Il est temps d’élever nos attentes

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Le 7 octobre de chaque année, les travailleuses et travailleurs du monde entier reconnaissent la Journée mondiale pour le travail décent.  

Contrairement à la fête du Travail en septembre (ou la Journée internationale des travailleurs en mai), cette journée n'est pas désignée comme une célébration des réalisations historiques du mouvement syndical. Elle nous rappelle plutôt les pressions actuelles et constantes à la baisse sur les travailleuses et travailleurs au fur et à mesure que les revenus stagnent, que la richesse se concentre entre les mains de quelques privilégiés, que la marée de la sécurité sociale s'assèche et que les emplois deviennent de plus en plus incertains et précaires. Il s'agit d'une journée où les syndicats réitèrent leur engagement à obtenir de bons emplois pour toutes et tous.

L'année dernière a été ponctuée par des tragédies en milieu de travail, notamment le terrible désastre de l'usine de confection de vêtements Rana Plaza, au Bangladesh. Plus d'un millier de travailleuses et travailleurs du textile à faible revenu ont perdu la vie dans l'effondrement tragique de leur usine, une catastrophe qui aurait pu facilement être évitée. Cet événement fait bien plus que de mettre en lumière les conditions de travail inhumaines que plusieurs travailleuses et travailleurs vivent dans les pays en voie de développement. Il montre également le résultat de la déréglementation de l'industrie, de la concurrence intensive et du manque de vision des gouvernements de l'économie mondiale. La catastrophe avait été précédée par un grave incendie industriel à une autre usine de vêtements qui a coûté la vie à plus d'une centaine de travailleuses et travailleurs. 

Ces événements nous rappellent le lien étroit que nous partageons avec les travailleuses et travailleurs précaires dans des endroits qui semblent très éloignés (certains vêtements de marque vendus au Canada étaient confectionnés à Rana Plaza). Ironie du sort, ces travailleuses et travailleurs bangladais du vêtement à faible revenu produisaient des vêtements au rabais qui étaient ensuite vendus par des commis à faible revenu dans des boutiques de détails au Canada et ailleurs.

Bien sûr, il est injuste de faire un parallèle direct entre ces travailleuses et travailleurs. Ils ont des expériences personnelles très différentes les unes des autres. Cependant, ils représentent des points inter reliés d'une même chaîne d'assemblage, souvent liés au même employeur. Leurs expériences convergent dans la lutte pour obtenir des salaires décents et des normes de travail décentes.

Au Bangladesh, la détérioration des normes du travail ajoute à la pression concurrentielle sur les travailleuses et travailleurs d'ici et d'ailleurs. Comme mouvement syndical, notre objectif est de rehausser ces normes pour toutes et pour tous. La tragédie du Bangladesh nous rappelle que nous nous dirigeons toujours dans la mauvaise direction.  

 Au Canada, la qualité et la sécurité des emplois s'effritent à un rythme relativement rapide. Le travail à temps partiel représente près d'un emploi sur cinq de toutes les offres d'emploi. Les emplois à temps partiel croissent à un rythme deux fois plus élevé que les emplois permanents, la plupart à court terme et contractuels. Les travailleuses et travailleurs temporaires gagnent 70 pour cent du salaire de leurs consœurs et confrères dans des emplois permanents, ils ne bénéficient d'aucuns avantages sociaux et sont moins susceptibles d'être protégés par une convention collective. Il n'y a pas un secteur de notre économie dans lequel les travailleuses et travailleurs ne sont pas menacés par « l'impartition » de leur emploi. La dernière année nous a également révélé comment les entreprises utilisent abusivement les programmes de travailleurs étrangers pour les aider à rabaisser les normes du travail.

Rana Plaza est un exemple extrême de négligence et de désespoir. Toutefois, il s'agit également du sous‑produit d'un système économique mondial sans principes, dirigé par des acteurs clés (investisseurs, gouvernements, entreprises) qui semblent n'avoir aucune conscience. Il s'agit d'un sous-produit de priorités mal alignées et d'un mouvement syndical dont les attentes sont beaucoup trop faibles. Les conditions qui ont mené à la tragédie du Bangladesh sont les mêmes qui ont permis aux entreprises multinationales de contourner leurs responsabilités à l'égard des victimes. C’est scandaleux.

Il y a un mois, Unifor – le tout nouveau syndicat canadien – a été formé par les Travailleurs canadiens de l'automobile et le Syndicat des communications, de l'énergie et du papier. Notre engagement consiste à hausser les attentes de toutes les travailleuses et de tous les travailleurs, et non seulement parmi les syndiqués, afin qu'ils exigent un meilleur niveau de vie de leurs employeurs et du gouvernement. Nous n'avons aucun intérêt à participer à une course vers le bas.

Il n'est pas facile d'élever les attentes, particulièrement lorsque plusieurs travailleuses et travailleurs sont satisfaits du simple fait d'avoir un emploi. Le changement qu'il nous faut exige le déplacement intégral du paradigme qui structure notre économie, un remodelage des rapports de force entre les quelques riches et le reste d'entre nous. Le changement qu'il nous faut viendra de toutes les parties intéressées de la société civile (travailleuses, travailleurs, gouvernements, employeurs) qui refusent d'accepter le statu quo.

Unifor a exhorté le gouvernement fédéral à convoquer un sommet sur la création de bons emplois avec les différentes parties intéressées afin d'entamer au plus vite une discussion sur la création et la d'emplois décents et durables.  Il faut que les élus tracent la voie vers un avenir de création d'emplois de qualité. Ce sommet n'est pas une solution, mais plutôt un début. Nous devons élever nos attentes pour l'obtention de bons emplois, bien rémunérés, sécuritaires et stables. Nous voulons également que toutes les travailleuses et tous les travailleurs du Canada se joignent à nous. Si le gouvernement fédéral ne pave pas la voie en ce sens, Unifor le fera. Nous tiendrons un sommet sur la création de bons emplois d'ici un an.

J'ai confiance que les travailleuses et travailleurs se joindront à nous pour révolutionner le monde des emplois de qualité, dans tous les milieux de travail, à toutes les tables de négociation, dans toutes les salles de conférence, dans toutes nos communautés, dans les rues et sur la chaîne de montage mondiale – des travailleuses et travailleurs du vêtement au Bangladesh qui exigent de meilleurs salaires et des conditions de travail plus sécuritaires depuis les dernières semaines, jusqu'aux travailleuses et travailleurs du détail en Amérique du Nord qui poursuivent leur campagne de la base pour la justice à l'égard des emplois de plus en plus précaires et inférieurs aux normes.

Le changement est en vue en cette Journée mondiale pour le travail décent. Voilà peut-être une cause de réjouissance.