Jerry Dias : une ère d’infinies possibilités pour les travailleuses et travailleurs indépendants

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A gig worker on his bike.
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Cette chronique a été initialement publiée dans le Toronto Star

Pour les plateformes collaboratives, les jours sont comptés. 

Personne - ni les gouvernements, ni Uber, et encore moins les syndicats - ne croit que l’économie des petits boulots pourra continuer à fonctionner dans un vide réglementaire. En Europe, les gouvernements passent à l’action.

Les plateformes collaboratives le savent. Le PDG d’Uber, Dara Khosrowshahi, a même reconnu que c’était réalisable. 

Pour les travailleuses et les travailleurs, la principale question n’est pas de savoir si une réforme aura lieu, mais à quoi elle ressemblera. Sera-t-elle audacieuse et transformatrice ou, à l’inverse, un modèle de régression des droits des travailleuses et des travailleurs ?

La réponse apportée par la mystérieuse entente de « représentation » conclue la semaine dernière entre Uber et l’UFCW, un syndicat américain de l’alimentation et des boissons, est déprimante. 

La volonté des plateformes collaboratives de dialoguer avec les syndicats est encourageante. L’augmentation du nombre de bons emplois dans l’économie du travail à la demande exigera un certain renforcement du pouvoir des travailleuses et des travailleurs. Le travail à la demande n’est pas près de disparaître, et sa structure unique nécessite une réflexion originale.

En l’absence de modèles créatifs et sectoriels de négociation collective, le travail indépendant ne s’améliorera guère et est destiné à refléter les normes minimales dont bénéficient tous les « employés » en vertu de la loi.  

C’est pourquoi Unifor avait initialement accepté l’offre de discussion des plateformes collaboratives - à l’instar de nombreux syndicats nord-américains - notamment avec Uber.

En effet, notre syndicat est fortement impliqué dans cette affaire, puisqu’il représente des dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs des secteurs du taxi, du transport et de la messagerie, ainsi que des centaines d’autres indépendants. Depuis l’arrivée d’Uber en 2012, nous nous sommes engagés à explorer les moyens de renforcer les normes, et non de les affaiblir.

Ces échanges étaient sensés et nous ont permis d’énoncer les principes fondamentaux qui doivent guider tout modèle syndical, à savoir le droit de vote, la transparence totale et le droit de négocier les conditions de travail. Ce fut l’occasion de faire preuve d’ambition et d’audace.  

Après de longs mois de dialogue, sans aucune proposition concrète, l’effort semblait vain.

Voilà pourquoi l’entente entre Uber et l’UFCW m’a intrigué, mais sans me surprendre. Uber voulait trouver la solution la moins ambitieuse et l’a finalement dénichée. 

En apparence, cette entente est aussi peu ambitieuse que possible. Le modèle de signalisation du consentement de l’entente, selon lequel les travailleuses et les travailleurs peuvent choisir d’être représentés ou non par le syndicat, semble tiré du scénario des États américains du droit au travail. Le fait que le syndicat s’engage à représenter les travailleuses et les travailleurs dans des litiges portant sur des politiques du lieu de travail entièrement définies par l’employeur n’est pas seulement dangereux, mais prive aussi les travailleuses et les travailleurs de tout pouvoir.

Il s’agit de la première tentative d’affiliation syndicale dans les plateformes collaboratives au Canada. Au mieux, les chauffeurs d’Uber éprouvent un faux sentiment de syndicalisme. Au pire, les gouvernements qui se traînent les pieds s’en servent comme couverture politique pour ne rien faire ou presque pour aider les travailleuses et travailleurs de l’économie des petits boulots.

Pour les travailleuses et travailleurs indépendants, c’est une époque riche en possibilités. Les décisions prises aujourd’hui mettront la table pour les luttes futures sur le lieu de travail. Rien ne justifie que, collectivement, le Canada ne puisse concevoir un modèle de représentation syndicale et de négociation collective moderne, fondé sur les principes fondamentaux de la démocratie, de la transparence et de la voix des travailleuses et des travailleurs.

Faire des compromis sur ces principes ne fait que compliquer ce travail.

Les travailleuses et les travailleurs indépendants au Canada, et dans le monde entier, méritent mieux.

Jerry Dias est le président national d’Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, qui compte 315 000 membres dans tout le pays