Une nouvelle vision de la production canadienne doit faire partie de la relance après la COVID

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Jerry Dias, président national d’Unifor

Partout au pays, des particuliers canadiens sortent leurs machines à coudre pour fabriquer des masques chirurgicaux et en font don aux hôpitaux et aux épiceries de leur région. D'autres utilisent leurs imprimantes 3D pour concevoir les pièces des visières.

Ces gestes sont réconfortants, inspirants, et montrent la puissance d'une communauté motivée qui veille instinctivement à ce que son pays soit correctement approvisionné en fabriquant pour nous les choses dont nous avons le plus besoin.

C'est cet instinct que nous devons tous suivre maintenant en tant que pays.

Alors même que nos gouvernements travaillent jour et nuit pour contenir la propagation de la COVID-19, cette pandémie a révélé de profondes failles dans notre capacité à fabriquer les biens essentiels dont nous avons le plus besoin.  

Il n'a fallu que quelques jours pour que notre économie implose.

Des entreprises ont fermé et des millions et des millions de personnes se sont retrouvées au chômage, se tournant à juste titre vers les gouvernements pour obtenir de l'aide et du soutien.

En mars, le gouvernement fédéral a sollicité les fabricants au pays à produire des fournitures médicales vitales dont la société a désespérément besoin, comme des ventilateurs. Mais s'ils s'attendaient à augmenter la production dans les installations existantes, les gouvernements ont rapidement réalisé qu'il ne restait que peu, voire pas du tout, d’installations pour augmenter la production. Des appels ont alors ont été lancés aux fabricants pour qu'ils fabriquent des équipements de protection individuelle à la place d'autres choses, comme des pièces automobiles.

Alors que la demande de biens essentiels monte en flèche et que les restrictions aux frontières se resserrent, notre dépendance excessive à l'égard de la mondialisation, du libre-échange et des chaînes d'approvisionnement mondiales pour tout ce qui va de la nourriture aux masques de protection a rapidement fait défaut. Des décennies d'externalisation ont non seulement anéanti des centaines de milliers d'emplois manufacturiers bien rémunérés, mais elles ont aussi limité notre capacité à fabriquer les produits dont nous avons besoin, surtout en temps de crise.

Peu de personnes au sein du gouvernement ont tenu compte de ces avertissements du secteur manufacturier, citant souvent la nouvelle « économie du savoir », et tout ce qui tourne autour. Les accords commerciaux déloyaux ont limité la capacité du Canada à encourager et à développer sa propre capacité industrielle, ce contre quoi Unifor et le reste du mouvement syndical ont longtemps mis en garde. Comme nous le constatons actuellement, nous ne pouvons plus nous permettre d'être limités de cette manière.

Aujourd'hui, les gouvernements se rendent compte qu'il est impossible de créer une capacité de production à partir de rien, en restant impuissants face à la surcharge de notre système de santé et à la mort de plus en plus de Canadiennes et Canadiens.

Tout n'est pas sombre. Il y a eu de bonnes nouvelles ces dernières semaines. Un certain nombre d'entreprises canadiennes, y compris des lieux de travail représentés par Unifor, se sont mobilisées pour apporter leur soutien. Les fournisseurs de pièces automobiles, comme Woodbridge Foam, fabriquent des masques de protection. L'usine de moteurs de Ford à Windsor produit des écrans faciaux. Les constructeurs de wagons de Thunder Bay sont prêts à fabriquer des ventilateurs fabriqués en Ontario. Tous de nobles efforts.

Malheureusement, il ne s'agit là que de mesures temporaires. Elles ne répondent pas de manière significative à nos besoins alors que la crise de la COVID s'aggrave, et elles ne nous préparent pas non plus à d’autres crises à venir. 

Nous avons la possibilité – et l'obligation morale – de créer une économie plus équitable, plus juste, plus résistante et plus durable. La crise du coronavirus nous a montré que le maintien et la promotion de notre propre capacité de production nationale est un bien public au même titre que les autres.

Les gouvernements doivent repenser leur rôle dans l'initiation, le soutien et la promotion de la production intérieure de biens et de services. Cela doit inclure un examen critique de nos obligations internationales en matière de commerce et d'investissement, et de la responsabilité des sociétés multinationales de « produire là où elles vendent ».

Très franchement, une discussion critique doit aussi avoir lieu sur la manière dont le gouvernement doit étendre son rôle dans la prestation de services publics, tels que la santé, les soins de longue durée et l'assurance-médicaments. Ce qui est maintenant très clair, c'est que les services publics comprennent aussi la production alimentaire, ainsi que l'industrie manufacturière, entre autres choses.  

Le Canada ne peut pas suivre aveuglément la même logique d'entreprise qui nous a complètement fait défaut dans cette crise, la logique selon laquelle il vaut mieux laisser les infrastructures essentielles aux entreprises privées et aux chercheurs de profit. Nous devons avoir le courage de penser au-delà de cette logique et d'être ambitieux en regardant l’avenir.

Ce qui implique un financement et un engagement direct dans des secteurs ciblés tels que les soins de santé, la biomédecine et l'agroalimentaire. Il faut également élaborer des stratégies industrielles globales pour incuber et développer les capacités de fabrication intérieures essentielles, notamment dans les domaines de l'énergie propre, des transports et autres.

Malheureusement, il a fallu la crise du coronavirus pour répondre à la question « Qu'est-ce qui ne va pas si nous ne fabriquons plus de biens ici au Canada? ». Comme nous l'avons vu ces dernières semaines, beaucoup de choses, en fait, ne vont pas bien.

En travaillant ensemble et en écoutant les conseils des experts, les Canadiennes et Canadiens ont commencé à « aplatir la courbe », mais la reprise ne fait que commencer. Nous devons également commencer à nous tourner vers l'avenir et décider dans quel genre de monde nous choisirons de vivre après la pandémie.

Un meilleur avenir pour le Canada passe par la capacité de fabriquer et de fournir des biens et des services essentiels ici, chez nous.