Le Canada a troqué la possibilité de renforcer les droits des travailleurs

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Malgré les débats sur l’importance d’exiger (comme notre gouvernement devrait le faire) l’établissement de droits du travail progressistes et applicables en vertu de l’ALENA, une question s’impose : pourquoi ne pas exiger de tels droits dans le cadre de la négociation du nouvel accord commercial de Partenariat transpacifique (PTP)?

Le Canada a abdiqué dans sa hâte de conclure un accord commercial.

Il a raté l’occasion de créer un nouveau précédent en matière d’accords commerciaux. Pour dire les choses simplement, les travailleuses et travailleurs ont été sacrifiés, prouvant que le but de ces accords commerciaux n’a jamais été d'élever les normes pour les travailleuses et travailleurs, mais de générer des bénéfices pour les sociétés.

On ressasse plutôt les mêmes vieilles idées. Ce refus d’examiner les erreurs du passé et de les corriger lorsque nous avons l’occasion de le faire est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles les gens recherchent désespérément quelque chose de nouveau sur la scène politique.  Et cette erreur appartient au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, dirigé par le ministre François-Philippe Champagne.

Récemment, le Ministre a déposé un pacte commercial transpacifique révisé à la Chambre des communes, un accord auquel participent le Canada, le Japon et neuf autres pays de la côte du Pacifique. L’accord n’offre que très peu d'avantages au Canada et crée une grande incertitude pour certaines industries importantes, dont le secteur automobile et l’industrie laitière.

On a déjà cru que cet accord avait été tué dans l’œuf après que le président américain Donald Trump ait rompu tous les liens avec l’accord. Cependant, en mars dernier, un nouvel accord a été établi malgré l’opposition populaire. Son texte est demeuré inchangé, à l’exception de la suspension de 22 articles, d’un ensemble de nouvelles lettres d’accompagnement et d’un nouveau nom, soit l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), provoquant ainsi la colère de bon nombre de personnes y ayant un intérêt particulier.

Ce changement représentait un affront pour les militants qui, pendant des décennies, avaient tenté d’établir d’autres modèles de développement et de commerce progressiste. Un examen détaillé du PTPGP suggère que ces critiques sont fondées. L’accord n’a absolument rien de progressiste, surtout en ce qui concerne les normes du travail et les droits des travailleuses et travailleurs. En fait, cette nouvelle version soi-disant « progressiste » du Partenariat transpacifique renferme des attentes beaucoup moins élevées en matière de travail que l’accord original dans au moins quatre secteurs clés.

D’abord, une disposition précisant que le gouvernement et les autres entités publiques qui achètent des biens et des services peuvent exiger que les entrepreneurs se conforment aux normes de travail fondamentales comme condition préalable à l’achat a été éliminée du PTPGP.  Une telle disposition aurait pu s’avérer un outil efficace pour rehausser les normes du travail, surtout dans les pays offrant les salaires les plus bas du bloc commercial (comme le Mexique et le Vietnam), lesquels dépendent beaucoup trop des marchés du travail informels et non réglementés et où le respect des normes fondamentales est minimal et l’application de la loi est laxiste.

Ensuite, sur l’insistance des négociateurs américains, le Partenariat transpacifique original comprenait un accord parallèle exhaustif énonçant un ensemble de réformes du travail visant le Vietnam. Ces réformes auraient permis aux travailleuses et travailleurs vietnamiens d'établir des syndicats de la base.

Cet accord parallèle exigeait également des changements au droit du travail vietnamien, empêchant l’ingérence dans le recrutement de travailleuses et travailleurs, luttant contre le travail forcé, et protégeant contre la discrimination sexuelle, entre autres mesures.

En vertu du nouveau PTPGP, cet accord parallèle n’existe pas. À la place se trouve plutôt un ensemble d’engagements simplifiés beaucoup moins ambitieux négociés entre le Canada et le Vietnam.

En réalité, tous les engagements intégrés à ces plans d’action et qui ne sont pas à toute épreuve sont très difficiles à surveiller et à appliquer.

Ensuite, en vertu du Partenariat transpacifique original, des accords parallèles similaires (ou des « plans d’action ») étaient en place pour Brunei et la Malaisie, deux États membres ayant des antécédents notoires en matière de droits du travail et de la personne. En vertu du PTPGP, ces accords ont entièrement disparu.

Enfin, et sans doute l’aspect le plus préoccupant, le libellé inchangé du chapitre sur le travail du PTPGP n’a pas permis de protéger les droits des travailleuses et travailleurs.

Rédigé à l’origine par des négociateurs américains, ce chapitre comprend des critères juridiques beaucoup trop difficiles, voire même impossibles, à respecter.

Ces critères ont été utilisés lorsqu’un groupe d’arbitres encadrant un conflit de travail historique entre les États-Unis et le Guatemala a découvert qu’aucune des violations documentées des droits du travail au Guatemala (y compris le meurtre de recruteurs syndicaux) n’avait eu lieu de « manière à perturber le commerce » ou qu’aucun des événements en question n’était « régulier ou récurrent », deux critères cruciaux soulignés dans ce chapitre. Par conséquent, le Guatemala n’a reçu aucune sanction commerciale. Au titre de ces critères, il est difficile d’imaginer qu’un pays pourrait être assujetti à des sanctions commerciales advenant la violation des droits du travail.

Sachant cela, le négociateur principal du PTPGP du Canada a dit que le chapitre sur le travail était « très solide ». Les représentants du gouvernement vantent sans cesse les mérites « progressistes » du PTPGP, mais refusent de reconnaître ces lacunes évidentes.

Il est tout à fait inacceptable de duper ainsi la population canadienne.

Le tribunal du Guatemala nous a donné un outil de mesure grâce auquel nous pouvons évaluer la force ou l’efficacité des dispositions relatives au droit du travail.

Aujourd’hui, il ne peut y avoir d’excuses. Les parties qui ont signé le PTPGP étaient pleinement conscientes des problèmes, de la décision du tribunal et des exclusions clés relatives au droit du travail. Les dirigeants politiques ont volontairement donné le feu vert à un accord qui ne tentait même pas de préciser, encore moins modifier, les dispositions qui trahissaient les travailleuses et travailleurs.

Vous pouvez appeler ce nouvel accord commercial comme vous voulez, mais ne le qualifiez pas d’accord progressiste.

Lana Payne est la directrice de la région de l’Atlantique pour Unifor.

Cette chronique a été publiée initialement le 7 juillet 2018 dans le journal The Telegram. Reproduite ici avec permission.