Nous avons besoin d'un modèle canadien pour sauver le journalisme canadien

Main Image
Image
Jerry Dias Headshot
Partager

Au moment même où les Canadiennes et Canadiens ont besoin de médias d’information solides et fiables pour les guider dans la deuxième vague de la pandémie, ces mêmes médias sont menacés d'extinction. 

La chute brutale des revenus résultant de la COVID-19 survient après des années de présence de Google et de Facebook, qui se sont accaparé du marché des données sur les consommateurs et de la publicité numérique, privant les journaux, les magazines, la télévision et la radio de revenus dont ils avaient tant besoin.

Rien que depuis le début de la pandémie, 48 journaux communautaires ont fermé temporairement ou définitivement leurs portes. Plus de 300 ont fermé au cours des dix dernières années. À mesure que les journalistes sont mis au chômage, la couverture que leurs organes de presse ont pu produire n’a cessé de diminuer.

Facebook et Google sont de véritables monopoles qui détruisent un bien public, pas l'eau ou l'air cette fois, mais notre démocratie. Ensemble, les géants des médias détiennent 80 % du marché canadien de la publicité numérique, qui représente 6 milliards de dollars.

Ils ne paient pas d'impôts. Facebook n'emploie que 83 Canadiens, dont aucun journaliste, tout en s’accaparant de milliards de dollars qui devraient rester au pays – des fonds publicitaires nécessaires pour soutenir un journalisme de qualité ici.

Médias d’Info Canada, un regroupement d’éditeurs canadiens, veut que quelque chose soit fait avant qu'il ne soit trop tard. Son dernier rapport, intitulé Sustainability of Journalism in Canada, raconte l'histoire familière d'un modèle économique qui ne fonctionne plus et du déclin de la couverture médiatique.

Un autre rapport, un autre appel à l'action. Celui-ci aboutira-t-il à quelque chose?

Pour prendre au mot le ministre du Patrimoine Steven Guilbeault, le gouvernement fédéral pourrait forcer Google et Facebook à recycler une partie de ces dollars monopolistiques dans le journalisme.

La solution que veut le regroupement Médias d’Info Canada, et que le ministre a reprise, vient d'Australie.

Les Australiens, cependant, n'ont choisi que la solution la plus simple – et c'est bien là le problème.

Le fait indéniable dans tout cela est que le moteur de recherche de Google et le fil d'actualité de Facebook s'emparent du contenu des nouvelles sur Internet sans le payer. C'est pourquoi ils peuvent attirer les gens sur leurs plateformes et gagner des milliards en vendant notre attention à leurs annonceurs.

Les journaux du monde entier veulent que Google et Facebook paient pour leur contenu, comme ils devraient le faire.

Le modèle australien, sur le point d'être mis en œuvre malgré les objections vigoureuses de Google et de Facebook, met en place un régime de négociation collective entre les fournisseurs de contenu d'information et les géants des médias en ligne.

Dans le cadre de ce modèle, les éditeurs indépendants peuvent soit négocier directement avec Google et Facebook (bonne chance!), soit se regrouper pour avoir plus de pouvoir de négociation.

Étant donné que les éditeurs, seuls ou ensemble, ont un pouvoir de négociation très limité – il serait suicidaire pour eux de faire la « grève » de Facebook et Google en abandonnant ces plateformes dominantes – le modèle australien offre un arbitrage contraignant si les géants du Web font de l'obstruction dans les négociations, ce que j'ai vu de temps en temps de puissantes entreprises, en tant que dirigeant syndical.

Mark Zuckerberg, de Facebook, a déjà réagi en menaçant de mettre fin à leur fil d'actualité australien. En tant que dirigeant syndical, cela ressemble beaucoup à un lock-out.

Google a plus de finesse que Zuckerberg, mais il insiste toujours sur le fait qu'il apporte de la valeur aux éditeurs en donnant à leurs articles une exposition publique, même s'il se dispute sur ce qu'est le « contenu de l'éditeur ».

Le modèle australien pose cependant un problème fondamental. En mettant l'accent sur le paiement du contenu, il ne tient pas compte des véritables abus de Facebook et du pouvoir monopolistique de Google.

Le vrai problème est qu'ils ont accaparé le marché de la publicité numérique dans le monde entier en exploitant nos données personnelles pour offrir aux annonceurs un produit irrésistible.

Il suffit d'un peu de courage politique pour remédier à cette situation, mais nous avons une feuille de route.

Il y a trois ans, le gouvernement fédéral a demandé à un groupe d'experts de donner son avis sur la manière dont les médias canadiens pourraient survivre à l'assaut des géants mondiaux du numérique tels que Netflix, Facebook et Google.

Le rapport de la commission Yale diffusé janvier 2020 proposait un fonds d'information financé par des contributions régulières de Facebook et Google, comme une redevance de monopole qui renvoie l'argent directement dans le journalisme public.

Nous avons déjà fait ce genre de choses auparavant, et nous avons montré que cela fonctionne. Le Fonds du Canada pour les périodiques, vieux de 150 ans, le programme fédéral d'aide au journalisme écrit et le Fonds pour les nouvelles locales indépendantes destiné aux stations de télévision locales non connectées à un réseau constituent de solides précédents pour que Facebook et Google versent leur part.

Si le journalisme est essentiel à la démocratie, et c'est le cas, il est temps d'opter pour la meilleure solution canadienne que nous puissions trouver.