Pourquoi s’indigner alors que les droits des travailleuses et travailleurs ont été violés?

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Par Lana Payne, directrice de la région de l’Atlantique

Depuis près de 630 jours, 30 travailleuses et travailleurs de Gander, à Terre-Neuve-et-Labrador, ont été placés en lock-out par leur employeur américain D-J Composites.

Ils risquent de passer un troisième hiver et un troisième Noël sur la ligne de piquetage.

L’entreprise D-J Composites a été déclarée coupable à deux reprises d'avoir enfreint les lois du travail de la province, y compris d’avoir négocié de mauvaise foi.

Depuis l’année dernière, la compagnie a graduellement fait venir des travailleurs de remplacement. Elle a publié des annonces sur des sites d’emplois locaux et nationaux. Ces gens savent qu’ils sont utilisés pour démanteler un syndicat. Ils savent qu’ils s’approprient l’emploi de quelqu’un d’autre. Ils ont le choix de le faire ou non. Ils ont choisi d’être utilisés par l’employeur de cette manière, et ils doivent savoir que leur action aide D-J Composites à prolonger le lock-out. Ils le voient sur le visage de nos membres en lock-out tous les jours, chaque fois qu’ils passent devant eux sur la ligne de piquetage. La détresse, la frustration, le désespoir. Ces émotions sont évidentes pour quiconque a marché sur la ligne de piquetage avec nos membres, comme je l’ai fait.

Pourquoi s’indigner alors que les droits des travailleuses et travailleurs ont été violés?

Aujourd’hui, la compagnie a autant de gens (briseurs de grève, gestionnaires et personnel non-syndiqué) qui travaillent à l’usine que le nombre d'employés en lock-out.

Il n’existe aucune loi qui empêche un employeur d’utiliser des briseurs de grève à Terre-Neuve-et-Labrador.  Ce lock-out n’est qu’un autre exemple qui montre pourquoi cela doit changer. Pas juste à Terre-Neuve-et-Labrador, mais partout au pays. Aujourd’hui, à l’exception du Québec et de la Colombie-Britannique, des lois anti-briseurs de grève n’existent pas.

Mais nous avons des lois qui exigent que les employeurs négocient de bonne foi et déploient des efforts raisonnables pour conclure une convention collective.  D-J Composites ne le fait pas. Ces lois semblent n’avoir aucune prise parce qu’il n’y a eu aucune répercussion lorsqu’elles sont enfreintes. Dans un des cas, D-J Composites n’a reçu qu’un avis de « ne pas le faire encore », comme si la compagnie était un enfant de quatre ans qui venait de dessiner sur le mur du salon.

Voici la réalité : la compagnie a enfreint la loi deux fois plutôt qu’une. Les deux violations sont survenues après qu’elle ait décrété le lock-out de nos membres. Ensuite, elle a embauché des briseurs de grève. La vie continue comme si de rien n’était pour la compagnie, alors que la vie de nos membres et de leurs familles est détruite. Autrement dit, D-J Composites a tiré avantage à enfreindre la loi. Le fait que le gouvernement soit au courant de la situation, la constate et continue de laisser les choses aller sans intervenir est inacceptable.

J’ai écrit au premier ministre de la province à trois reprises pour solliciter une rencontre afin de discuter de ce conflit. Je n’ai reçu aucune réponse à ce jour. Nous avons rencontré le ministre du Travail. Nous avons recommandé d’apporter des changements raisonnables aux lois du travail pour protéger les droits des travailleuses et travailleurs et établir une marche à suivre pour traiter avec des employeurs qui refusent de négocier de bonne foi, comme la loi les exige de le faire. Nous avons demandé au gouvernement de mettre en œuvre la recommandation du rapport de la commission industrielle d’enquête sur le cas de la baie de Voisey qui proposait un changement législatif qui empêcherait ce type de long conflit et entraînerait des conséquences sérieuses pour les employeurs reconnus coupables de négocier de mauvaise foi. Nos suggestions et recommandations raisonnables sont restées lettre morte.

Nous avons publié des annonces et des affiches sur des panneaux pour expliquer les circonstances déplorables de ce lock-out.

Nous avons ciblé le premier ministre sur ces panneaux d’affichage pour lui demander de quel côté il se rangeait.

Nous avons érigé un piquet d’information au siège social de l’employeur à Wichita, au Kansas.

Nous avons réclamé un médiateur indépendant parce que l’arbitrage exécutoire n’est pas disponible pour nos membres, selon ce que le gouvernement et la commission des relations de travail nous disent.

Nous avons déployé tous les efforts possibles pour conclure une convention collective équitable pour nos membres qui défendent leurs emplois, leurs droits d’avoir un syndicat et leur droit à la négociation collective libre et équitable, tel que prévu à la Charte des droits.

Que doivent subir de plus nos membres? Ils ont souffert d’indignité, sans relâche.

Tous les jours, ils avalent leur fierté et leur colère alors que des briseurs de grève franchissent leur ligne de piquetage et leur volent leurs emplois. Ils les voient pendant que leurs factures s’empilent parce qu’ils ont utilisé toutes leurs épargnes de retraite afin d’éviter de tomber dans la misère. Ils ont trouvé des emplois à temps partiel. Ils continuent de faire du piquetage fidèlement. Tous les jours depuis près de 630 jours.

C’est facile de dire de laisser tomber. C’est facile de dire d’accepter l’horrible offre de l’employeur et de retourner au travail.

Mais, il faut du courage pour se battre pour quelque chose. Pour défendre le principe de démocratie en milieu de travail.

Juste avant la fête du Travail, Unifor a décidé que c’en était assez.

Vingt-et-un mois d’humiliation, c’est assez.

Vingt-et-un mois sans chèque de paie pour nos membres, c’est assez.

Vingt-et-un mois à défendre leur droit d’avoir un syndicat, c’est assez.

Nous avons décidé d’intensifier notre campagne contre l’employeur et le gouvernement.

Nous avons diffusé des annonces à la radio pendant toute la fin de semaine de la fête du Travail.

Nous avons diffusé des annonces dans les médias sociaux en dénonçant le recours à des briseurs de grève.

Nous avons relancé notre pétition demandant au premier ministre Ball de rectifier les lois du travail.

Nous avons publié une autre lettre en ligne à l’employeur.

Nous avons aussi réalisé une vidéo en exposant le fait que les travailleuses et travailleurs de remplacement sont utilisés pour prolonger le lock-out.

Et oui, nous avons reçu certaines réactions négatives à ce sujet. Nous avons reçu du soutien aussi.

Les critiques proviennent de gens qui n’ont jamais eu à défendre leurs droits comme nos membres doivent le faire. De gens qui n’ont jamais eu à faire du piquetage pendant 21 mois alors que leur employeur fait tout pour briser leur moral et les mettre à genoux. Les critiques proviennent de gens qui n’ont jamais fait du piquetage et observé d’autres personnes prendre leurs emplois.

Depuis 21 mois, nous aurions aimé voir votre indignation.

C’est votre indignation que je sollicite maintenant. Le changement survient grâce au courage comme celui qu’ont nos 30 membres à Gander, parce que les temps sont inconfortables et qu’il y a de la tension dans l’air. C’est ce moment que nous traversons.