Bâtir une communauté en veillant à ce que les services de diffusion en continu cessent de profiter d’une situation privilégiée

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Netflix on a tv screen
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Première publication dans le National Post le 17 mai 2022

À chaque fois que je vois de vieux amis, la même chose se produit. Après les accolades et les poignées de main, ou peut-être les coups de coude, nous passons aux choses sérieuses : nous reprenons contact. Nous commençons à rattraper le temps perdu – en racontant les histoires de nos vies depuis la dernière fois que nous nous sommes retrouvés, en partageant des nouvelles de nos familles et les derniers événements au sein de nos communautés.

Nous partageons des photos, parfois des vidéos. Nous trouvons des points communs. Et parfois, nous avons des désaccords, comme en ont parfois les amis. Cependant, à travers tout cela, nos liens se renforcent et nos connexions se développent. Toutes les communautés ont besoin de cela. C’est ainsi que les communautés se bâtissent.

En tant que pays, cette communauté se bâtit en grande partie grâce aux histoires que nous racontons dans les émissions de télévision et les films, et grâce aux histoires racontées dans les bulletins de nouvelles locaux et nationaux. Pourtant, cette démarche est de plus en plus menacée, étant donné que les services de diffusion en continu tels que Netflix et Amazon noyautent les diffuseurs canadiens, sans payer leur juste part du développement d’histoires canadiennes.

Bâtir une communauté nationale a été l’inspiration à la base de la Loi sur la radiodiffusion en 1936. Le Canada était grand et en pleine croissance, et ses habitants se déplaçaient pour trouver du travail d’une manière sans précédent. De nouvelles technologies, comme la radio et le cinéma, prenaient leur envol et permettaient de raconter les histoires qui soudaient nos communautés tout en nous informant et en nous divertissant.

Pourtant, l’industrie canadienne de la radiodiffusion naissante était submergée par des intérêts américains beaucoup plus importants, et les versions ultérieures de la Loi sur la radiodiffusion ont tenté de rééquilibrer la balance. Il en a été de même lorsque la loi a été mise à jour au fil des ans pour englober des technologies encore plus récentes comme la télévision, où j’ai bâti ma carrière au sein de CTV.

Aujourd’hui, une autre mise à jour de la loi, qui aurait dû intervenir il y a bien longtemps déjà, est nécessaire pour empêcher que le contenu canadien ne soit noyé dans les nouveaux services de diffusion en continu étrangers. Ces services de diffusion en continu ont pu se frayer un chemin jusqu’à nos écrans tout en étant complètement exemptés de la réglementation de la Loi sur la radiodiffusion, simplement parce qu’ils sont transmis par Internet plutôt que par voie hertzienne ou par câble.

C’est une différence qui n’a pas de sens et qui entrave la possibilité pour les Canadiennes et les Canadiens de voir et d’entendre les histoires canadiennes qui nous unissent en tant que nation.

Le convoi de camionneurs, la montée de la droite, le vitriol auquel nous sommes confrontés chaque jour sur les réseaux sociaux, nous ont montré ce qui se passe lorsque nous ne parvenons pas à bâtir une communauté et que nous laissons nos différences nous définir. Lorsque nous cessons de nous parler et de nous écouter les uns les autres, nous cessons d’être une communauté. Nous devons remédier à cette situation et, en apportant quelques petites modifications au projet de loi C-11, nous pourrions prendre certaines des mesures nécessaires à cette fin.

Le projet de loi C-11, qui remplace l’ancien projet de loi C-10 présenté au cours de la législature précédente, est en passe d’être examiné par un comité – la prochaine étape pour devenir une loi et honorer une promesse du gouvernement libéral de s’attaquer aux inégalités qui menacent les médias de diffusion canadiens.

Le projet de loi supprimerait l’exemption pour les services de diffusion en continu. De quoi rééquilibrer la balance face à une nouvelle technologie – une telle mesure étant attendue depuis longtemps. Le contenu généré par les utilisateurs et partagé sur les réseaux sociaux n’est pas couvert par le projet de loi.

En étant inclus dans la Loi sur la radiodiffusion, les services de diffusion en continu seront enfin mis sur un pied d’égalité avec les radiodiffuseurs canadiens traditionnels et seront obligés de contribuer au contenu canadien. Jusqu’à présent, ces services ont bénéficié d’une situation privilégiée – ils ont pu concurrencer directement les radiodiffuseurs canadiens, sans avoir à payer leur juste part pour soutenir l’industrie dans ce pays ou pour soutenir le secteur des médias d’information, comme doivent le faire les radiodiffuseurs traditionnels.

L’intégration de ces diffuseurs géants dans le système réglementaire apportera de l’argent frais et un nouveau soutien au contenu canadien et aux créateurs canadiens, mais il manque une chose : le soutien aux nouvelles locales.

Les nouvelles locales sont en danger de mort dans ce pays. Nous avons constaté une baisse de 23 % des emplois dans le secteur de la télévision entre 2014 et 2020, et l’impact est visible dans la diminution de la couverture des nouvelles locales partout au pays. L’introduction des plateformes de diffusion en continu dans la Loi sur la radiodiffusion peut contribuer à remédier à ce déclin.

En 2009, le CRTC a créé un fonds pour les nouvelles afin de soutenir les nouvelles locales, étant donné que le modèle d’affaires des diffuseurs était en train de changer. C’était une bonne chose, mais cinq ans plus tard, un nouveau commissaire du CRTC a éliminé le fonds, plongeant les nouvelles locales dans une crise.

Modifier le projet de loi C-11 pour inclure un fonds similaire afin de soutenir les nouvelles locales et les reporteurs locaux, partiellement payé par les grandes compagnies technologiques qui dominent maintenant le marché de la télévision, offrirait la solution stable dont ce pays a besoin. Nous pourrons alors nous remettre à rebâtir nos communautés en racontant des histoires canadiennes

Randy Kitt est le directeur du secteur des médias chez Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé du Canada.