Employeur récompensé pour leur comportement antisyndicaliste

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Lana Payne, Directrice de la région de l'Atlantique d'Unifor

Il y a plus de 470 jours, les travailleurs de l'usine d'aérospatiale de D-J Composites à Gander, Terre-Neuve-et-Labrador, membres de la section locale 597 d'Unifor, ont été placés en lock-out par leur employeur établi aux États-Unis.

Ces travailleurs gagnent des salaires modestes, selon toutes les normes et certainement par rapport aux normes de l'industrie aérospatiale.

Ils ont respecté les règles du jeu. On ne peut pas en dire autant de l'employeur. Pourtant, grâce à une législation du travail inefficace, l'employeur peut impunément négocier de mauvaise foi. Fait tout aussi important, l'employeur s'en tire à bon compte parce que le gouvernement refuse de réformer le régime déficient des relations du travail à Terre-Neuve-et-Labrador. Voici l'histoire de ce lock-out honteux.

En 2012, lorsqu'une société américaine a acheté l'usine où ils travaillaient, les membres de la section locale 597 d'Unifor ont accepté de bonne foi, et en faisant preuve d'une énorme bonne volonté, de travailler avec leur nouvel employeur pour bâtir la compagnie. Ils ont accepté de faire des concessions pour aider leur employeur, en échange de promesses d'emplois stables. Les jours se sont transformés en mois et les mois en années, et ces promesses trahies sont devenues le premier signe que l'employeur avait d'autres idées en tête. Des idées venues tout droit du Kansas, un état préconisant le droit au travail.

Comme la plupart des travailleurs qui se syndiquent au Canada, les employés de D-J ont voulu introduire la démocratie dans leur lieu de travail et se doter d'un outil leur permettant d'améliorer leurs conditions de travail et leur niveau de vie en participant à une négociation collective avec leur employeur.

Le droit de se syndiquer et le droit à la négociation collective équitable sont des droits constitutionnels. Ces droits sont habituellement soutenus par la législation provinciale, qui définit les règles de la négociation collective et qui précise ce qui constitue des relations du travail justes et équilibrées.

Pour qu'un régime de relations du travail fonctionne comme il le devrait, les parties en milieu de travail, à savoir l'employeur et le syndicat, doivent se présenter à la table dans le but d'agir de bonne foi. Le régime repose sur la confiance mutuelle et sur l'acceptation par les employeurs que les travailleurs ont le droit de se syndiquer pour négocier leurs conditions de travail. Le régime et les règles sont conçus pour établir un équilibre entre les parties en milieu de travail.

La loi précise même que les parties doivent faire tous les efforts raisonnables pour parvenir à une convention collective.

Mais parfois les actions d'une des parties peuvent détruire cet équilibre. C'est alors que le régime ne fonctionne plus. Dans ces cas, il faut prévoir des dispositions pour rétablir l'équilibre.

Dans le cas de ce lock-out de 15 mois, l'équilibre a été ébranlé quand l'employeur a enfreint la loi. En mai 2017, la Commission des relations du travail de Terre-Neuve-et-Labrador a trouvé l'employeur coupable d'avoir négocié de mauvaise foi. La Commission a ordonné à l'employeur de retirer les propositions honteuses visant à éliminer les dispositions sur l'ancienneté, et de faire une nouvelle offre au syndicat.

Il s'agit d'une scandaleuse lacune dans les règles relatives à la négociation collective équitable.

La nouvelle offre de l'employeur a eu beau être présentée différemment, elle avait essentiellement le même objectif que les propositions antérieures – éliminer l'ancienneté, éviscérer les salaires et diviser les travailleurs.

Le syndicat qui représente ces travailleurs, Unifor, a fait son possible pour obtenir une convention équitable, notamment en enjoignant le ministre du Travail de Terre-Neuve-et-Labrador, Al Hawkins, à nommer un médiateur spécial pour aider à résoudre le différend.

Le médiateur a été incapable de faire bouger l'employeur.

Ce qui manque à la législation, c'est un marteau. Un marteau pour rétablir l'équilibre quand les employeurs agissent comme celui-ci le fait, enfreignant la loi sans en subir de véritables conséquences ou répercussions.

Après une médiation à l'automne 2017, Unifor a de nouveau tenté de proposer à l'employeur une solution comprenant les recommandations formulées par le médiateur.

N'ayant pas reçu de réponse de l'employeur dans le délai raisonnable demandé, le syndicat a déposé une deuxième plainte auprès de la Commission des relations du travail.

Au début du mois de février 2018, la Commission a statué pour une deuxième fois que l'employeur était coupable d'avoir enfreint la Loi sur les relations du travail.

Jusqu'ici, l'employeur n'a pas subi de conséquences pour cette deuxième violation de la loi. Le syndicat et les travailleurs attendent les motifs écrits de la Commission des relations du travail. Dans sa plainte auprès de la Commission, Unifor a proposé que les questions en suspens soient soumises à un arbitre pour être réglées.

Venons-en à la question de l'équilibre.

Le ministre du Travail a dit qu'il devait rester neutre dans ce différend.

Certes, le ministre devrait rester neutre, pourvu que tout le monde respecte les règles. Cela n'est pas le cas dans le dossier du lock-out de D-J Composites.

