La Banque du Canada vient-elle de faire franchir au pays le point de basculement?

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La façade du bâtiment de la Banque du Canada
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Publié à l’origine dans le Toronto Star

C’est la nouvelle que les Canadiennes et Canadiens redoutaient. Lorsque la Banque du Canada a porté son taux d’intérêt à 5 %, les cœurs se sont serrés et l’anxiété a grimpé d’un cran pour les travailleuses et travailleurs et leurs familles.

Cette hausse se révélera désastreuse. Elle ne résoudra pas la crise de l’accessibilité financière et n’aura aucun effet sur l’inflation. Au contraire, elle continuera à faire grimper les coûts du logement et ne s’attaquera pas du tout aux causes de la hausse des prix des denrées alimentaires (hum, la recherche des profits). Mais elle causera des difficultés.

À eux seuls, l’alimentation et le logement ont été à l’origine des deux tiers de l’inflation subie par les consommatrices et consommateurs en mai. L’alimentation et le logement. Des éléments essentiels pour les Canadiennes et Canadiens.

Statistique Canada a récemment indiqué que les coûts des intérêts hypothécaires ont été le principal facteur d’inflation en juin. Comment le fait de relever les taux d’intérêt pour la dixième fois en une année et demie résout-il ce problème? Il ne le résout pas – il l’aggrave.

Une proportion de 25 % des propriétaires immobiliers au Canada détiennent un prêt hypothécaire à taux variable. Des milliers d’autres ont récemment renouvelé ou renouvelleront leur prêt hypothécaire au cours des prochaines années, ce qui se traduira par une augmentation considérable des paiements hypothécaires. De nombreux titulaires d’hypothèques sont des propriétaires qui louent leurs biens à des locataires. Ils profiteront de l’occasion pour augmenter les loyers afin de faire face aux coûts supplémentaires. Une fois de plus, les prix augmenteront encore davantage.

Les taux d’intérêt ne sont pas la solution aux coûts du logement et ils ne réduiront pas non plus l’inflation des denrées alimentaires. Alors pourquoi la Banque du Canada poursuit-elle sur cette voie?

La seule réponse est qu’elle s’appuie sur une vieille doctrine qui veut que la seule issue saine pour cette période inflationniste consiste à faire souffrir la classe des travailleuses et travailleurs par le ralentissement de la croissance de l’emploi et des salaires (ce qui finit par entraîner des pertes d’emploi et une récession) et par le chômage.

Malheureusement, cette doctrine fait totalement erreur. Aussi, sans correction de trajectoire, les travailleuses et travailleurs en paieront le prix.

Le but des hausses de taux d’intérêt est de ralentir la croissance économique. Qu’est-ce que cela signifie? Une hausse du chômage, un ralentissement de la croissance de l’emploi ou, dans le pire des cas, une récession qui entraîne la perte de nombreux emplois et laisse des cicatrices permanentes.

La Banque du Canada affirme que les causes sous-jacentes de la persistance de l’inflation sont le faible taux de chômage et la croissance « élevée » des salaires, le fait que les ménages ont trop d’économies (et les utilisent) et la croissance démographique (qui entraîne une augmentation de la demande de logements).

Au cours de la même conférence de presse, elle a déclaré que le résultat de ces pressions sous-jacentes est que les entreprises augmentent encore trop souvent leurs prix. Pourtant, la Banque refuse de s’attaquer au gros problème dont personne n’ose parler : la quête de profits des entreprises.

Sachez que j’ai des nouvelles pour les adeptes de la pensée dogmatique. À chaque fois qu’une entreprise augmente ses prix, elle prend une décision. Ainsi, bon nombre de ces décisions se sont traduites par une augmentation des marges bénéficiaires.

Depuis le début de la pandémie, la part des bénéfices dans le PIB s’élève en moyenne à 21 % et les marges bénéficiaires sont également en hausse. Dans le même temps, les travailleuses et travailleurs ont perdu du pouvoir d’achat et, après correction de l’inflation, les salaires n’ont tout simplement pas suivi.

Les crises créent des occasions, et nombreuses ont été les occasions qui auraient pu être saisies à l’issue des confinements et lors du retour à une vie plus normale. Dont l’occasion de construire un monde plus équitable et plus résilient. Au lieu de cela, les décideuses et décideurs politiques à tous les niveaux permettent aux entreprises d’échapper à toutes les contraintes grâce à leur propre opportunisme, en siphonnant davantage d’argent durement gagné par les travailleuses et travailleurs pour alimenter leurs propres comptes bancaires.

Maintenant, la Banque du Canada détourne cet argent durement gagné et rend la vie encore plus inabordable.

Si la Banque du Canada poursuit sur cette voie et que les gouvernements fédéral et provinciaux continuent d’éviter d’agir dans leurs propres domaines de responsabilité, le résultat final sera une plus grande inégalité de répartition des revenus et des richesses. Les marges bénéficiaires plus élevées deviendront la norme et bon nombre de travailleuses et travailleurs penseront qu’ils en demandent trop lorsqu’ils exigent un revenu qui leur permette de survivre, sans même parler de jouir d’une bonne situation économique. C’est une véritable plaisanterie.

Au début de ce cycle de taux, le public a été amené à croire que la Banque tentait de réaliser un atterrissage en douceur. Plus personne n’y croit aujourd’hui.

L’inflation est tombée à 3,4 % en mai. Le chômage est remonté à 5,4 %. Le taux de vacance des emplois diminue et la croissance des salaires ralentit. Le Canada n’a pas besoin d’une augmentation du chômage ou d’un ralentissement de la croissance des salaires pour résoudre le problème de l’inflation. Nous avons besoin de davantage de logements et ils doivent être abordables. Nous avons besoin de salaires décents et d’emplois sûrs à temps plein pour que les gens jouissent d’une bonne situation économique.

Il faut que les décideuses et décideurs politiques, à tous les niveaux, s’attaquent aux causes réelles de l’inflation excessive/persistante – la recherche des profits, la financiarisation, l’offre insuffisante et les goulets d’étranglement de la chaîne d’approvisionnement. Sans cela, notre situation empirera, quel que soit le niveau d’inflation.