fois ces normes plus élevées obtenues dans des milieux de travail syndiqués, elles ont tendance à s’étendre à d’autres milieux de travail, ce qui profite à tout le monde.

Les conflits du travail sont des affaires compliquées. Je le sais. Mais la valeur des syndicats n’a rien de compliqué.