Dès qu'une partie cesse de respecter les règles et qu'elle est déclarée coupable de négocier de mauvaise foi et d'avoir enfreint les lois provinciales sur le travail, l'absence d'intervention n'est pas une position de neutralité. La non-intervention implique que l'on a pris position. Alors qu'advient-il de l'équilibre ?

L'employeur a été trouvé coupable à deux reprises d'avoir enfreint les lois de Terre-Neuve-et-Labrador.

L'employeur n'a subi aucune conséquence. Qu'en est-il de l'équilibre ?

En date d'avril, cela fait 470 jours que les travailleurs sont en lock-out. L'employeur continue d'embaucher de nouveaux employés tout en déclarant à la table des négociations qu'il veut mettre à pied 8 des 32 membres de l'unité de négociation actuellement en lock-out.

Environ 20 membres du personnel non syndiqués franchissent la ligne de piquetage tous les jours pour travailler dans l'usine.

À Terre-Neuve-et-Labrador, il est légal pour un employeur d'embaucher autant de travailleurs de remplacement qu'il veut tout en mettant ses employés syndiqués en lock-out. C'est ainsi qu'agit D-J Composites. Comment parler d'équilibre en pareille situation ?

Mais la Loi sur les relations du travail ne contient aucune disposition à l'encontre d'employeurs qui refusent de négocier équitablement et qui ont manifestement des visées antisyndicalistes.

Si les membres du syndicat étaient trouvés coupables d'empêcher ces travailleurs de remplacement de franchir leur ligne, cela entraînerait des répercussions, pour eux et pour le syndicat, y compris d'éventuelles accusations et amendes. Où se situe l'équilibre ?

Il faut régler cette situation. Actuellement, la loi prévoit que les deux parties doivent donner leur accord pour que les questions en suspens soient soumises à un arbitre tiers. Cette disposition permet tout simplement à un employeur qui agit mal impunément de continuer à enfreindre la loi. Il en est même récompensé.

La commission d'enquête sur les relations du travail, chargée d'enquêter sur le conflit de Voisey’s Bay en 2009-2010, a émis des recommandations sur la façon de régler les situations de rupture complète des négociations collectives.

La commission a noté : « Il existe des circonstances dans lesquelles le processus de négociation collective n'aboutit pas. La commission est d'avis que, lorsque le processus de négociation collective ne débouche pas sur une convention collective, malgré le recours à la grève ou au lock-out, il peut être dans l'intérêt public d'imposer une convention collective. »

Dans le cas de D-J Composites, l'intérêt public consiste à rétablir la confiance dans un régime équilibré de relations du travail qui appuie les droits des travailleurs qui se sont syndiqués.

La Commission d'enquête sur les relations du travail a recommandé que, dans un cas comme celui de D-J, où l'échec de la négociation collective a été constaté par la Commission des relations du travail, l'une des parties en milieu de travail devrait pouvoir demander que les questions non réglées soient déterminées par un arbitre tiers. Malheureusement, en 2010 le gouvernement a cédé aux pressions intenses des employeurs qui s'opposent à ce changement raisonnable de la législation du travail.

Un employeur ne peut pas démanteler un syndicat si des conséquences découlent de telles tentatives.

Ceci est reconnu dans la législation du travail régissant la négociation d'une première convention collective, qui prévoit un mécanisme alternatif de règlement des différends lorsqu'il est constaté que l'employeur, dans une tentative voilée de se débarrasser du syndicat, fait échec aux efforts de conclure une convention collective.

Il est temps de boucher les trous dans la législation du travail de Terre-Neuve-et-Labrador, afin de réaliser un véritable équilibre entre les parties et de faire respecter et d'appuyer les droits des travailleurs de se syndiquer et de mener des négociations collectives équitables.

Il est temps pour le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador d'agir pour corriger notre législation du travail. Ne pas agir dans ce sens voudrait dire que le gouvernement a choisi son camp : le camp de l'employeur américain qui a bafoué les droits des membres d'Unifor.

Lorsqu'il a été récemment questionné à l'assemblée législative par le député provincial néo-démocrate Gerry Rogers au sujet du lock-out et des actions de la compagnie américaine, le ministre a refusé de commenter sur l'impossibilité d'aboutir à un règlement négocié lorsque l'une des parties enfreint la loi et que son objectif est de briser le syndicat.

Le ministre a noté qu'un règlement négocié était le résultat le plus souhaitable. C'est évident. Nous sommes d'accord. Mais dans de rare cas comme celui-ci, lorsqu'un règlement négocié n'est pas possible, il devrait y avoir une façon de régler le conflit. Quand une partie a enfreint la loi, non pas une fois mais bien à deux reprises, cela devrait entraîner de véritables conséquences.

Les travailleurs s'attendent à plus que de l'inaction ou des expressions de sympathie de la part de leur gouvernement. Nous avons besoin de lois du travail musclées. Les travailleurs de cette province ont besoin de lois du travail qui protègent et font valoir leurs droits plutôt que d'offrir des échappatoires aux employeurs comme D-J Composites qui leur permettent de briser les syndicats sans la moindre conséquence.