Trente ans plus tard : progrès ou régression?

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Lorsque je repense aux événements qui se sont produits il y aura 30 ans cette semaine, je revois le sexisme et la misogynie désinvoltes qui étaient pratiquement omniprésents en décembre 1989.

Il est déconcertant de se rappeler la façon dont les hommes sifflaient les femmes avec qui ils travaillaient et même des étrangères dans la rue, s’encourageant les uns les autres comme s’il s’agissait d’un jeu.

Ce qui est encore plus étonnant, cependant, c’est à quel point la situation a peu changé depuis, s’étant même détériorée à certains égards.

Le vendredi 6 décembre 2019 marque le 30e anniversaire de la tuerie survenue à l’École Polytechnique de Montréal au cours de laquelle un homme, dont je tairai le nom, a séparé les femmes des hommes parmi les étudiants en ingénierie et tué 14 étudiantes avant de retourner l’arme contre lui.

Dans sa lettre de suicide, le tireur étalait clairement sa misogynie et accusait les femmes d’être la cause de son manque de succès dans le monde. Pendant la fusillade, il disait à ses victimes, avant de les tuer, qu’il détestait les féministes.

Malgré cela, beaucoup ont essayé de trouver d’autres raisons, en plus de sa misogynie évidente et explicite, pour expliquer son déchaînement de violence, évoquant, par exemple, une santé mentale instable, une mauvaise éducation ou un père violent.

Trente ans plus tard, peu de gens contestent que la misogynie était ce jour-là la raison d’être de ses actes. Heureusement, notre compréhension de la misogynie a évolué. Les sifflements et le sexisme flagrant qui semblaient solidement enracinés à l’époque ne sont plus tolérés maintenant dans nos milieux de travail. 

C’est bien, mais ce serait une erreur d’exagérer les progrès accomplis et de fermer les yeux sur les nombreuses façons dont la misogynie a pu se propager dans les recoins anonymes les plus sombres d’Internet.

Il y a un an à peine, un homme de 25 ans a loué une fourgonnette pour se jeter ensuite sur des piétons qui déambulaient dans une rue de Toronto, tuant 8 femmes, ciblant délibérément des femmes, et 2 hommes. Comme le tueur de l’École Polytechnique, il a explicitement parlé de sa haine des femmes et des féministes, tant dans ses écrits datant d’avant cette catastrophe que pendant les interrogatoires menés par la police après son arrestation.

Cet homme n’était pas encore né au moment de la tuerie de l’École Polytechnique. Il s’est inspiré d’un mouvement sinistre et troublant, le célibat involontaire, une forme de misogynie moderne qui sévit sur Internet, mais qui se retrouve trop souvent dans le monde réel.

Aussi horribles que puissent être ces actes de violence, ce serait une erreur que de se concentrer uniquement sur eux. La tuerie à l’École Polytechnique et l’attaque à la fourgonnette à Toronto ne sont pas des événements isolés. Ils reproduisaient de façon extrême des attitudes que nous voyons tout autour de nous.

Lorsque Jonathan Wilkinson a été nommé ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada le mois dernier, il a reconnu que la tâche serait plus facile pour lui en tant qu’homme que pour sa prédécesseure Catherine McKenna, qui a subi des attaques misogynes tout au long de son mandat, étant notamment affublée du surnom méprisant de « Barbie du climat » et le mot conne (en anglais) ayant été peint sur la fenêtre de son bureau de campagne.

Les sifflements ont peut-être disparu, pour la plupart, mais Internet et les médias sociaux favorisent un anonymat qui a permis à la misogynie de s’épanouir dans les recoins les plus sombres de notre société. 

Il est trop facile de se concentrer uniquement sur ces gestes de violence très médiatisés et de ne pas voir leur lien avec le sexisme et la misogynie désinvoltes que nous continuons d’observer autour de nous, et auxquels nous participons peut-être.

Ce sont pourtant les petits gestes quotidiens de misogynie qui rendent possibles des actes aussi horribles. Ils ne sont certes pas égaux, ces gestes, mais les premiers nourrissent les autres, et nous avons tous un rôle à jouer dans cette lutte, surtout nous, les hommes.

Les railleries sexistes contre les femmes se poursuivent en ligne, où les lâches peuvent se cacher derrière de faux noms et des comptes de médias sociaux anonymes, se complaisant mutuellement dans un jeu dangereux de haine ayant pour cible quiconque s’identifie comme une femme.

Ce serait une erreur de croire que le principe « ni vu ni connu » s’applique à Internet. Les misogynes qui se cachent en ligne se promènent parmi nous. Ce sont nos voisins, nos collègues, nos patrons et nos propriétaires. Ils ont une vie réelle en plus de celle qu’ils vivent en ligne. Ils vont voter et occupent peut-être même des postes leur donnant le pouvoir de prendre des décisions concernant la vie des femmes.

La plupart d’entre nous avons fini par comprendre, du moins en public, tout le tort causé par le sexisme et la misogynie désinvoltes. Nous connaissons maintenant les difficultés auxquelles font face les femmes autochtones, les travailleuses de couleur, les femmes transgenres et les femmes ayant une incapacité. Nous en sommes venus à comprendre les obstacles auxquels elles se heurtent et l’importance de devenir leurs alliés.

Malgré cela, il reste encore beaucoup de travail à faire. L’ascension de Donald Trump et d’autres politiciens du même acabit met en évidence le danger de ne faire aucun cas de ceux qui se cachent en ligne. Les politiciens conservateurs ne semblent que trop disposés à exploiter cette haine qui prolifère, semant la division plutôt que l’union.

Nous ne pouvons pas les laisser s’en tirer impunément. 

Trente ans après la tuerie de l’École Polytechnique, la chose la plus dangereuse que nous puissions faire maintenant est de la considérer comme appartenant au passé.